Pour finir de préparer la SNCF à l’ouverture à la concurrence impulsée par les directives européennes depuis une trentaine d’années, la réforme de 2018 (la troisième depuis 1997) a transformé les EPIC [*] qui la composaient en sociétés anonymes à capitaux publics. Cette métamorphose est effective depuis le 1er janvier 2020, date, aussi, à partir de laquelle les cheminots nouvellement embauchés ne sont plus couverts par le statut.
Du 4 au 10 décembre, près de 140 000 cheminots sont donc appelés à élire leurs représentants dans les conseils d’administration de ces sociétés anonymes : la société mère SNCF, SNCF Réseau, SNCF Gares et Connexions, et SNCF Voyageur (Fret SNCF n’a pas de conseil d’administration en raison de sa forme juridique : il s’agit d’une société par actions simplifiée). De plus, les entreprises de transport et de logistique Géodis et Kéolis étant des filiales du groupe SNCF rattachées à la société mère, leurs salariés sont également appelés à élire les administrateurs salariés de cette dernière.
Dans un contexte de crise sanitaire et d’ouverture à la concurrence
Ce scrutin va se dérouler dans un contexte marqué par la crise sanitaire, mais aussi par l’entrée dans la dernière phase de l’ouverture à la concurrence. Après le fret en 2003 et 2006, puis le transport international de voyageurs en 2009, c’est en effet désormais le tour du transport intérieur de voyageurs.
Fortement impacté par le premier confinement, le trafic ferroviaire l’a de nouveau été par le reconfinement de cet automne, qui, bien que moins drastique, a induit la circulation de seulement 30% des TGV dont 60 à 70% des sièges restent inoccupés. Fin septembre, selon la direction de la SNCF, la perte de marge opérationnelle était déjà de 4 milliards d’euros.
L’année sera évidemment très mauvaise
, a averti son P-DG, Jean-Pierre Farandou, dans une interview accordée au quotidien Le Figaro du 16 novembre. Mais, assure-t-il dans dix ans, toutes les activités de la SNCF seront rentables : le voyageur comme le fret
.
Un service public ne cherche pas la rentabilité, rappelle FO
Des propos qui font bondir la fédération FO Cheminots. Cela veut notamment dire que des petites lignes vont être abandonnées puisque le coût de leur entretien n’est pas rentable au vu du nombre de voyageurs transportés. Pourtant elles contribuent à l’aménagement du territoire !
appuie le secrétaire adjoint de la fédération, Daniel Ferté pour qui cela signe la fin du service public
. Et de rappeler qu’un service public ne cherche pas la rentabilité
.
Déjà en 2019 le rapport du préfet François Philizot missionné par la ministre des Transports de l’époque, Elizabeth Borne, pour définir une stratégie pour les dessertes fines des territoires reconnaissait : Les fermetures non concertées ou sans mise en place d’autres offres de mobilité et les imitations temporaires de vitesse alimentent un sentiment d’abandon par l’État et SNCF Réseau d’une partie du territoire national
. Le besoin de financement global pour rattraper le retard d’investissement cumulé depuis des dizaines d’années sur les petites lignes était évalué à 7,6 milliards d’euros jusqu’en 2028.
Du côté des grandes lignes, alors que la crise sanitaire et économique pousse déjà la SNCF à diminuer son offre de TGV, cette tendance est vouée à se poursuivre puisque les lignes vont être placées en open access
(accès libre), ce qui signifie que les concurrents de la SNCF, qui auront remportés les marchés auront le droit d’y faire circuler librement leurs trains. La SNCF devra donc leur faire de la place en leur cédant des sillons horaires.
Le mauvais exemple du Fret
Quant au Fret, l’ouverture à la concurrence — et la course à la rentabilité qui en a découlé — a déjà largement fait son œuvre depuis 2006. Le nombre de tonnes/kilomètres de marchandises transportées par le rail est passé de 40 000 milliards en 2006 à seulement 32 000 en 2018. La démonstration est faite que la concurrence
, estime la fédération FO. De plus aujourd’hui, souligne-t-elle, libre et non faussée
chère à l’Union européenne, atrophie le transport ferroviairela transformation de Fret SNCF en société par actions simplifiée va à l’encontre d’un développement pourtant indispensable d’un service public de fret ferroviaire.
De fait, le fonctionnement d’une société par actions simplifiée est beaucoup plus souple ce qui donne davantage de liberté à ses actionnaires que dans une société anonyme ordinaire.
En termes d’emplois, les effectifs de l’activité fret à la SNCF ont déjà lourdement chuté depuis son ouverture à la concurrence, passant d’environ 10 000 salariés au début des années 2000 à quelque 6 000 à l’heure actuelle. Mais la situation va encore s’aggraver, et ce, indépendamment de la crise sanitaire puisque le dernier plan de suppressions d’emplois a été annoncé au début de l’été 2019. En effet, alors que les autorités se sont vantées en 2018 de vouloir relancer le fret grâce au nouveau pacte ferroviaire, cela se soldera au final par quelque 2 000 nouvelles suppressions de postes entre 2020 et 2023 chez Fret SNCF, selon les chiffres communiqués par la direction en juin 2019.
Objectif avoué de la direction : réduire les coûts de production pour gagner en compétivité
Dans son interview au Figaro, M. Farandou indique que dès que la crise est survenue
, un plan d’économies a été mis en place pour en réduire l’impact sur la trésorerie et la dette.
Mais en réalité, là encore, ce plan d’économies avait été annoncé dès le 16 janvier. La direction avait alors prétexté le coût de la grève contre la réforme des retraites. Ils trouvent toujours un prétexte pour réaliser des économies
, réagit Daniel ferté.
La direction de la SNCF avait toutefois assuré en début d’année que ces économies n’entraineraient pas de suppressions d’emplois sur le terrain
, en particulier dans les gares. Et maintenant ? Comme le rappelle son P-DG dans son entretien au Figaro, le fait que le chômage partiel ait pu s’appliquer pour la première fois à la SNCF, a permis à celle-ci d’économiser quelques centaines de millions d’euros sur les salaires.
Il se félicite aussi d’avoir malgré tout poursuivi une politique de recrutements en embauchant 4 000 CDI en 2020. Mais, il prévient : pour avoir une politique de prix accessible, il nous faut absolument baisser nos coûts de production
. Et il précise : Pour les lignes Intercités et les TER, le coût dépend largement de la masse salariale (…) Nous faisons de gros efforts de productivité. Nous aurons réduit l’écart de compétitivité avec nos concurrents d’ici cinq ans.
Il y a en réalité bien longtemps que les effectifs de la SNCF s’érodent d’année en année. Les embauches ne compensent jamais les départs. Nous étions 181 000 cheminots à la SNCF en 2001 quand j’ai été embauché. Nous ne sommes plus que 138 000 environ, résume Daniel Ferté. En 2019 encore, les 5 000 recrutements en CDI n’ont pas empêché la perte de 3 376 emplois (de 142 240 en 2018, les effectifs sont passés à 138 864 en 2019).
Cette décrue dure depuis des décennies alors que pourtant le transport de voyageurs par train n’a lui cessé de croître. Il a ainsi atteint 91,5 milliards de voyageurs-kilomètres en 2018 contre 64 milliards en 1990, alors qu’à ce moment-là la SNCF comptait 65 000 cheminots de plus.
Une dette qui incombe à l’État
Compte tenu de la crise sanitaire, l’effort d’investissement supplémentaire de l’État consacré au transport ferroviaire, dans le cadre du plan de relance présenté le 3 septembre par le gouvernement, va s’élever à 4,7 milliards d’euros entre 2020 et 2022. Une goutte d’eau en regard de la dette de la SNCF.
Celle-ci, qui s’élevait déjà à 46,6 milliards d’euros fin 2017, atteignait 60,3 milliards au 31 décembre 2019. Certes le gouvernement en a repris une partie à sa charge, à hauteur de 25 milliards. Il l’a fait à compter du 1er janvier dernier, c’est-à-dire très exactement à la date où la SNCF est devenue une société anonyme à capitaux publics qui n’embauche plus de cheminot au statut. Le Président Emmanuel Macron l’avait clairement indiqué il y a deux ans : l’État ne reprendrait une part substantielle de la dette, qu’une fois la réforme totalement entrée en vigueur. Et c’est bien ainsi que les choses se sont déroulées.
Il reste que la crise sanitaire, qui elle n’était pas prévue, a entraîné de nouvelles pertes. Résultat : alors que la dette de la SNCF aurait dû être ramenée à 35,3 milliards dès 2020, cela du fait de sa reprise partielle par l’État, elle s’élevait déjà à 38,3 milliards au 30 juin dernier. Il est aussi programmé depuis 2018 que l’État prenne à sa charge une deuxième tranche de dette de 10 milliards d’euros, mais seulement en 2022.
Au vu du niveau d’endettement de l’entreprise, le plan de relance ne change pas grand-chose. Notre revendication reste la même depuis des années : l’État doit reprendre intégralement la dette de la SNCF. Il s’agit bel et bien d’une dette d’État due à de mauvais choix stratégiques, en particulier celui du
tout TGV
, indiquait la fédération FO Cheminots, dès la présentation du plan de relance.
Pour FO-cheminots, seul un service public réunifié et planifié peut répondre aux besoins
Aujourd’hui, une nouvelle aide de l’État ne semble pas être à l’ordre du jour. Il faut qu’on ait un peu plus de visibilité, et l’État décidera en 2021 s’il veut ou peut intervenir sur le capital de l’entreprise
, a indiqué le P-DG de la SNCF.
Des paroles aux antipodes de la revendication de la fédération FO Cheminots d’un retour à un véritable service public de transport ferroviaire adapté aux besoins des différents territoires pour répondre aux besoins réels de la population.
Pour la fédération en effet, cet état des lieux de la SNCF ne fait que confirmer que les contre-réformes successives n’ont eu qu’un but : démanteler l’opérateur historique
. Depuis trente ans, trois réformes, découlant des directives européennes de libéralisation du rail, ont rythmé l’évolution du réseau ferré français nationalisé en 1938.
La première réforme, en 1997, a scissionné la SNCF en deux parties, en créant un Epic, Réseau ferré de France, qui est devenu le propriétaire des voies, des quais, et des postes d’aiguillage. La SNCF, elle, n’a gardé que les parties commerciales et administratives.
En 2014, l’entreprise a cette fois été éclatée en trois Epic. Le nouveau Groupe public ferroviaire (GPF) s’est alors composé de l’EPIC SNCF de tête (services administratifs, patrimoine immobilier, sûreté ferroviaire), d’un EPIC Mobilité (contrôleurs, vendeurs et matériel) et d’un EPIC SNCF Réseau (résultant de la fusion de Réseau ferré France et de la direction des circulations ferroviaires) qui regroupait les conducteurs et le personnel travaillant sur l’infrastructure. SNCF Réseau se chargeait de l’attribution des sillons pour le roulement des trains. Enfin, en 2018, ces trois Epic ont été transformées en cinq sociétés anonymes…
Autant de lois dont la fédération FO n’a cessé de revendiquer l’abrogation, opposant à la dispersion des missions la nécessité de synergie, centralisation et planification
pour assurer le bon développement du transport ferroviaire, ce qui, souligne-t-elle, impose un retour au monopole public d’État du transport ferroviaire.
Accord APLD de la branche : FO-cheminots fait valoir son droit d’oppositionFO Cheminots n’a pas signé l’accord de la branche ferroviaire relatif à l’activité partielle de longue durée (APLD) du 19 novembre qui, explique-t-elle, ne garantit pas notamment le maintien de 100% de la rémunération. Cet accord autorise au contraire les entreprises à imposer une réduction des droits, s’insurge la fédération. L’accord ayant été signé par deux organisations syndicales représentant 30 % des salariés de la branche, FO Cheminots a annoncé ce 25 novembre faire valoir son droit d’opposition. |
[*] Établissement public à caractère industriel et commercial.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly