Comme l’avait anticipé FO, la fusion des IRP a eu pour conséquence d’éloigner les salariés de leurs représentants. Une étude récente de la Dares constate un mouvement de centralisation des instances dans les grandes entreprises. Karen Gournay, secrétaire confédérale FO en charge de la négociation collective et de la représentativité, analyse les conséquences en cascade de ce phénomène.
Des représentants du personnels éloignés du terrain et moins nombreux. Voilà les conséquences, vérifiées par le ministère du Travail lui-même, de la fusion des instances de représentation du personnel (IRP). Dans une étude publiée en février, la direction des statistiques du ministère, la Dares, a comparé la physionomie des élections professionnelles dans le secteur privé avant et après la réforme de 2017 : nombre d’élus, de sièges, de constats de carence…
Pour mémoire, l’objectif affiché de cette réforme, mise en œuvre sans débat et par ordonnance, était, dixit l’exposé des motifs de la loi d’habilitation qui l’a précédée, de simplifier et renforcer le dialogue économique et social et ses acteurs. A posteriori et après bilan, il s’avère que la réforme poursuivait en fait un objectif de rationalisation et de simplification en vue de satisfaire le patronat et d’alléger les obligations des employeurs, analyse Karen Gournay secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et de la représentativité, qui siège pour Force Ouvrière au Haut conseil du dialogue social (HCDS).
Comme l’avait anticipé et dénoncé FO, la disparition des délégués du personnel et du CHSCT au profit du CSE, loin de renforcer les acteurs et la qualité de la représentation des salariés, a eu pour conséquences de concentrer les instances, de les éloigner de ceux qu’elles sont censées représenter et de réduire leurs moyens.
Moins de CSE d’établissement
L’étude de la Dares relève en effet qu’entre le cycle électoral 2013-2016 et le cycle 2017-2020, donc avant et après la réforme de 2017, la proportion d’élections couvrant un seul établissement diminue de 11 points (de 63,5 % à 52,5 %), quand celle des élections couvrant deux ou trois établissements progresse de plus de 5 points. Les instances représentatives sont donc mises en place sur des périmètres un peu plus larges qu’auparavant, englobant plus souvent plusieurs établissements à la fois, constatent les rédacteurs de l’étude. Autrement dit, les grandes entreprises connaissent un mouvement de centralisation de leurs IRP.
Ce mouvement, déjà à l’œuvre avant la réforme, s’est poursuivi après, expliquent les auteurs, et s »est même peut-être renforcé. Ces entreprises se sont épargnées de mettre en place des CSE d’établissement, explique Karen Gournay. Et comme, de surcroît, elles se sont aussi en général épargnées de créer des représentants de proximité pour palier la suppression des délégués du personnel, il advient qu’un salarié d’un site n’a de représentants qu’au siège, bien loin de lui. C’est pourquoi la négociation des protocoles d’accords pré-électoraux, incluant celle des périmètres des CSE, revêt une telle importance, déclare la militante.
Quel effet sur le militantisme ?
Pour notre organisation, cet éloignement du terrain est la conséquence la plus néfaste de la réforme, analyse la secrétaire confédérale. Cela devient compliqué pour un élu au CSE d’exercer son mandat et pour une organisation syndicale de tenir son rôle, cela a également des conséquences sur les élections professionnelles ». Car cette centralisation, en augmentant le nombre de salariés qu’un élu doit représenter et donc ses responsabilités, « fait baisser les vocations et les candidatures aux élections, explique Karen Gournay. S’il veut être compétent sur les sujets de plus en plus vastes que doit traiter un CSE, un élu de cette instance devrait être plus que polyvaments, voire pour certains en faire sa profession. Ce n’est pas la position de FO. Nos élus n’ont pas vocation à être détachés à temps plein, remarque Karen Gournay. Si l’on ajoute que les listes doivent être équilibrées par sexe et qu’un élu ne peut exercer plus de trois mandats d’affilé, on comprend la difficulté de constituer des listes.
Cette baisse des vocations, que constate la secrétaire confédérale, se vérifie dans les statistiques de la Dares. L’étude note en effet une très forte augmentation (+72,9 %) du nombre de sièges non pourvus (40 000 en 2017-2020) et du nombre de procès-verbaux (PV) de carence, en hausse de 14 points.
Monopole syndical au 1er tour
Dans le rapport des forces au niveau national, cette situation est exploitée par la partie patronale par un raccourci facile. En HCDS, la CPME nous fait remarquer qu’il y a davantage de PV de carence là où les syndicats sont implantés que lorsqu’ils ne le sont pas ; elle en profite pour s’interroger sur le monopole syndical au premier tour, rapporte la secrétaire confédérale. Une vielle revendication patronale qui figure en bonne place dans les 80 propositions pour « mettre fin à la complexité administrative » publiée par la CPME en janvier dernier.
Mais pour Karen Gournay, l’explication est toute autre. La baisse du nombre d’élus est aussi due à un facteur : entre les deux cycles électoraux, le nombre réduit de 5,6 % (soit -18 438 élus) et jusqu’à 23% dans les plus grandes entreprises (lire encadré) s’explique : dans cette première phase de mise en place des CSE, la complexification des nouveaux mandats, accompagnée d’une réduction de moyens, peut décourager certains élus et salariés, qui auraient ainsi renoncé à endosser de nouvelles responsabilités, explique de son côté la Dares.
La baisse du nombre d’élus aux CSE tient aussi à la réduction du nombre de sièges. A partir du moment où il n’y a plus de CSE d’établissement, il y a moins de sièges à pourvoir, explique Karen Gournay. CQFD. Mais la Dares ne s’étend guère sur ce point. Pourtant, elle note que 353 267 sièges étaient à pourvoir en 2013-2016, alors qu’il n’y en avait plus que 351 779 en 2017-2020, soit une baisse de 0,4%.
L’évolution du nombre d’élus diffère selon la taille de l’entreprise. Les plus grandes entreprises (plus de 300 salariés) perdent quasiment un quart (23,4 %) de leurs élus. Dans les entreprises de 200 à 299 salariés, le nombre d’élus recule de 4 %. En revanche, il augmente de 15% dans les PME (50 à 199 salariés) et de 17% dans les petites entreprise (11 à 49 salariés), où les effectifs de salariés progressent dans les mêmes proportions.