L’historien Laurent Dornel dévoile la première vague d’immigration administrativement organisée en France : celle des travailleurs coloniaux recrutés pour suppléer les ouvriers mobilisés durant la Première Guerre mondiale.
Si l’image du tirailleur sénégalais, symbole des combattants de l’empire colonial enrôlés et montés au front de la Première Guerre mondiale aux côtés des soldats français est bien connue, celle des travailleurs coloniaux l’est beaucoup moins. Laurent Dornel, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Pau, s’est intéressé aux quelque 220 000 Algériens, Marocains, Tunisiens, Malgaches, Indochinois (et même Chinois, bien que ceux-ci ne soient pas issus d’une colonie) sollicités par la France pour faire tourner ses usines, son agriculture, ses travaux publics et ses ports entre 1914 et 1918.
Contrôle et surveillance permanents
L’auteur explore dans son ouvrage Indispensables et indésirables, les travailleurs coloniaux durant la Grande Guerre, la construction administrative d’une classe de travailleurs à part. La gestion de ces recrues est militarisée : ils vivent en cantonnement, sont surveillés par des cadres militaires hors de leurs heures de travail, ne sont pas libres de circuler et sont soumis à un régime disciplinaire spécifique. Laurent Dornel s’attache d’ailleurs aussi à détailler les modes de résistance et d’insubordination déployés par ces travailleurs lorsqu’ils se sentent méprisés ou mal traités : désertion du poste de travail, changement de poste non autorisé, grèves spontanées…
L’ouvrage fait surtout resurgir les débats de l’époque. Car si la France a besoin de cette main-d’œuvre d’outre-mer, les administrations coloniales, elles, craignent que ces recrutements déstabilisent leurs économies. Elles s’inquiètent aussi que leurs indigènes reviennent de l’Hexagone, une fois leur mission accomplie, avec en tête des envies d’indépendance. On s’inquiète même des amours interraciales qui découleront inévitablement de telles migrations…
Laurent Dornel – qui a précédemment publié deux ouvrages sur les travailleurs étrangers et chinois durant la Grande Guerre, ainsi que sa thèse intitulée La France hostile. Socio-histoire de la xénophobie 1870-1914 (éditions Hachette, 2004) – met ainsi en évidence une véritable volonté officielle de ségrégation qui subsistera au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.