Clairement, les principaux dossiers à suivre dès cette rentrée portent sur des sujets lourds. Et les axes et la teneur que l’exécutif voudrait leur donner ont de quoi inquiéter. Ainsi en est-il de la négociation sur l’Assurance chômage, avec en toile de fond la récente réforme contestée de l’indemnisation et la création de France Travail. La négociation Agirc-Arrco sur les revalorisations est aussi d’importance, d’autant plus dans le contexte de la réforme des retraites. Le « projet de loi Plein emploi » nourrit quant à lui aussi l’inquiétude, tandis que l’attaque des modalités d’octroi du RSA est déjà prévue. Les projets de lois de finances pour 2024 sont bien sûr aussi des dossiers de poids. Et d’autant plus redoutés que l’exécutif ne cache déjà en rien sa volonté de réduire sévèrement les dépenses publiques. Quoi qu’il en coûte aux travailleurs, aux assurés sociaux ? Le gouvernement, qui envisage une nouvelle fois l’éventualité de passer en force, par 49.3, élude pour l’instant en revanche la question de la conditionnalité des aides aux entreprises. Cela alors que ces dernières, dans le cadre du projet de loi Industrie verte, encore très flou quant aux moyens qui seront convoqués pour l’emploi, sa transformation et sa protection, devraient bénéficier d’un soutien public renforcé.
2024 ou la menace d’une austérité aggravée
B is repetita ? Dès le 3 septembre, la Première ministre a annoncé que la procédure du 49.3 – utilisée dix fois en 2022 sur des textes budgétaires, sans compter le 49.3 du 16 mars dernier pour faire adopter la réforme des retraites – pourrait être employée certainement pour faire passer les projets de lois de finances pour 2024 (PLF et PLFSS). Donc sans débats et sans vote à l’Assemblée. L’exécutif annonce dix milliards d’euros d’économies à réaliser en 2024. C’est moins que prévu initialement (quinze milliards d’euros) grâce à de bonnes nouvelles sur le plan macroéconomique, se félicite-t-il. Un optimisme à relativiser…
La santé dans le collimateur du gouvernement
Le gouvernement évoque d’ailleurs une possible révision de son estimation d’une croissance à 1,6 % du PIB l’an prochain. Et l’Insee, qui note une dégradation du climat de l’emploi, des affaires et de la confiance des ménages (déjà toujours très basse), pointe les incertitudes à venir. L’inflation va refluer moins vite qu’annoncé et rester forte. Avec le risque donc d’impacter encore la consommation, moteur de la croissance. Malgré ce contexte et pour un recul à marche forcée du déficit public à 2,7 % du PIB en 2027 (4,4 % visés en 2024), le gouvernement souhaite une réduction sévère des dépenses publiques en 2024 et poursuivre la baisse de la fiscalité, celle des entreprises notamment, comme depuis 2017. Les pistes d’économies envisagées pour 2024 ne font pas, elles, dans la dentelle. À titre d’exemples… Baisse de crédits (4,8 milliards d’euros) pour les missions du budget général de l’État, suppression de 15 000 contrats aidés, économies dans le domaine de la santé (a priori à hauteur de 1,5 milliard d’euros)… Déjà, les arrêts maladie, que le gouvernement juge trop nombreux et trop coûteux, sont visés, les montants des franchises médicales (sur les médicaments et les consultations) sont menacés d’un doublement, l’Ondam hospitalier (plafond de l’évolution des dépenses) se situerait autour de 3 % quand les acteurs de la santé évaluent la hausse nécessaire à 5 % minimum… Une austérité que FO ne peut accepter.
Aides publiques : un pognon de dingue pour les entreprises
D ’après une étude de l’IRES, les aides publiques représentaient 157 milliards en 2019 (elles sont évaluées à 165 milliards d’euros en 2022), et ceci juste avant l’irruption du Covid et de la politique du quoi qu’il en coûte. Ce montant a été multiplié par trois entre 1999 et 2019. Depuis, la mise à jour de ces données n’a pas été rendue publique par Bercy. Cela représentait alors deux fois le budget de l’Éducation nationale, qui est pourtant le premier employeur de France.
Plus que jamais la revendication de la conditionnalité
Les aides aux entreprises ont connu un développement particulièrement fort depuis la crise économique mondiale de 2008. Il existe actuellement deux mille quatre dispositifs d’aide publique, qu’ils soient proposés par l’État ou les régions. Subventions, avances remboursables, prêts bonifiés, mais aussi crédits d’impôt, exonérations, abattements fiscaux, les dispositifs sont légion. Ils amènent non seulement à redistribuer de l’argent public vers les entreprises, mais également à priver l’État de recettes fiscales et le système de protection sociale de cotisations.
Alors que l’exécutif se refuse toujours à fixer des règles, voire des sanctions, aux entreprises lorsqu’elles reçoivent un soutien public, FO revendique plus que jamais la conditionnalité de ces aides à différents critères : le respect des obligations légales et conventionnelles, le paiement des cotisations sociales dans les délais, le maintien des effectifs en CDI, sans cumuler CDD, contrats d’intérim ou ceux plaçant les salariés en situation précaire (temps partiels imposés), le respect de l’égalité salariale hommes-femmes, l’appartenance à un secteur soumis à une forte concurrence internationale et la relocalisation de la production et de la recherche et développement.
FO revendique par ailleurs le remboursement de ces aides en cas de superprofit. 2020, année de pandémie, peut être citée en exemple. Selon L’Observatoire des multinationales, les entreprises du CAC 40 qui cette année-là ont reçu des aides publiques ont versé la même année 30,3 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires.
Projet de loi plein emploi : à quel prix pour les précaires ?
Le projet de loi Plein emploi, qui vise à réformer le service public de l’emploi, sera examiné par les députés à partir du 18 septembre. Ce texte, qui fait l’objet d’une procédure accélérée, a déjà été adopté – et durci – par les sénateurs mi-juillet.
Le gouvernement souhaite voir le taux de chômage baisser à 5 % d’ici à 2027. Pour cela, il compte regrouper, dès 2025, les différents acteurs du service public de l’emploi au sein du réseau France Travail. Ce guichet unique sera ouvert aux demandeurs d’emploi, y compris en situation de handicap, et aux personnes en difficulté d’insertion.
Selon le projet de loi, les bénéficiaires du RSA seront automatiquement inscrits à France Travail et devront signer un contrat d’engagement assorti d’heures d’activité. Examinant le texte, les sénateurs ont voulu fixer une durée minimale, soit 15 heures d’activité par semaine. Le projet prévoit aussi qu’en cas de manquement, les bénéficiaires s’exposent à une nouvelle sanction dite de « suspension-remobilisation », avec un versement rétroactif que les sénateurs ont limité à trois mois.
Vote défavorable de FO
La confédération FO, opposée au principe de création de France Travail et au conditionnement du versement du RSA, avait par deux fois émis un vote défavorable au projet de loi, au conseil d’administration de la CNAF et à celui de Pôle emploi.
Le taux de chômage, toutes catégories confondues, est actuellement de 7,2 %, un taux quasiment stable depuis un an (- 0,2 % selon l’Insee). Mais les contrats très courts sont en hausse : le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie B (moins de 78 heures de travail par mois) a augmenté de 7,7 % sur un an. Il a même bondi de 26,5 % pour les contrats inférieurs à 20 heures par mois, selon les chiffres publiés par Pôle emploi fin juillet. Le nombre de radiations a également augmenté de 3,6 % sur un trimestre et de 6,8 % sur un an. Et en 2022, 1,9 million de personnes appartenaient au halo autour du chômage, soit 4,4 % des personnes âgées de 15 à 64 ans.
Assurance chômage : une négociation sous contrainte
La négociation des nouvelles règles d’Assurance chômage par les organisations syndicales et patronales a démarré le 12 septembre au siège du Medef, avec à l’ordre du jour la méthode de travail et le calendrier des prochaines réunions. Mais leurs marges de manœuvre sont extrêmement réduites à la lecture de la lettre de cadrage que leur a envoyée la Première ministre le 1er août. Dans la droite ligne des récentes réformes, l’exécutif leur impose notamment de ne pas toucher aux règles de la contracyclicité (modulation de la durée d’indemnisation en fonction de la conjoncture) ni au mode de calcul de l’indemnisation chômage, autant de mesures auxquelles les organisations syndicales sont pourtant unanimement opposées.
Encore une fois, le gouvernement nous contraint tellement dans la négociation qu’il y a un risque de ne pas aboutir à un accord. Et dans ce cas, il y a un risque réel de perte définitive du paritarisme à l’Unédic, alerte le secrétaire confédéral FO chargé de l’emploi.
Une ponction de 12 milliards d’euros sur les recettes de l’Unédic
Michel Beaugas est d’autant plus remonté contre l’exécutif que celui-ci affiche sa stratégie visant à ce que l’État mette la main sur une grosse partie des 18,5 milliards d’euros d’excédents attendus par l’Unédic entre 2023 et 2025. Cela alors qu’ Élisabeth Borne demande aux organisations syndicales et patronales de poursuivre le désendettement du régime d’Assurance chômage (60,7 milliards d’euros de dettes fin 2022), et ce, tout en consacrant près de 12 milliards d’euros à la politique du gouvernement visant le plein emploi, notamment via la nouvelle structure France Travail. L’Unédic a été créé pour indemniser les privés d’emploi, pas pour financer l’apprentissage ni le service public de l’emploi, rappelle Michel Beaugas.
Les interlocuteurs sociaux ont jusqu’au 15 novembre pour trouver un accord. Et on verra si on reste autour de la table, prévient Michel Beaugas.
Agirc-Arrco : revalorisation des pensions et fin de la décote au cœur des négociations
L e 5 septembre, syndicats et patronat ont démarré les négociations du prochain accord national interprofessionnel de l’Agirc-Arcco, qui doit fixer les règles de gestion du régime général de retraites complémentaires pour 2023-2026. Ils ont jusqu’au 4 octobre pour trouver un accord qui s’appliquera au 1er novembre prochain. Le contexte est favorable. Géré paritairement, le régime est en bonne santé : il dispose de soixante-huit milliards d’euros de réserves, permettant largement de respecter son obligation de disposer d’une capacité de six mois d’avance de versement des pensions. Et il affiche cinq milliards d’euros d’excédents en 2022. Ces milliards-là doivent revenir aux retraités et aux salariés qui payent le coût de la réforme, souligne Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé des retraites et négociateur FO.
La fin du coefficient de solidarité ?
Pour rehausser les pensions, FO défendra une valeur de point de service de l’Agirc-Arrco indexée soit sur l’évolution des salaires soit sur l’inflation, selon la situation la plus favorable. L’autre priorité des syndicats, notamment pour FO, est d’obtenir la fin du coefficient de solidarité. Depuis 2019, ce système de bonus-malus, peu utilisé, entend inciter à travailler un an de plus après l’âge légal, avec 10 % de décote sur les pensions complémentaires pendant trois ans si un salarié part à 62 ans. Ce malus saute pour un départ à 63 ans. Et se transforme en bonus (+ 10 %) en cas de retraite à 64 ans. Avec l’âge légal de départ reculé à 64 ans, il est hors de question de pousser les salariés à travailler plus longtemps, prévient Michel Beaugas. D’autres sujets sensibles liés à la réforme se sont invités dans les négociations, comme les droits à la pension complémentaire dans le cadre du cumul emploi-retraite. Ou encore, souhaité par le gouvernement, un éventuel coup de pouce de l’Agirc-Arrco au minimum contributif pour éventuellement atteindre un montant global de pension à 1 200 euros… Montant affiché avec légèreté par le gouvernement dans son projet de réforme. La réponse de Michel Beaugas est claire : Nous ne voulions pas de cette réforme. Ce n’est pas à nous de la suppléer !
Projet de loi Industrie verte : FO acte la disparition de l’État stratège
Le projet de loi (PL) relatif à l’industrie verte, avec lequel Emmanuel Macron a tenté de faire oublier la réforme des retraites, en faisant de la réindustrialisation la mère des batailles, poursuit son parcours. Pour être adopté définitivement, après le vote favorable du Parlement (le 22 juin au Sénat et le 22 juillet à l’Assemblée nationale) dans le cadre de la procédure accélérée, le texte fera l’objet d’une commission mixte paritaire, en octobre.
Pour FO, malgré les discours de l’exécutif, le texte pèche par une absence de vision globale, articulant enjeux industriels, sociaux et politiques publiques. Centré sur la création de technologies vertes (éolien, batteries, hydrogène décarboné, photovoltaïque, pompes à chaleur), le projet de loi ne dit rien ou presque de la décarbonisation des industries existantes, rien sur les filières à développer en priorité, rien sur les besoins en formation, rien sur l’accompagnement des reconversions professionnelles. Il n’y a aucune vision d’État stratège, dénonce Hélène Fauvel, secrétaire confédérale aux politiques industrielles. Selon l’exécutif, le texte ne créerait d’ailleurs que 40 000 emplois directs d’ici 2030.
La réindustrialisation ne peut être laissée au bon vouloir d’entreprises étrangères
Le financement est un autre angle mort. Le texte met l’accent sur la mobilisation de l’épargne des Français (5 milliards d’euros par an), bien que réputée difficile à réorienter, sur la mobilisation de prêts ou garanties Bpifrance (2,3 milliards par an) et sur la création d’un crédit d’impôt Investissement Industries Vertes (C3iv)… à définir dans le projet de loi des finances 2024 ! Estimé à 500 millions d’euros par an, le manque à gagner pour les finances publiques sera nul, assure l’exécutif qui veut alourdir le malus automobile, verdir les flottes d’entreprise, raboter des niches fiscales défavorables à l’environnement. La réindustrialisation ne peut être laissée au bon vouloir d’entreprises étrangères qui, par opportunisme, pour capter un crédit d’impôt annoncé à ce jour sans contrepartie, viendraient s’installer ici avant de partir ailleurs. On connaît les résultats désastreux d’une telle politique, appuie Hélène Fauvel.