L’emploi serait solide, conforté. Les salaires connaîtraient des hausses notables et le pouvoir d’achat se porterait de mieux en mieux. Le chômage poursuivrait sa trajectoire de baisse, la nouvelle structure France Travail accompagnerait mieux les chômeurs. La présence de services publics sur le territoire se serait largement améliorée grâce au développement des Maisons de services… Reste qu’au vu de diverses études, la réalité est loin de cette version rose bonbon servie par l’exécutif. Le marché du travail est à l’image de la croissance : fragile. Les hausses de salaire, modérées et variables selon les secteurs, marquent un recul en 2024. Et cela menace de se reproduire en 2025. Par ailleurs, celles enregistrées les années précédentes sont loin d’avoir compensé intégralement les pertes dues à l’inflation forte. Les chiffres du chômage soulignent entre autres, eux, une situation de précarité des emplois qui perdure. La structure France Travail, remplaçant Pôle emploi, mais sans plus de moyens, est quant à elle sous le feu des critiques. Concernant les espaces France Services, dont l’essor est salué par la Cour des comptes, ils peinent par leur offre à faire oublier qu’ils tentent de pallier la destruction des implantations de services de proximité et de pleine compétence sur le territoire depuis une vingtaine d’années. Retour sur ces sujets majeurs que FO met sans cesse dans la lumière par ses revendications.
Services publics de proximité : retours en trompe-l’œil sur le territoire
L’objectif, c’est l’efficacité de la dépense publique, et qu’il faille diminuer l’emploi public dans certains domaines, ça me semble évident, déclarait en 2018 le Premier ministre, Édouard Philippe, visant 120 000 suppressions d’emplois publics via une nouvelle réorganisation territoriale des services de l’État. Avant cela, il y avait eu la RGPP (2007-2012), puis la RéATE, la MAP, la loi Maptam, la loi NOTRe… Un déluge de réformes conduisant à la réduction de voilure des services publics, notamment ceux de proximité. En 2013, FO soulignait la suppression sur six ans et dans chaque département de deux tiers des effectifs publics. Ce mois de septembre, un rapport de la Cour des comptes indique lui qu’entre 2019 et 2022, 839 postes comptables ont été fermés. Quatorze pour cent des effectifs dans l’administration territoriale de l’État (11 000 ETPT) ont disparu entre 2010 et 2022, en particulier dans les préfectures et sous-préfectures.
Même ces espaces fourre-tout ont besoin de moyens !
Les « Maisons de services publics » (qui changeront ensuite de nom, perdant vite en leur fronton le terme de services publics…) prétendent elles contrer, depuis plus de vingt ans (loi du 12 avril 2000), la perte de services publics sur le territoire. Elles rassemblent des services/opérateurs (Poste, impôts, agences pour l’emploi, caisses d’allocations familiales, etc.) avec des prérogatives partielles et souvent ces structures ne sont ouvertes que quelques heures par semaine. Dénommées désormais « Espaces France services » (2 840 sur le territoire avec seulement 7 000 « conseillers »), elles sont saluées par la Cour des comptes, vantant dans son rapport le gain quantitatif et qualitatif de cette offre, avec un nombre de demandes traitées passé de 1,17 million en 2020 à près de 9 millions à la fin de l’année 2023. Mais les moyens de ces structures restent limités, remarque la Cour qui préconise entre autres une hausse du financement du programme. En 2024, il n’est que de 350 millions d’euros (dont environ 113 millions au titre du budget général de l’État, représentant moins de 1 % des crédits de paiement de la mission Cohésion des territoires). Et le rapport de noter que la charge financière pèse toujours davantage sur les porteurs locaux que sur l’État et ses opérateurs…
France Travail : IA et automatisation pour pallier le manque de moyens
Au 1er janvier 2025, en application de la loi Plein emploi, tous les demandeurs d’emploi, y compris les allocataires du RSA, les jeunes inscrits auprès des missions locales et les travailleurs en situation de handicap, seront automatiquement inscrits à France Travail. Et le versement du RSA sera conditionné à quinze heures d’activité obligatoire, ce qui nécessitera un accompagnement renforcé pour un public particulièrement éloigné de l’emploi. Paradoxalement, alors que la charge de travail va mathématiquement augmenter pour les agents du fait de ces nouvelles missions, ce sont des suppressions de postes qui se profilent au sein du service public de l’emploi. On nous parle de gains d’efficience supplémentaires avec des réductions ou des redéploiements d’effectifs à hauteur de 2 300 postes équivalent temps plein travaillé (ETPT) en 2027 et un triplement des contrôles de recherche d’emploi sans renforts, soit l’équivalent de 600 ETPT, alerte Natalia Jourdin, déléguée centrale FO à France Travail.
La militante s’est battue pour obtenir ces informations, qui ne figuraient pas dans le document transmis aux syndicats en amont d’un CSE central extraordinaire le 28 août. Il n’y avait rien sur les conséquences des orientations stratégiques sur l’activité, l’emploi, l’organisation du travail, la GPEC. La direction a peur de dévoiler ses cartes car elle sait que ce qui se prépare est gravissime, explique Natalia Jourdin, qui rappelle que le CSEC n’a pas été consulté sur les orientations stratégiques depuis… 2019, malgré une obligation triennale.
Il est urgent de donner à l’institution un budget adapté à ses missions
Sur proposition de FO, le CSEC vient de voter une demande d’expertise, à l’unanimité moins une abstention. Sont notamment attendus des éléments sur les effets du recours croissant à l’intelligence artificielle (IA) et à l’automatisation pour ces fameux gains d’efficience. En juillet, FO avait condamné la volonté de plus en plus décomplexée d’introduire l’IA dans tous les actes métiers, y compris ceux à forte valeur ajoutée comme l’analyse de poste. Natalia Jourdin redoute le remplacement à terme de la dimension conseil du métier.
On ne veut pas que demain, le métier de conseiller consiste à trier des demandeurs d’emploi, tandis que l’orientation se ferait par l’IA, prévient la militante. Pour FO, en aucun cas l’IA ne peut justifier une quelconque baisse d’effectifs. Au contraire, il est urgent de donner à l’institution un budget adapté à ses missions, ses enjeux, au travers en particulier d’effectifs largement revus à la hausse. Natalia Jourdin alerte aussi sur la souffrance vécue par les agents du fait de la méthode de travail et la dégradation du service rendu aux demandeurs d’emploi. Elle s’appuie sur une étude menée par plusieurs chercheurs en 2023, et parue en août sur le site de la Dares. Ces travaux définissent scientifiquement ce que nous dénonçons depuis longtemps : la déshumanisation de la relation du fait de l’automatisation, les injonctions paradoxales pour faire à la fois de la qualité et de la quantité, la pression sur les salariés, les transformations continues…
L’inflation ralentit mais les augmentations de salaire aussi
C’est une « première » depuis 2021, et une bonne nouvelle pour les salariés : la pression sur les porte-monnaie se réduit un peu. Après deux années de hausse des prix dans des proportions inédites depuis le début des années 1980, l’inflation des douze derniers mois est repassée cet été sous la barre symbolique des 2 %, a révélé l’Insee : en août, les prix à la consommation n’ont augmenté que de 1,8 %, sur un an, après une année 2022 conclue à + 5,2 % et une année 2023 à + 4,9 % (en moyenne annuelle). Cette rentrée fait date.
La conjoncture salariale s’assombrit
Sauf que ce ralentissement des prix à la consommation s’accompagne aussi d’un ralentissement des augmentations de salaire. Depuis le quatrième trimestre 2023, le salaire mensuel de base (SMB) dans le secteur privé augmentait plus vite que les prix. C’est toujours le cas, mais dans une moindre mesure, ce qui amenuise le gain de pouvoir d’achat des travailleurs. Selon les dernières données du ministère du Travail, au cours du deuxième trimestre 2024, le SMB (qui représente le salaire brut avant déduction des cotisations sociales et versement des prestations sociales, des primes ou des heures supplémentaires/complémentaires) a augmenté de + 2,9 % sur un an, après + 3,3 % le trimestre précédent. À la fin juin, le SMB avait ainsi progressé de 0,8 % en euros constants sur un an. Mais cette revalorisation n’a pas été identique selon les catégories socio-professionnelles. Sur un an, toujours en euros constants, le SMB a augmenté de + 1,4 % pour les ouvriers (en raison de la revalorisation automatique du Smic du fait de l’inflation), de + 0,5 % pour les employés et de + 0,6 % pour les cadres. Cette revalorisation a aussi été inégale selon les branches professionnelles : l’industrie a connu la plus forte hausse du SMB (+ 1,3 %). Dans la construction et le secteur tertiaire, celle-ci a été deux fois moins élevée (+ 0,7 %).
Sachant que le retard accumulé par les salaires depuis le début de l’épisode d’inflation est très loin d’être comblé et que 17,3 % des salariés sont rémunérés au Smic (en 2023, contre 12 % deux ans plus tôt), ce ralentissement des augmentations de salaire obscurcit la rentrée. Cela renforce la détermination de FO à exiger l’ouverture de négociations sur les salaires, sur les classifications (pour contrer le tassement des grilles) et le retour de l’échelle mobile des salaires. Laquelle permettrait la fixation d’écarts entre chaque échelon, chacun étant indexé sur l’inflation. FO continue aussi d’exiger une hausse du salaire minimum légal, dont le montant est insuffisant pour vivre dignement.
Sur fond de croissance incertaine, inquiétudes pour l’emploi salarié privé
Alors que la croissance de la France se révèle moins soutenue qu’annoncée (la hausse du PIB ayant été réajustée à + 0,2 % au deuxième trimestre 2024), l’emploi intérimaire continue de reculer dans le secteur privé. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les spécialistes, l’emploi intérimaire étant considéré comme un indicateur avancé de l’état de santé du marché du travail. Ce fléchissement n’est certes pas une nouveauté : l’emploi intérimaire (contrats de travail temporaire et CDI intérimaires) baisse depuis janvier 2023. Sauf que ce recul s’accélère. Au printemps 2024, le nombre d’intérimaires a diminué nettement (- 2,2 %). Cela correspond à la suppression de 16 200 emplois sur la période, après la suppression de 3 900 emplois au trimestre précédent. Sur un an, la baisse atteint 6,4 %, soit 50 400 emplois en moins et cela dans l’ensemble des secteurs, indiquent les statisticiens du ministère du Travail dans leur note. Ainsi, l’industrie a enregistré une baisse de 3,1 % de l’emploi intérimaire au deuxième trimestre 2024, la construction de 3 % et le secteur tertiaire de 1,2 %. Logiquement, cette situation a eu des effets sur l’emploi salarié privé. Il a légèrement baissé, de – 0,1 %, au deuxième trimestre 2024. Ce qui correspond à la perte de 28 500 emplois et reflète une détérioration.
Malgré le fléchissement de l’emploi, l’austérité annoncée des dépenses pour le soutenir
Sans compter que les mauvaises nouvelles sont tombées dru cet été. La liquidation judiciaire du distributeur de prospectus publicitaires Milee (ex-Adrexo, 5 000 salariés), la finalisation du plan social du distributeur Casino (2 029 suppressions de postes dans les magasins non cédés et 740 dans la filiale logistique Easydis), ou encore l’annonce d’un plan social chez Lapeyre (200 suppressions d’emplois), pour ne citer qu’eux.
Malgré cette croissance faiblarde et le fléchissement de l’emploi salarié privé, la « lettre plafond » envoyée le 20 août par le Premier ministre démissionnaire au ministre du Travail, également démissionnaire, impose à celui-ci un sacré coup de rabot dans ses crédits 2025. Pas moins de 3 milliards d’euros devraient être économisés dans la mission « Travail et emploi », laquelle était dotée de 22 milliards dans le budget 2024. Ces économies concerneraient en priorité les aides à la formation, l’apprentissage et la réforme France Travail. Elles restent évidemment suspendues aux arbitrages du nouveau Premier ministre. À l’heure où nous bouclons, ils ne sont pas connus.
Actualité du chômage et prévisions : pas de quoi pavoiser !
Le chômage, à 7,3 % de la population active au deuxième trimestre, confirmerait sa tendance à la baisse, ainsi que le martèle l’exécutif depuis des mois ? Rien d’évident. Fin juillet, la Dares (direction du ministère du Travail) indiquait qu’en métropole 5 112 700 demandeurs d’emploi étaient inscrits à France Travail dans les catégories A, B et C. Leur nombre a reculé de 0,2 % sur le trimestre mais a augmenté de 0,8 % sur un an. Sur cet effectif, 2,8 millions (près de 55 %) étaient en catégorie A, soit sans aucune activité. La hausse de cet effectif sur un an (+ 0,3 %) est moindre que celle établie sur les trois catégories confondues (+ 0,8 %). Ce qui indique l’importance des catégories B et C. Elles comprennent les demandeurs d’emploi exerçant une activité réduite. En catégorie B, 78 heures au maximum par mois. En catégorie C, plus de 78 heures. Toutes ces personnes subissent donc des emplois précaires et entre autres des contrats courts, de moins de 31 jours. Contrats dont le nombre a été multiplié par 2,5 en vingt ans note l’Unédic. Situation qui indigne FO qui, plus largement, s’oppose à un durcissement des conditions d’indemnisation des demandeurs d’emploi et demande l’application de la convention sur l’Assurance chômage signée en novembre dernier par les interlocuteurs sociaux.
Un doublement de la précarité du travail en quarante ans
Si l’effectif de demandeurs d’emploi en catégorie C diminue légèrement, de 0,3 % sur un an, celui de la catégorie B augmente de 4,5 % (+ 35 600 personnes). L’effectif total de ces deux catégories (plus de 2,3 millions de personnes) a augmenté de 1,4 % sur an. Ce qui renvoie au problème de la qualité des emplois. La baisse du taux de chômage aurait dû entraîner une diminution des contrats courts au profit des contrats à durée indéterminée. Mais la baisse du nombre de demandeurs d’emploi est en réalité liée, pour partie, à une hausse considérable de l’apprentissage, note dans une récente étude le Centre d’observation de la société (bureau d’études économiques de Compas), s’appuyant sur les données Insee. Plus largement, 16 % des emplois salariés ont un statut précaire en 2023 (intérim, contrats à durée déterminée ou d’apprentissage). Cela traduit un doublement de la précarité du travail en quarante ans. Les peu diplômés, les jeunes et les femmes en sont particulièrement victimes. Quant à l’évolution du chômage, en juin dernier la Banque de France prévoyait un pic à 7,9 % fin 2025. Conforme à l’analyse d’avril des économistes de l’OFCE, prévoyant un taux de chômage autour de 8 % fin 2024 et en 2025. Le Secours populaire vient lui d’indiquer d’ores et déjà, dans son baromètre annuel, un nouvel accroissement de la pauvreté en France.