Les salariés de France Télévisions, de Radio France et de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) restent dans l’incertitude après un énième ajournement de l’examen de la proposition de loi censé créer une holding les chapeautant et mutualisant certaines fonctions. FO demande le retrait de ce texte qui n’apporte aucune garantie ni en matière de pluralisme éditorial ni concernant les acquis sociaux et les conditions de travail.
Ça devient une arlésienne, cette affaire ! Bruno Demange, secrétaire général adjoint de la FASAP-FO (fédération FO des arts, du spectacle, de l’audiovisuel et de la presse), se doutait que l’examen de la proposition de loi sur l’avenir de l’audiovisuel public par l’Assemblée nationale, prévu ce vendredi 11 avril, serait ajourné – encombrement parlementaire oblige. Mais ce nouveau report, énième contretemps depuis le vote du texte en première lecture au Sénat en juin 2023, ne fait qu’accentuer l’usure des quelque 16 000 salariés concernés, qui attendent de savoir à quelle sauce budgétaire et organisationnelle ils seront cuisinés.
Pour moi qui ai connu toutes les transformations de l’audiovisuel public, c’est plus qu’agaçant : c’est déstabilisant, tance Françoise Chazaud, secrétaire générale de la FASAP-FO. Le syndicat est la deuxième organisation de France Télévisions, et est représentatif dans les trois autres entités de l’audiovisuel public – Radio France, l’INA et France Médias Monde (RFI et France 24). A FO, on n’est pas contre certaines réformes, mais il faut pouvoir discuter, poursuit-elle. Là, il n’y a rien ! Nous voulons le projet complet, nous voulons une étude d’impact.
De nombreux enjeux en suspens
En effet, alors même que la question de l’avenir de l’audiovisuel public est passée entre les mains de nombreux ministres et est débattue depuis maintenant des années, la réflexion semble à peine avoir avancé. Selon le projet qui circulait l’année dernière avant la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, les quatre entités devaient passer sous la coupe d’une holding (et d’un président ou une présidente unique) en janvier 2025, avant de connaître une fusion très contestée un an plus tard. Le projet actuel ne prévoit plus que la création de la holding, nommée France Médias, et exclurait finalement France Médias Monde.
Pour autant, de nombreux enjeux de taille restent en suspens. En premier lieu, la question de la protection de la pluralité éditoriale des antennes inquiète fortement les salariés. Il y a un peu de langue de bois sur ce sujet, confie Bruno Demange. On nous dit en clair qu’on s’inquiète pour rien. Mais sous la houlette d’une seule et même personne pour toutes les antennes, la perte de pluralisme est une évidence : on peut comprendre la crainte des équipes. Pour l’instant, nos interlocuteurs n’ont pas su nous rassurer à ce sujet.
Dans un communiqué, l’intersyndicale à laquelle participe FO dénonce une mise en danger de l’indépendance éditoriale, du pluralisme et de la liberté de l’information, avec un risque de mainmise politique aggravée en cas de gouvernance toujours plus verticale et réduite.
La crainte d’une fusion reste vivace
De plus, le degré de fusion, qu’impliquerait la holding à l’avenir, reste peu clair. Une note d’évaluation de la réforme rédigée par le gouvernement évoquait par exemple la création de deux filiales : l’une visant à faire collaborer toujours plus étroitement les réseaux régionaux de radio et de télé (France Bleu et France 3 Régions), et l’autre pour resserrer les liens entre Radio France et France Télévisions. La fusion, ce n’est pas parce qu’on n’en parle plus que ce n’est plus d’actualité, pointe Bruno Demange. Une grave erreur selon Françoise Chazaud : C’est comme si on mélangeait les ministères de la Culture et de l’Education nationale. Il y a des passerelles entre les deux, des objectifs communs, mais ils n’ont quand même rien à voir.
Les enjeux économiques concentrent par ailleurs leur lot d’inquiétudes. Même si on nous dit qu’il s’agit de renforcer nos antennes, le but reste de faire des économies, souligne le secrétaire général adjoint. La ministre est convaincue que nous serions plus forts ensemble, mais cela ne nous a pas été démontré. Quand on nous dit que la réforme ne coûtera rien, ce n’est pas vrai : selon le type de holding, elle pourrait coûter 200 millions d’euros. Donc si on veut gagner de l’argent, il faudrait économiser plus de 200 millions d’euros. Sur quoi ? La mutualisation des fonctions support constitue l’une des principales pistes – avec son lot de désavantages potentiels –, mais le flou régnant autour de l’application de la réforme laisse craindre des suppressions de postes, avec dans son sillage une dégradation des conditions de travail difficilement évitable. Les accords professionnels pourraient également être rebattus : en cas d’harmonisation, ira-t-on au mieux-disant ou au moins-disant ?
La pérennité de l’audiovisuel public en jeu
Face au flottement de l’agenda politique, la section FO de France Télévisions, comme d’autres organisations, a levé son préavis de grève des 10 et 11 avril, mais celle de Radio France a maintenu le sien, comme d’autres organisations. Ça ne change rien, ce sont différentes approches d’ordre tactique mais la détermination reste la même chez tout le monde, estime Bruno Demange. La grève menée conjointement les 31 mars et 1er avril avait déjà abouti à une importante perturbation des antennes grâce à la mobilisation de salariés occupant des postes clés. Sans garanties claires sur les différents points d’achoppement, FO demande le retrait du texte. Quand les projets sont bâclés, au final ça fait plus de malfaçons que de choses bien pensées, affirme le militant.
Car derrière toutes ces tractations, la pérennité de l’audiovisuel public reste en jeu. C’est comme pour la suppression de la publicité sur le service public sous Nicolas Sarkozy, comme la suppression de la redevance par Emmanuel Macron : on supprime quelque chose et on ne dit pas ce qu’on va faire derrière, résume Françoise Chazaud. L’intersyndicale réclame donc un audiovisuel public fort, pluraliste, indépendant et doté de moyens pérennes, la préservation des effectifs et l’amélioration des conditions de travail. Il est urgent de faire les choses bien, conclut Bruno Demange, et on ne peut pas les faire bien dans un contexte pareil.