La filiale française du géant suédois de l’ameublement est accusée d’avoir eu recours à des pratiques illégales pour surveiller à grande échelle des salariés, et notamment des délégués syndicaux. FO avait saisi la justice début 2012 pour utilisation frauduleuse de données personnelles. Le procès s’est ouvert le 22 mars à Versailles.
L’affaire avait fait grand bruit. L’existence présumée d’un vaste système d’espionnage et de surveillance de salariés, de représentants syndicaux et même de clients mécontents par la filiale française d’Ikéa avait été révélée début 2012 par plusieurs journaux. Le syndicat FO avait saisi la justice afin que toute la lumière soit faite sur ces pratiques illégales. Il avait porté plainte contre X pour utilisation frauduleuse de données personnelles.
Après plus de huit ans d’instruction, le procès s’est ouvert le 22 mars devant le tribunal correctionnel de Versailles. Selon l’AFP, l’entreprise Ikéa France, poursuivie comme personne morale, encourt une amende pouvant atteindre 3,75 millions d’euros. Une quinzaine de personnes sont également sur le banc des accusés. Parmi elles, deux anciens P-DG de l’entreprise, des directeurs de magasin. Elles sont notamment poursuivies pour collecte et divulgation illicite d’informations personnelles, violation du secret professionnel ou recel de ces délits. Pour certains d’entre eux, la peine encourue peut aller jusqu’à 10 ans de prison. Il y a face à eux 74 parties civiles.
Renseignements confidentiels et espionnage
Il est reproché à l’enseigne d’avoir recueilli illégalement des informations confidentielles sur des centaines de personnes dans tout le pays : des salariés, des délégués syndicaux, des candidats à l’embauche, et même des clients insatisfaits. Les recherches d’informations portaient aussi bien sur les antécédents judiciaires des personnes ciblées que sur leur train de vie.
Pour parvenir à ses fins, Ikéa France aurait fait appel à des officines privées pour obtenir des renseignements confidentiels provenant du fichier STIC (système de traitement des infractions constatées) de la police nationale. Dans le coup également, des policiers ou ex-policiers, des taupes, des infiltrés et même des comédiens. La pratique aurait démarré au début des années 2000, mais les poursuites judiciaires portent sur la période 2009-2012.
Les délégués FO étaient particulièrement visés. La presse avait ainsi révélé en 2010-2011 l’infiltration de deux faux salariés dans le magasin de Franconville (Val-d’Oise) où FO était très bien implantée et à l’origine d’une grève massive en 2010. Ces infiltrés auraient été chargés de gagner la confiance de leurs collègues et de rapporter leurs faits et gestes à la direction.
On savait que c’était une entreprise qui n’aimait pas les syndicats et que nous étions sous surveillance, mais pas à ce point-là, réagissait à l’époque Serge Fernandes, délégué syndical FO et membre du comité central d’entreprise d’Ikea France. Tous les délégués sont régulièrement attaqués, mais FO est la cible principale car on est le syndicat le plus actif, on mène les négociations.
Plus de 700 000 euros dépensés
La direction avait d’abord plaidé l’innocence avant d’admettre des pratiques contraires à son éthique et ses valeurs
, portant notamment atteinte à la vie privée. Après la découverte de l’affaire, quatre dirigeants d’Ikéa France avaient été licenciés.
Étant donné les sommes dépensées, plus de 700 000 euros, on ne peut pas parler d’acte isolé de managers ou d’un directeur d’établissement, cela se passait forcément à l’échelle de l’entreprise
, estime David Malézieux, secrétaire adjoint de la section fédérale du commerce à la fédération FEC-FO.
Le procès doit durer deux semaines, jusqu’au 2 avril. David Malézieux en attend deux choses : comprendre quels étaient les objectifs d’Ikéa avec ce procédé, et une condamnation de l’entreprise pour que ce genre de pratique ne se reproduise plus. Il voit aussi dans cette affaire un argument de plus pour exiger du gouvernement le retrait de la loi sécurité globale, qui autorise à ficher une simple appartenance syndicale.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly