États-Unis : Hécatombe chez les fonctionnaires

Des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires ont été supprimés en trois mois aux États-Unis, souvent sans discernement, mettant en danger la santé et l’accès aux droits des Américains. Le président Donald Trump veut également mettre un terme aux négociations collectives avec les syndicats dans la plupart des agences gouvernementales. Les organisations syndicales se mobilisent pour contrer ces attaques.

La saignée en cours chez les fonctionnaires fédéraux américains est d’une violence sans précédent. D’après le décompte du quotidien de référence The New York Times, en trois mois de mandat du président Trump, 56 000 emplois ont déjà été supprimés, 150 000 postes supplémentaires sont dans le viseur de l’administration, et 75 000 personnes ont choisi de saisir l’opportunité d’une sorte de rupture conventionnelle (buyout) plutôt que d’attendre que leur sort soit décidé par d’autres.

Cette purge, dénoncée haut et fort par les organisations syndicales américaines, est orchestrée depuis le « Département de l’efficacité gouvernementale » (Doge), créé par décret par Donald Trump et officieusement dirigé par le milliardaire Elon Musk, sans autre mandat légal que celui d’« employé spécial du gouvernement » – un titre qui ne contraint pas son porteur à déclarer publiquement ses intérêts financiers. Dans le viseur de l’homme d’affaires : un État fédéral jugé source de gaspillage et de réglementations empêchant le libre business. Son ambition affichée est d’alléger le budget de l’État de 1 000 milliards de dollars de dépenses annuelles jugées superflues.

Des décisions à l’aveugle

Les effets considérables de ces décisions sont encore méconnus. Les vagues de licenciement de Musk se font à l’aveugle, il ne se préoccupe pas du tout des conséquences de ce qu’il fait, estime Branislav Rugani, secrétaire confédéral du secteur international chez FO. Ainsi certaines agences ont dû réintégrer en urgence des salariés spécialistes des épidémies ou de la sûreté nucléaire licenciés dans les jours précédents, se rendant compte tardivement de leur caractère indispensable.

La violence de la méthode adoptée par les hommes d’Elon Musk attise en outre la colère des organisations syndicales. De nombreux fonctionnaires n’ont appris leur licenciement qu’en arrivant un matin au travail et en constatant que leur badge d’accès ou leurs codes intranet ne fonctionnaient plus. Les personnes ciblées sont souvent en période d’essai, c’est-à-dire recrutées récemment ou ayant pris un nouveau poste – quand bien même ils seraient fonctionnaires de carrière depuis vingt ans.

De quoi faire réfléchir sur l’intérêt du statut d’agent de l’État. Heureusement, on a encore ça en France, cette protection du Statut, mais elle diminue de plus en plus, pointe Branislav Rugani. Les nouveaux embauchés sont souvent des contractuels.

La Santé et l’Éducation mises à mal

Parmi les agences fédérales les plus touchées, les ministères de l’Éducation et de la Santé paient un lourd tribut. Les effectifs de ce dernier sont passés de 82 000 à 62 000 personnes : 10 000 suppressions de postes et 10 000 départs volontaires ou départs à la retraite anticipés. Le ministre de la Santé, Robert F. Kennedy Jr, a ainsi annoncé sa volonté de lutter contre la prolifération bureaucratique. Des décisions qui surviennent dans le contexte d’une crise sanitaire d’envergure causée par le retour de la rougeole, déjà responsable de deux décès – les premiers aux États-Unis depuis une décennie.

Ces « coups de tronçonneuse » sur le modèle argentin mettent tous les Américains en danger, en affaiblissant nos défenses contre les épidémies, les médicaments non sûrs et les aliments contaminés, a averti Everett Kelley, le président de la Fédération américaine des employés du gouvernement (AFGE), le plus grand syndicat de fonctionnaires. Le 5 avril, de grandes manifestations se sont tenues à travers le pays, jusque dans des bastions conservateurs comme l’Utah, sous le slogan « Bas les pattes ». Les organisations syndicales ont également déposé ces dernières semaines un grand nombre de recours en justice pour contester les licenciements.

Au moins deux juges fédéraux se sont d’ailleurs prononcés pour la réintégration immédiate de dizaines de milliers de fonctionnaires, rejetant les raisons de performance invoquées par l’administration Trump. Mais dans un cas, une Cour d’appel est revenue sur cette décision, et dans l’autre c’est la Cour suprême – à majorité conservatrice, car les juges y sont nommés par le président – qui a annulé les réintégrations, ouvrant la voie à toujours plus de coupes.

Un décret pour mettre fin à la négociation collective

Les attaques contre les droits des travailleurs ne s’arrêtent pas là. Fin mars, Donald Trump a signé un décret visant à mettre fin aux négociations collectives avec les syndicats dans les ministères assurant des missions relatives à la sécurité nationale – entendues au sens large, c’est-à-dire concernant la plupart des agences fédérales. Les travailleurs qui s’assurent que l’on peut manger notre nourriture en toute sécurité, qui s’occupent de nos vétérans de guerre, qui nous protègent des urgences de santé publique et bien plus, n’auront désormais plus voix au chapitre ni la capacité de s’organiser avec leurs collègues pour fournir efficacement les services sur lesquels le public compte, a fustigé la Fédération américaine du Travail (AFL-CIO). L’organisation voit dans cette décision présidentielle des représailles : Il est clair que ce décret est une punition envers les syndicats qui mènent le combat en justice contre les actions illégales de l’administration – et une tentative flagrante de nous réduire au silence.

Les coups de serpe budgétaire voulus par l’administration Trump ne s’arrêtent pas aux frontières du pays. L’agence américaine pour le développement (USaid) a vu la quasi-intégralité de ses effectifs licenciés, un préalable à son démantèlement pur et simple. Fondée en 1961, elle supervisait des programmes humanitaires et de développement, pour un budget représentant moins de 1% du budget fédéral. Selon le New York Times, plusieurs consulats sont également voués à la fermeture d’ici l’été. Le tout dans un contexte où d’autres mesures sont portées par le gouvernement, telles la hausse des tarifs douaniers ou l’expulsion massive de personnes migrantes.

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