C’est un combat de longue date mené par FO et plusieurs enquêtes récentes viennent d’en montrer toute la pertinence. Ainsi, dans son dernier livre, intitulé Les Ogres, le journaliste Victor Castanet s’intéresse au secteur de la petite enfance et pointe la face sombre des grands groupes de crèches privées. Appliquant une logique de profit et bénéficiant de mesures de soutien public, ils règnent désormais en maître dans le secteur.
Après le grand-âge, le journaliste Victor Castanet met en lumière les abus et malversations dans le secteur de la petite enfance. Son dernier livre enquête, Les Ogres, montre ainsi la face sombre des groupes de crèches privées, en premier lieu People & Baby. Pour Éric Gautron, secrétaire confédéral en charge de la protection sociale collective, il faut que les choses changent, FO alerte depuis plus de vingt ans sur la problématique des crèches privées. Après trois livres d’enquête, un rapport conjoint IGAS/IGF (inspection générale des affaires sociales et inspection générale des finances) et une enquête parlementaire, il serait temps que les pouvoirs publics s’emparent du sujet, grince le militant.
Les grands groupes et entreprises montrés du doigt dans l’enquête ont mis main basse sur le secteur, et leurs effectifs ont explosé ces dernières années. Entre 2017 et 2021, le nombre de places en micro-crèches fonctionnant à la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) est ainsi passé de 36 000 à 68 000, soit 32 000 places supplémentaires. Un quasi doublement. En revanche, dans le même temps, le nombre de places en établissements publics d’accueil du jeune enfant (EAJE) fonctionnant à la prestation de service unique (PSU) n’a augmenté que de 11 000.
Pour le privé, des dérogations tous azimuts
Les micro-crèches privées bénéficient de mesures bien plus souples que les établissements publics, souligne Éric Gautron, précisant que ce sont des dérogations pointées du doigt par le rapport IGAS/IGF publié le 25 mars 2024. Ainsi, ces micro-crèches sont dispensées de l’obligation d’avoir un directeur d’établissement : si elles doivent désigner un référent technique, celui-ci n’a qu’une quotité de travail de 0,20 ETP. Ce qui signifie que ces structures peuvent fonctionner pendant 80% du temps sans effectif pour encadrer les équipes et assurer le suivi de l’établissement, pointent les inspections. L’effectif minimal au sein de la crèche est plus souple aussi que pour les structures publiques : alors que dans une micro-crèche, un seul professionnel peut accueillir simultanément jusqu’à 3 enfants, dans les autres EAJE, le taux d’encadrement est de deux adultes dès le premier enfant accueilli.
Pour les auteurs du rapport, cette réglementation assouplie pour le privé est particulièrement attractive dans un contexte de pénurie de professionnels de la petite enfance et permet d’abaisser les coûts des structures, mais fait peser un risque sur la qualité de la prise en charge. Éric Gautron confirme : Il apparaît clairement que les micro-crèches fonctionnant à la PAJE bénéficient d’une réglementation plus avantageuse.
Quand les modes de tarification et de financement favorisent le privé…
L’assouplissement des règles, et qui profite au secteur privé, apparaît jusque dans la tarification. Alors que la PSU permet d’appliquer un tarif correspondant aux revenus des familles, ce qui garantit ainsi une égalité de traitement et d’accès au service de crèches, ce n’est pas le cas des micro-crèches privées fonctionnant à la prestation PAJE. Celles-ci sont cependant financées indirectement par le « Complément de libre choix du mode de Garde – structure », une prestation versée directement aux familles par la Sécurité sociale. En ne bénéficiant pas de la PSU, les micro-crèches PAJE n’ont pas d’obligation par ailleurs d’appliquer une tarification modulée, soucieuse du reste à charge des familles. Ainsi, ces établissements marchands fixent leurs tarifications comme bon leur semble (dans la limite de 10 € de l’heure). Avec l’effet conjugué de ce mode de financement et d’une réglementation assouplie, les grands groupes peuvent à la fois baisser le coût de fonctionnement de leur structure tout en maximisant leurs profits. À la fin, ce sont les enfants qui pâtissent d’une qualité d’accueil au rabais, et les parents qui endurent un reste à charge beaucoup trop important, dénonce Éric Gautron qui insiste sur l’urgence de réglementer le secteur.
Les modes de financement ont contribué à l’essor marqué de ce secteur privé, vers lequel les collectivités locales se sont tournées, pour des raisons d’économies budgétaires. Dans le cadre de la PSU, 66% du prix de revient plafonné est pris en charge par les CAF, mais les dépenses restantes sont à la charge du gestionnaire de l’EAJE. Pour les collectivités locales, cela implique un financeur complémentaire pour les dépenses de fonctionnement, le plus souvent elles-mêmes. C’est par souci d’économie dans la prise en charge restante du coût de revient que les collectivités ont préféré se désengager de la gestion des crèches fonctionnant à la PSU dans leur commune. explique Éric Gautron.
La dégradation des conditions d’accueil et de travail
Quelle est la responsabilité de l’État dans la situation actuelle ? Au-delà des dérogations gracieusement accordées aux micro-crèches fonctionnant à la PAJE, l’État se distingue par une inaction coupable, souligne FO. Sans compter que les métiers de la petite enfance, cependant considérés comme pénibles, sont peu reconnus notamment au plan des rémunérations, précise Éric Gautron.
Pour FO, c’est tout le fonctionnement du secteur qu’il faut revoir. Pour le secrétaire confédéral, la situation délétère dans laquelle se trouve le secteur, tant en matière de conditions de travail que de pénurie de professionnels ou encore de qualité de service, est avant tout le résultat de décisions politiques désastreuses. Éric Gautron cite en exemple l’arrêté du 29 juillet 2022, autorisant les EAJE à recruter, sous certaines conditions, jusqu’à 15% de non professionnels c’est-à-dire n’ayant ni diplôme, ni expérience. On peut faire le parallèle avec les jobs dating de l’Education nationale. Sous prétexte de la pénurie de professionnels qui s’aggrave, les bébés se retrouvent entre les mains de personnes non qualifiées. Mais la gestion d’un enfant en bas âge n’est pas à la portée du premier venu, c’est un métier à part entière, et le manque de personnel ne peut pas tout justifier toutes les mesures. Et ce type de disposition relève d’une atteinte à la reconnaissance des métiers, et conduit à une dévalorisation des qualifications ainsi qu’à une baisse des salaires.
Cette dégradation dans les conditions d’accueil et des taux d’encadrement est catastrophique pour l’ensemble du secteur de la petite enfance. Nos remontées de terrain sont très inquiétantes à ce sujet. D’abord, pour les bébés qu’on laisse pleurer dans les lits sans pouvoir changer leur couche, mais aussi pour les salariés placés dans une situation de surcharge professionnelle, avec des risques accrus pour leur santé, tant sur le plan physique (TMS) que psychosocial (stress, burn-out…). Ce sont des métiers difficiles, avec énormément de pénibilité. Sans compter que cette logique de rentabilité, propre au privé, ne peut favoriser l’attractivité des métiers dans ce secteur, puisque tout y est fait pour ramener les coûts vers le bas (que ce soit la masse salariale, les plans de formations, l’investissement dans la rénovation des locaux, etc.).
Réglementation, contrôles, sanctions… Les revendications de FO
Des pistes pour améliorer et encadrer le secteur, les militants FO n’en manquent pas. Ils ne cessent d’ailleurs de rappeler leurs revendications. Nous demandons une réglementation plus stricte pour l’ouverture des micro-crèches relevant du secteur privé notamment celles qui fonctionnent à la prestation d’accueil du jeune enfant, précise Éric Gautron, estimant que les CAF pourraient avoir un rôle prescripteur. La confédération demande également une harmonisation dans la qualité d’accueil, ce qui nécessiterait d’imposer dans le privé les mêmes normes que celles qui s’appliquent aux crèches publiques fonctionnant à la PSU.
Dans un souci d’améliorer et de rendre effectif les contrôles, il est nécessaire aussi de renforcer les moyens humains et matériels de la PMI (protection maternelle et infantile), chargée de ces contrôles. FO exige ainsi l’application de la proposition n°4 du rapport IGAS/IGF qui préconise d’instaurer une fréquence minimale de contrôle par la PMI (au moins une fois tous les deux ans) et d’imposer une nouvelle visite dans les six mois en cas de manquements constatés.
En parallèle des contrôles, il est plus que nécessaire de renforcer les sanctions contre les crèches ne respectant pas la réglementation applicable : suppression et remboursement des aides publiques (CAF, collectivités…) ; mise en place de pénalités administratives extrêmement lourdes et dissuasives, et saisine automatique des procureurs dans les cas où la santé et la sécurité mettent en danger les enfants et le personnel…. Le cadre actuel prévoit des sanctions relevant soit de l’injonction, soit de la fermeture temporaire de l’établissement. Dans les faits, ces sanctions sont très peu appliquées, constate le secrétaire confédéral. Si la loi pour le Plein emploi (loi du 18 décembre 2023) prévoit, en matière d’accueil du jeune enfant, un renforcement des sanctions en cas de menace pour la santé physique ou mentale des enfants, ces nouvelles sanctions ne sont pas encore applicables en raison d’un retard dans la parution des décrets d’application.
Au nom de FO, Éric Gautron indique qu’il se saisira des auditions et discussions autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (PLFSS 2025) pour amener le gouvernement à se pencher sur le secteur de la petite enfance afin de le réguler. On sera là pour pousser pour un changement. Et nous ne serons pas les seuls : derrière nous, il y a les professionnels et les parents, et leur parole se libère.