Le visage émacié, le regard baigné de larmes, Gerrit Adriaensen serre chaleureusement les mains qui se tendent. Comme pour embrasser le monde entier. Le remercier. Emu par l’incroyable solidarité rencontrée chemin faisant et par la fin d’un cauchemar enduré depuis trois ans. « Quand Jérôme m’a téléphoné mardi soir pour m’annoncer l’heureuse nouvelle, j’ai dit à Fred : ’J’arrête tout et je redescends !’ Quel bonheur ! » avoue le montagnard de retour hier matin à Perpignan.
Jérôme, c’est le secrétaire général de FO pour le département. « On s’est toujours battu pour Gerrit depuis son licenciement par le groupement d’employeurs. Et on a continué avec la confédération nationale, même après son départ désespéré pour l’Elysée », assure Jérôme Capdevielle. Fier de l’action du syndicat « qui a réussi à faire ressortir le caractère social, humain et exceptionnel du dossier et ainsi rétablir l’ancien berger dans ses droits au chômage ». Fred, lui, c’est l’ami du Lot. Croisé en route après dix ans sans nouvelles et qui a décidé de prêter assistance et soutien à Gerrit Andriaensen. « Il passait les nuits dehors, par terre, dans un sac de couchage trempé. Je lui ai offert de poursuivre la marche ensemble. Au moins, on mettait ses trois paires de chaussures et sa tenue de rechange à l’abri et on avait une voiture pour dormir », raconte Frédéric.
Une « balade » glaciale contre l’injustice
Gerrit écoute attentivement, un sourire pudique aux lèvres. Il repense à ces quinze jours de « grande balade », comme il dit. A la traversée éprouvante du Larzac, sous la pluie puis la neige, aux moins six degrés ressentis à Clermont-Ferrand, à ses repas composés en majorité de bananes et de litres de lait… Aux multiples détours également d’un parcours de 600 km à raison de 50 par jour, jalonné d’égarements routiers mais aussi d’inoubliables échanges avec ces inconnus « qui m’encourageaient gentiment. Ça fait chaud au cœur même si, de toute façon, je n’aurais pas lâché. Je montais à Paris demander justice et rien n’aurait pu m’arrêter », insiste l’homme au mental d’acier. A la volonté de fer. Rien sauf obtenir gain de cause. « J’ai cotisé pendant 30 ans en France et parce que mes anciens patrons ne m’ont pas délivré une attestation de licenciement dans les temps, on me refusait le chômage, le RSA, tout quoi. C’était pas possible pour moi d’accepter cette situation », assène Gerrit Andriaensen. Un mauvais souvenir.
« La vie recommence »
A 57 ans, il a enfin droit à ses 36 mois d’indemnisation à compter, par rétroactivité, de juillet 2013. « Je vais pouvoir rebondir. Ça m’ouvre beaucoup de pistes car en Cerdagne quand tu n’as pas d’argent, tu n’as pas de voiture et donc pas de travail », conclut-il en revoyant sa dernière étape. Le village auvergnat de Saint-Eloy Les Mines situé à 300 km de sa destination finale initiale, la Capitale. Or le pari étant gagné, Gerrit Andriaensen a préféré rebrousser chemin pour retrouver sa famille. Et prendre au plus tôt rendez-vous avec les services pradéens de Pôle Emploi. La vie recommence.
L’Indépendant – Edition du 6 février 2014 – CORINE SABOURAUD