Les syndicats disposent désormais d’une méthode de négociation sur l’intelligence artificielle. Issue des travaux de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), cette méthode était présentée à la presse le 7 janvier. Éric Peres, secrétaire général de FO-Cadres, qui participait à la conférence, demande également un accord national interprofessionnel sur le sujet.
Une méthode de négociation sur l’intelligence artificielle (IA) et un manifeste. Éric Peres, secrétaire général de FO-Cadres, et les organisations syndicales ayant participé au projet Dial-IA de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), ont présenté, le 7 janvier, les fruits de leurs travaux. Ces travaux alimenteront également une journée dédiée à l’IA dans le monde du travail, organisée par la confédération FO le 12 février 2025 dans ses locaux, en vue de l’élaboration d’un cahier revendicatif.
En matière d’IA, il existe une asymétrie entre d’une part les employeurs et les fournisseurs [d’IA], et d’autre part les salariés voire les organisations syndicales, constate Éric Peres. Salariés et syndicats ne sont en effet pas toujours formés à ce sujet technique, sur lequel les employeurs ont d’autant moins envie de communiquer qu’il est stratégique. Quant aux éditeurs d’IA, ils sont parfois loin du monde du travail. L’enjeu de Dial-IA est donc de rétablir l’équilibre afin de peser, explique Éric Peres.
Le secrétaire général de FO-Cadres s’interroge également sur la participation des cadres et des ingénieurs à l’invalidation de leur propre expertise lorsqu’ils doivent mettre en œuvre ou concevoir une IA. C’est pourquoi, dans la perspective d’une autonomie du travailleur vis-à-vis de la technologie, FO ne veut pas réfléchir seulement à l’usage de l’IA mais aussi à sa conception et à la formation des ingénieurs, explique-t-il.
Début de réponse syndicale
Créé en 1982 pour répondre aux besoins des organisations syndicales représentatives dans le domaine de la recherche économique et sociale, l’Ires offre un cadre de connaissances qui se prête à l’élaboration d’une réponse syndicale à l’introduction de dispositifs d’IA au travail, pose Éric Peres. La cinquantaine de participants – syndicalistes, experts et chercheurs mais aussi quelques représentants patronaux – qui ont travaillé pendant 18 mois au projet Dial-IA, co-financé par l’Anact et soutenu par le cabinet Ultra laborans, ne sont pas partis de rien. Ils se sont appuyés sur les préconisations de l’accord cadre européen de 2020 sur la numérisation négociée par les interlocuteurs sociaux. Les travaux issus de Dial-IA sont en quelque sorte la déclinaison en France de cet accord, souligne Odile Chagny, économiste à l’Ires.
Kit de dialogue social sur l’IA
Au terme de ces 18 mois de travaux, les participants à Dial-IA ont produit un manifeste pour un dialogue social au service des bons usages de l’IA, ainsi qu’une méthode, sous forme d’un kit de survie du dialogue social en entreprise et dans la fonction publique d’État. Ce document, accessible sur [dial-ia.fr], recense les outils légaux que peuvent utiliser dans les entreprises les syndicats pour identifier les IA et négocier leur usage, ce qui est encore rare.
Le RGPD (règlement général sur la protection des données) est l’un de ces outils. Les employeurs préférant parfois rester discrets lorsqu’ils mettent en place une IA, les représentants des salariés doivent d’abord la repérer. Or dès lors qu’une IA est alimentée par des données personnelles des salariés, leurs représentants peuvent invoquer le RGPD et demander en CSE une cartographie des traitements de ces données, rappellent les rédacteurs du kit de dialogue social. Par ailleurs, un registre de ces données personnelles doit obligatoirement être déposé à la Cnil.
Éric Peres rappelle que le Code du travail est un outil précieux qui possède déjà des réponses. La loi européenne sur l’IA, de son côté, est en train de se mettre également en place dans les entreprises. Cet IA-act leur impose une approche par les risques, explique le secrétaire général de FO-Cadres. Autrement dit, les directions qui vont acheter des IA devront s’assurer auprès de leur fournisseur que leur produit répond au règlement européen. Les représentants du personnel pourront dès lors demander la rédaction d’un registre des IA.
Consultations du CSE
Les auteurs du kit de survie rappellent également les différentes consultations lors desquelles le CSE peut interroger la direction sur l’IA, notamment celle sur l’introduction de nouvelles technologies. Éric Peres signale à ce propos que, depuis une décision du Tribunal judiciaire de Pontoise (20 avril 2022), l’introduction d’une nouvelle technologie justifie à elle seule le droit de recourir à une expertise sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence de répercussions sur les conditions de travail des salariés. En revanche, pointent les auteurs du kit, le droit reste encore flou sur le fait de savoir si la simple évolution d’un logiciel d’IA déjà en place dans l’entreprise (cas extrêmement fréquent) peut être considérée comme une nouvelle technologie. Les employeurs jouent sur cette incertitude pour ne pas aborder le sujet en CSE.
Unanimité pour un ANI
D’une manière générale, les syndicalistes participant à cette restitution des travaux de Dial-IA insistent sur la nécessité d’adapter le dialogue social aux spécificités de l’IA. Ce n’est pas un objet comme les autres, souligne Odile Chagny. L’IA est interactive, elle peut évoluer, ses effets sont incertains, elle interagit avec l’organisation du travail. C’est pourquoi, expliquent les rédacteurs du kit, lorsque les représentants du personnel traitent d’IA, ils doivent se donner la possibilité d’agir avant, pendant, et après son introduction dans l’entreprise, mais aussi de revenir en arrière. C’est l’enjeu d’une clause de revoyure, invocable au titre des articles 13 et 26 de l’IA-act.
Parce que la réponse syndicale à l’introduction de dispositifs d’IA doit aussi se faire au niveau national et interprofessionnel, tous les syndicats présents à la restitution plaident pour un accord en ce sens. Il faut remettre ce sujet à l’agenda social autonome décidé par les seuls interlocuteurs sociaux, déclare Éric Peres. L’occasion, souligne-t-il, de traiter de l’emploi ; des qualifications ; du management ; du respect des libertés des salariés ; de leurs conditions de travail et du partage de la valeur ajoutée issue des gains de productivité générés par l’IA.
Pour aborder ces différentes questions, plusieurs fenêtres d’opportunité s’ouvrent aux interlocuteurs sociaux : le déploiement de la loi européenne sur l’IA, déjà évoquée par Éric Peres, mais aussi le sommet international pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA), qui se déroulera à Paris les 10 et 11 février 2025.
– [European social partners framework agreement on digitalisation]
– [Modalités du dialogue social – Leviers d’action]
– [Pour un dialogue social au service des bons usages de l’IA et d’une nouvelle étape de progrès social dans les entreprises et les administrations]