Arguant de la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises, le gouvernement français réduit la portée des directives sociales européennes lors de leur transposition, déplore Branislav Rugani, secrétaire confédéral au secteur international et Europe de FO, qui participait le 4 octobre à un colloque dédié au dialogue social européen.
Comment les directives européennes sociales vont-elles être transposées en droit national ? Quel rôle les syndicats jouent-ils dans leur transposition ? Comment les entreprises mettent-elles en œuvre les décisions de Bruxelles ? Branislav Rugani, secrétaire confédéral au secteur international et Europe de FO, débattait de ces sujets lors d’une table ronde d’un colloque organisé le 4 octobre à Paris par l’association Réalité du dialogue social (RDS). Et ce colloque se tenait alors qu’au cours de la dernière mandature parlementaire européenne, qui s’est achevée en juin 2024, plusieurs textes ont été adoptés dans le domaine social : sur le salaire minimum, la transparence salariale, les travailleurs des plateformes numériques ou encore la CSRD (indicateurs non-financiers). Les États disposent en général de deux ans pour leur donner force de loi sur leur territoire.
La manière de transposer en droit national n’a rien de neutre. Ainsi constate Branislav Rugani les directives européennes sont transposées à minima en droit français alors que le droit européen dit au contraire que les directives sont faites pour être sur-transposées. Un principe que le gouvernement français rechigne à appliquer au nom de la compétitivité des entreprises. Branislav Rugani relève ainsi que, dans son discours de politique générale, le Premier ministre, Michel Barnier, a mis en garde contre une sur-transposition des directives qui pourrait pénaliser les entreprises et les agriculteurs français.
Des résistances du côté du gouvernement français…
La directive sur le devoir de vigilance des entreprises est un exemple illustratif du problème. Publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 5 juillet 2024, cette directive doit être transposée par les États membres, dont la France, avant le 26 juillet 2026. Ce texte vise à prévenir les impacts négatifs des entreprises et de leurs partenaires sur les droits humains et l’environnement. Et cela peut aller très loin : Jusqu’au dernier rang de la chaîne de valeur, à la limite jusqu’au traitement que réserve le berger à ses moutons, illustre Branislav Rugani. Or, la France freine sur les seuils d’effectifs [des entreprises concernées], quand FO considère qu’il n’y a pas de seuils. Pourtant, la France a été précurseur dans ce domaine puisqu’elle a voté en 2017 une loi sur le devoir de vigilance dans les multinationales, inscrite dans le code du commerce, rappelle-t-il.
… et des directions d’entreprises
Il faut dire aussi que le patronat veille au freinage. La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) exige des entreprises d’avantage de transparence sur leurs impacts environnementaux et sociaux. Rémi Boyer, DRH groupe et directeur général de la filiale allemande de Clariane – propriétaire notamment des maisons de retraite Korian –, estime que cette directive peut être un outil pour faire progresser le social. Mais cependant il s’interroge : pourquoi publier nos chiffres quand les entreprises chinoises n’y sont pas contraintes ?. Et de résumer son point de vue : D’accord pour défendre un modèle social européen, mais il faut voir contre qui on se bat.
Un levier pour les syndicats allemands
Participant aussi cette table ronde, la confédération allemande des syndicats DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund), qui couvre 5,7 millions de salariés, estime-t-elle aussi que la transposition d’une directive européenne en droit allemand doit tenir en compte la compétitivité des entreprises, afin de conserver les emplois des salariés, a souligné sa directrice département Europe et international, Livia Hentschel. En Allemagne – où le droit social est essentiellement négocié dans les branches –, le ministre du Travail compte inclure les syndicats dans le processus de transposition des directives. Déjà, par les directives européennes, nous obtenons des droits, indique Livia Hentschel.
Juste 2 euros au-dessus du salaire minimum
Outre-Rhin, le salaire minimum n’existe que depuis 2015. Et la militante du DGB rappelle que la directive européenne d’octobre 2022 sur les « salaires minimaux adéquats » fixe ces salaires à 60% du revenu médian du pays, soit 14,12 euros de l’heure en Allemagne. C’est 2 euros de plus que le salaire minimum ; nous aimerions pouvoir dire que ces 2 euros ont été obtenus grâce à la directive européenne, explique-t-elle. La même directive prévoit en outre que les États dans lesquels la part des travailleurs couverts par des conventions collectives est inférieure à 80 % doivent agir pour promouvoir la négociation collective. Or, en Allemagne, seuls 49% des salariés sont couverts par une convention collective – contre quasiment 100% en France du fait de l’extension des accords de branche. Nous allons donc demander un plan d’actions pour promouvoir les négociations collectives, appuie Livia Hentschel.
Manque de concertation en France
En France, Branislav Rugani regrette une absence de dialogue avec les pouvoirs publics. Nous demandons que les transpositions de directives en droit français soient concertées [avec les interlocuteurs sociaux], ce qui éviterait de les découvrir une fois qu’elles ont été inscrites dans le code du travail, souligne le secrétaire confédéral FO. Les textes européens, notamment l’article 154 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, prévoient que la Commission européenne consulte les « partenaires sociaux » avant de présenter des propositions dans le domaine social. D’un côté, nous nous investissons dans une directive, de l’autre, nous sommes oubliés au moment de sa transposition, déplore Branislav Rugani. Il rappelle que FO a publié un cahier revendicatif avant les élections européennes, cahier qu’elle a transmis aux potentiels députés ainsi qu’au gouvernement français. FO y revendique avant tout le respect du dialogue social européen, tel que reconnu dans les traités européens, par les institutions de l’UE.