Hommage à l’écrivain Vassilis Alexakis


Décédé le 11 janvier dernier, ce grand écrivain grec était aussi un dessinateur, un journaliste et un cinéaste. Il faisait partie des quelques écrivains grecs romançant aussi bien en grec qu’en français (1).

Alexakis est né le 25 décembre 1943 à Athènes, dans le quartier populaire de Kallithéa peuplé de Grecs venus des îles de la mer Égée, fuyant la misère, et de réfugiés d’Asie mineure chassés par les nationalistes turcs en 1922-1923. À cette époque, la capitale grecque était sous la botte d’une armée allemande implacable. Mais cette dernière n’est pas la bienvenue dans les quartiers ouvriers où la résistance s’est organisée dès 1941. À noter que la résistance grecque s’est construite au départ sur les militants syndicalistes de la GSEE (CGT de Grèce) clandestins depuis 1936. Ce n’est qu’à l’été 1942 qu’elle a organisé ses maquis dans les montagnes pour contrôler militairement 70% du territoire en septembre 1944.

La famille d’Alexakis était originaire de Santorin, d’où l’attachement de l’homme aux Cyclades. D’ailleurs, il passait sa vie entre Paris, Athènes où il est mort et l’île de Tinos. Il débarque à Paris en 1960 avec une bourse pour s’inscrire à l’École supérieure de journalisme de Lille. À l’époque, il ne parlait pas un mot de français. Il y est resté trois ans puis est rentré en Grèce. En effet en 1963, le pays connaît sa première ouverture démocratique avec l’arrivée au pouvoir du centriste, le vieux Giorgos Papandréou et l’organisation par Mikis Théodorakis des Jeunesses Lambrakis (2). Mais cette ouverture, pourtant modérée ne plaît pas du tout à Washington. Le coup d’État des colonels aura lieu le 21 avril 1967.

Double culture, double langue

Comme nombre de jeunes grecs francophones, Vassilis Alexakis rejoint la France en 1968, siège « D’Athènes Presse Libre », une agence de presse indépendante, dirigée par le journaliste gréco-français, Richard Soméritis qui dénonce la dictature, et refuge de Kostas Mitsotakis, Mélina Mercouri, Mikis Théodorakis, Michalis Raptis-Pablo…

Alexakis fait alors des piges pour Le Monde, La Croix, Le Monde des Livres et France Culture. Il va aussi réaliser cinq court-métrages. Il publie son premier roman, « Le sandwich » en 1974 chez Julliard. Puis il va rencontrer l’écrivain-éditeur Jean-Marc Roberts (1954-2013) avec qui se lie d’amitié et qui sera son éditeur au Seuil, puis chez Fayard et enfin chez Stock.

Alexakis écrit ses romans soit en grec, soit directement en français. Ce n’est donc pas un hasard s’il publie en 1989 « Paris-Athènes » (Seuil), « La langue maternelle » en 1995 (Fayard) pour lequel il obtiendra le prix Médicis, « Les mots étranges » en 2002 (Stock). En 2007, avec « Ap. J-C », (Stock), il est récompensé du grand prix de l’Académie française.

Son œuvre marquée par l’omniprésence de la mort l’est aussi par l’importance de la double culture. Et à propos de la question de l’immigration en France, l’ancien exilé-réfugié écrivait dans Le Monde du 7 décembre 2007 : « Dans un pays où le tiers de la population est issu de l’immigration, faire obstacle à l’arrivée de nouveaux étrangers est une façon de mettre en péril plutôt que de sauvegarder l’identité française ».

Son dernier livre, publié au Seuil en 2015, parle notamment de la crise économique qui a ravagé la Grèce à partir de 2010 à cause, entre autres, du plan de réformes ultra-libérales (les fameux mémorandums) imposé par la Troïka (FMI-BCE-Commission de Bruxelles), plongeant des centaines de milliers de Grecs dans la précarité, voire l’extrême pauvreté, et faisant même reculer l’espérance de vie (3).

(1) Outre Alexakis, il y avait Clément Lépidis (1920-1997) dont les deux grands ouvrages sont « L’Arménien », 1973, Seuil et « Je me souviens du 20° arrondissement », 1997 ; et Alki Zeï dont le chef d’œuvre est « La fiancée d’Achille », 1989, La Découverte.

(2) Grigoris Lambrakis (1913-1963), chirurgien dans les maquis en 1943-1944, est un député de gauche du Pirée assassiné par le pouvoir royal le 22 mai 1963 à Salonique. Le film « Z » de Costa Gavras est directement inspiré de cette histoire.

(3) À lire aussi : « Je t’oublierai tous les jours », Stock, 2005 ; « Le premier mot », Stock, 2010 et « L’enfant grec », Stock, 2012.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

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