La plateforme britannique de livraison de repas a été condamnée pour travail dissimulé par le Conseil de prud’hommes de Paris. C’est la première décision de justice concernant une plateforme encore en activité.
C’est une première en France pour Deliveroo, et un coup de semonce pour les plateformes numériques de livraison de repas qui prospèrent, en contournant la législation sociale, au motif qu’elles recourraient à des travailleurs indépendants.
Le 4 février, le Conseil de prud’hommes de Paris a requalifié, en contrat de travail, le contrat commercial de prestations de services que la plateforme britannique Deliveroo avait conclu en 2015 avec un livreur à vélo français. Elle a également condamné la plateforme pour travail dissimulé, jugeant qu’elle s’était intentionnellement soustrait(e)
aux formalités relatives aux déclarations de salaire, ou de cotisations sociales.
Ce jugement doit être salué. Il met en lumière la réalité du modèle de ses plateformes, qui contrevient à la législation sociale. La justice montre qu’il ne faut pas leur donner un blanc-seing, contrairement à ce que le législateur tente de faire depuis des années
, commente Béatrice Clicq, secrétaire confédérale au secteur de l’égalité et du développement durable.
Les dérives du législateur
Depuis la loi El Khomri, le législateur n’a cessé de multiplier les tentatives pour protéger les plateformes, plutôt que leurs travailleurs, et sécuriser celles-ci contre l’obligation de salariat.
Rappelons l’amendement au projet de loi Avenir professionnel, introduit mi-2018, qui devait permettre aux plateformes numériques d’établir de manière unilatérale une « charte sociale », définissant droits et devoirs de chaque partie.
Retoqué par le Conseil constitutionnel (non pas sur le fond mais parce qu’il était sans rapport avec la loi), il est réapparu l’an passé dans le projet de loi LOM (loi d’orientation sur les mobilités). Là encore, le Conseil constitutionnel est intervenu : en décembre dernier, il a censuré les dispositions de la « charte sociale » qui permettaient aux plateformes adoptant celle-ci de se protéger des risques juridiques de requalification en salariat.
Ce faisant, il a rappelé que la détermination du champ d’application du droit du travail, et en particulier les caractéristiques essentielles du contrat du travail, relèvent des principes fondamentaux du droit du travail
, et donc du domaine de la loi. Certainement pas du choix d’opérateurs privés. Le message au législateur a été très clair.
Premier jugement contre une plateforme en activité
Dans ce contexte, la condamnation de Deliveroo pour travail dissimulé par le Conseil de prudhommes de Paris apparaît comme un nouveau rappel à l’ordre du législateur. Le jugement fait date, car il est le premier prononcé contre une plateforme de livraisons de repas encore en activité. Présente en France depuis 2015, Deliveroo revendique aujourd’hui quelques 300 livreurs répartis dans 300 villes.
Surtout, ce jugement est la première « traduction » de l’arrêt retentissant du 28 novembre 2018 de la chambre sociale de la Cour de Cassation. Les juges ont requalifié en salarié un autoentrepreneur qui était coursier à vélo pour Take Eat Easy (un concurrent de Deliveroo ayant fait faillite en 2016).
Ils ont considéré que la plateforme par son système de pénalités et de géolocalisation (lui permettant de suivre en temps réel les courses des livreurs et de contrôler les kilomètres parcourus), disposait d’un pouvoir de sanction. Or qui dit pouvoir de sanction dit lien de subordination entre un employeur et son employé : une relation exigeant un contrat de travail. Ces deux éléments étant une caractéristique de nombreuses situations professionnelles sur les plateformes de livraison de repas, l’arrêt devrait ouvrir la porte à de nombreuses demandes de requalification.
L’étau juridique se resserre
Il n’y a pas qu’en France que le statut d’indépendant des coursiers Deliveroo est contesté. En Espagne, le 23 janvier, la plus haute instance du pouvoir judiciaire de Madrid a requalifié en salarié 532 livreurs Deliveroo. Aux Pays-Bas, l’été dernier, un tribunal d’Amsterdam a condamné la plateforme à payer 640 000 euros à un organisme de retraite au titre d’un arriéré de cotisations vieillesse remontant à 2015.
En France, les livreurs à vélo sont de plus en plus nombreux à contester, dans le cadre de collectifs, leurs conditions précaires de travail, en matière de rémunération, de protection de leur santé et sécurité. Tous les livreurs ne sont pas sur le même positionnement. Certains veulent être reconnus comme salariés ; d’autres, non. Dans tous les cas, ils doivent pouvoir bénéficier d’un cadre protecteur digne de ce nom. Il est urgent d’améliorer leurs droits et de leur garantir une protection sociale
, martèle Béatrice Clicq. Pour FO, la réponse ne saurait résider dans les chartes sociales de la loi LOM, adoptée en janvier, mais bien dans le cadre d’accords issus de la négociation collective.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly