Pour la grande majorité des militants syndicalistes, le mot de « résistance » fait partie de leurs gènes. Résistance face aux contremaîtres, au patron, au système. La France Libre organisée par de Gaulle a bien compris l’importance de ce vivier d’hommes hors pair.
En dehors des ultra-réformistes de la CGT, derrière René Belin [*], qui se sont plus que déshonorés dans une collaboration dès la première heure avec Pétain, la majorité des syndicalistes de l’époque (CGT et CFTC) refuse l’oppression nationale et sociale.
Un des premiers, et peu connu, des liaisons entre la France Libre gaulliste de Londres et le mouvement syndical, fut Henry Hauck (1902-1967), socialiste de la SFIO et cégétiste de la Fédération de l’enseignement, attaché à l’ambassade de France à Londres, rallié à de Gaulle dès le 19 juin 1940. Il sera chargé des relations avec les syndicats au sein des premières instances de la France Libre (Comité national français, Comité français de la Libération nationale). Il sera épaulé par Adrien Texier (1893-1946), cégétiste, directeur adjoint au BIT, devenu délégué de de Gaulle à New-York, puis par Yvon Morandat (1913-1972), responsable de la CFTC de Savoie. Ce dernier est parachuté dès fin 1941 en zone sud pour nouer des contacts avec les forces syndicales. Il rencontre d’abord ses amis syndicalistes chrétiens qui lui donnent le contact avec les cégétistes. Il prend alors rendez-vous avec des responsables de la CGT : Julien Forgues (1888-1970) à Toulouse, secrétaire de l’UD de Haute-Garonne, cadre de la Fédération de l’alimentation et un des fondateurs du mouvement de résistance « Libération Sud », Marius Vivier-Merle (1890-1944), secrétaire de l’UD du Rhône, cadre des métallos CGT et du mouvement « Libération Sud », Robert Lacoste (1898-1989), secrétaire-adjoint de la fédération des fonctionnaires CGT, membre fondateur de « Libération Nord » puis de « Libération Sud », futur ministre de la production industrielle du premier gouvernement de Gaulle (septembre 1944-novembre 1945). Morandat finit sa tournée par une visite clandestine à Léon Jouhaux en résidence surveillée à Cahors. Le Savoyard demande à ces syndicalistes de rejoindre Londres. Mais les conditions techniques d’exfiltration sont alors très difficiles.
Un rapprochement naturel
À Londres on a appris très vite la signature du « Manifeste des douze », du 15 novembre 1940, entre neuf responsables de la CGT et trois de la CFTC qui est la première réaction de la résistance syndicale à l’interdiction des Confédérations syndicales, à la Charte du travail de Pétain et à la trahison de Belin.
Quant aux syndicalistes communistes des ex-Unitaires (de la CGT-U), la base n’attend pas les directives de Moscou. Dès mai 1941, les mineurs du Nord se lancent dans la grève. Un mois plus tard Hitler attaque l’URSS et les dirigeants syndicalistes communistes entrent dans la résistance.
Christian Pineau (1904-1995), ex-secrétaire-adjoint de la Fédération des employés de banque CGT de 1936 à 1939, fondateur de « Libération Nord » arrive à Londres en mars 1942 et se rallie au Général de suite. Un mois plus tard, il obtient une déclaration politique sans ambiguïté de de Gaulle sur l’importance du mouvement syndical dans la résistance.
La CGT se réunifie lors des accords du Perreux le 17 avril 1943. Cela permet d’intégrer les syndicats dans les organes mis en place par la France Libre. Jean Moulin associe dans le CNR (Conseil national de la résistance) les syndicats : Louis Saillant pour la CGT et Gaston Tessier pour la CFTC. Des syndicalistes entrent alors dans l’Assemblée consultative d’Alger. Georges Buisson (1878-1946), l’un des plus vieux bras-droit de Jouhaux en est le vice-président. Il n’est pas le seul. La présence syndicale sur les bancs de ce parlement en devenir est composée entre autres de Laurent, Fayet, Gazier, Mercier, Guigui, Poimboeuf.
Sans l’apport des syndicalistes à la résistance, le programme du CNR n’aura jamais eu ce volet social qui reste aujourd’hui un acquis à défendre.
[*] René Belin (1898-1977), syndicaliste CGT de la Poste, il entre au Bureau Confédéral en 1933, mais s’éloigne de Jouhaux dès 1936, année où il fonde le journal « Syndicats », regroupant des adeptes de la compromission avec le patronat. Il est nommé ministre de la production industrielle par Pétain de juillet 1940 à février 1941, puis secrétaire d’État au travail de février 1941 à avril 1942. Clandestin à Paris d’août 1944 à octobre 1947, puis exilé en Suisse d’octobre 1947 à janvier 1949, preuve de solides complicités.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly