Yves Veyrier, Secrétaire général du syndicat Force Ouvrière demande à l’État une négociation interprofessionnelle sur les conditions du télétravail
. Invité de franceinfo, il s’interroge sur le texte de loi sur l’État d’urgence sanitaire validé par le Conseil constitutionnel lundi 11 mai. Selon lui, il y a lieu de s’inquiéter sur les libertés syndicales et sur le droit du travail
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franceinfo : Que pensez-vous de la validation du projet de loi sur l’État d’urgence sanitaire par le Conseil constitutionnel ?
Yves Veyrier : La question de l’État d’urgence sanitaire par analogie à l’État d’urgence prévu par la Constitution interroge. Ainsi, la commission nationale consultative des droits de l’Homme considérait que l’instauration d’un nouveau régime d’exception n’allait pas de soi et il est effectivement interrogeant sur les libertés fondamentales individuelles. Le Conseil constitutionnel a invalidé certaines dispositions relatives au dépistage et au traçage mais il y a lieu de s’inquiéter sur les libertés syndicales comme sur le droit du travail. N’oublions pas que c’est dans le cadre des ordonnances que le gouvernement prévoyait, et peut toujours potentiellement recourir à une dérogation au-delà des 48h de travail hebdomadaires.
Vous trouvez que ça va trop loin ?
Il y avait besoin de mesures exceptionnelles pour faire face à une crise sanitaire, parce que les moyens de protection étaient défaillants ! Il a fallu que les syndicats soient présents à tous les niveaux dans les entreprises pour taper du poing sur la table, arrêter l’activité là où ce n’est pas indispensable, pour mettre en place des parois de protection, pour obtenir des masques et pour faire en sorte que l’organisation du travail permette de respecter les distances physiques. Il fallait des mesures exceptionnelles. Mais de là à s’autoriser à déroger au droit du travail, ce n’était pas nécessaire, loin s’en faut.
Que dites-vous au sujet des moyens mis en place dans les transports en commun pour protéger les salariés ?
Il est difficile de les évaluer parce que l’on savait que pour ce premier jour, et les jours à venir, l’afflux de voyageurs ne serait pas massif. Beaucoup de salariés sont toujours tiraillés entre la peur d’attraper le virus et les fins de mois difficiles, du fait du chômage partiel, et l’inquiétude sur l’emploi de demain. Il y a eu quelques couacs, nous avons vu des images de salariés allant au travail les uns contre les autres, sur la ligne 13 notamment. Mais globalement, les choses se sont passées à peu près correctement. Ce qu’il ne faudrait pas, c’est qu’on se trouve dans des situations où, évidemment les sites où l’on embauche beaucoup plus d’employés de bureau ou de cadres, qui vont poursuivre en télétravail, puisque c’est la consigne, seront beaucoup moins saturés en termes de transport en commun que les lignes qu’utilisent les salariés venant de plus loin en banlieue pour travailler en présentiel parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Ce sont souvent les métiers les plus bas dans l’échelle des salaires qui sont encore une fois concernés.
Vous trouvez que c’est un déconfinement à deux vitesses ?
C’est de fait à deux vitesses puisque le télétravail demeure, et, je le redis, le télétravail c’est en fait un travail à domicile mis en place sans aucune préparation. Nous demandions une négociation interprofessionnelle sur les conditions et l’organisation du télétravail. C’est d’autant plus urgent. Les employeurs traînent des pieds mais nous n’allons pas lâcher le morceau. Nous considérons qu’il est urgent de négocier sur les conditions du travail à domicile pour le réglementer et faire en sorte qu’il protège les salariés, leur santé, leur poste de travail, le droit à la déconnexion. Et puis, il y a ceux qui iront en présentiel dans les entreprises – et il y en a beaucoup qui y sont depuis le début, on ne l’oublie pas non plus – et pour ceux qui vont aller en présentiel en entreprise il y a l’aspect sensible des transports en commun. Il faut que les syndicats négocient au plus près pour s’assurer que les moyens sont là, les masques, le gel et que l’organisation du travail respecte la distanciation physique.
Bruno Lemaire a critiqué la fermeture de l’usine Renault Sandouville obtenue par voie de justice par la CGT. Vous regrettez vous-même cette décision ? FO avait validé le protocole sanitaire.
Oui, je me suis déjà exprimé là-dessus. C’est un vice de forme qui a conduit à l’annulation du protocole et qui a conduit à la suspension de la reprise de l’activité. Ce ne sont pas les dispositions sanitaires qui avaient été négociées, notamment par notre syndicat FO sur place. C’est effectivement dommageable car il y a beaucoup d’intérimaires qui se retrouvent aujourd’hui sans emploi et puis les salariés eux-mêmes de l’entreprise qui ne savent pas dans quelle situation ils se trouveront du point de vue du salaire et du maintien de la rémunération. J’appelle l’État à faire en sorte de prendre une disposition exceptionnelle pour garantir l’emploi de ces salariés, le temps que les choses se remettent en place au plus vite.
Yves Veyrier il va falloir que le dialogue social reprenne dans ce pays peut-être, non ?
Absolument, je l’avais souvent dit l’année dernière, la situation de crise, à laquelle on a été confrontés, venait du fait qu’on n’écoutait pas les syndicats depuis trop longtemps. Je le redis, je pense que depuis le début nous sommes mobilisés sur le terrain, nous n’avons jamais peut-être été autant sollicités par les salariés, y compris qui ne sont pas forcément syndiqués, dans les entreprises où il n’y a pas de syndicat, pour justement s’assurer que leur situation les protège à tout point de vue : santé, emploi, salaire.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly