Crise économique et sociale : l’austérité budgétaire aggraverait la situation


La période de confinement a entraîné un effondrement de l’activité de la plupart des secteurs, amenant l’État à devoir mettre au point différents plans et mesures de soutien, aux entreprises et aux salariés. À la crise sanitaire s’ajoute une grave crise économique et sociale. Et elle s’annonce durable, souligne la confédération FO, qui met en garde contre des mesures qui aggraveraient la situation et demande à ce que le plan de relance européen en discussion soit à la hauteur des besoins sociaux des populations.

Depuis le déconfinement, le 11 mai, une reprise de l’activité est visible, certes, mais l’économie ne fonctionne encore qu’aux quatre cinquièmes de la normale, note la confédération. Par ailleurs, si la consommation des ménages a repris un peu de tonicité depuis le déconfinement, le sentiment d’incertitude sur l’avenir, notamment sur le plan de l’emploi, se traduit par une forte augmentation de l’épargne de précaution. Et pour cause… Plus de 500 000 emplois nets ont été perdus au premier trimestre et le gouvernement prévoit la suppression de 800 000 emplois au total, la prévision concernant le taux de chômage étant de 10,1 % en fin d’année et de 11,7 % en 2021.

Plusieurs analyses et enquêtes se rejoignent pour souligner l’ampleur de la contraction de la demande [de consommation, NDLR] et le risque d’une spirale déflationniste, entraînée par la multiplication des défauts de paiement, faillites d’entreprises et licenciements, explique la confédération qui rappelle tout le danger que véhiculerait un retour à la modération salariale. Celle-ci pourrait entraîner une spirale entre déflation, hausse du chômage et augmentation de l’endettement réel. L’OFCE fait la même analyse.

L’Observatoire français des conjonctures économiques indiquait ainsi : Le risque est grand de voir s’enclencher une spirale récessive : faillites et réduction de l’emploi qui conduisent à une réduction du revenu des ménages qui alimentera la réduction de l’activité. Stopper la progression salariale, voire baisser le salaire en arguant de la protection de l’emploi serait donc la pire des choses, et pour le moins contreproductif pour la relance de l’économie, insistait à plusieurs reprises ces dernières semaines le secrétaire général de la confédération, Yves Veyrier.

Déjà les inégalités se creusent

Déjà, la crise pèse sur les ménages et elle a aggravé les inégalités. La baisse des revenus d’activité combinée au poids élevé des dépenses contraintes de logement a aggravé les difficultés financières pour 7 millions de personnes d’après une étude récente de l’IRES, rappelle ainsi FO. La confédération cite encore d’autres données inquiétantes concernant la situation sociale, celles ressortant du dernier baromètre Cofidis (société de crédit).

Cette enquête, réalisée du 27 avril au 5 mai, révèle que la situation financière s’est déjà dégradée pour quatre Français sur dix et que les découverts bancaires sont en hausse de plus de 10 % par rapport à 2019. De nombreux ménages appartenant au bas de l’échelle sociale ont ainsi connu des baisses de leurs revenus : 26 % des ouvriers, 24 % des CSP et 22 % des employés auraient été placés en activité partielle totale. Enfin, une amélioration dans les prochains mois est peu probable ; l’aggravation de la situation financière est une préoccupation pour six Français sur dix.

Loi des contrastes… Le 22 juin, on apprenait d’un rapport de l’ONG Oxfam-France que le sort des dirigeants des entreprises du CAC 40 et de leurs actionnaires était décidément plus confortable. Les montants des dividendes versés aux actionnaires de ces grandes sociétés ont ainsi augmenté de 70 % entre 2009 (date de la crise financière) et 2018. Et, précise le rapport, pendant cette période la rémunération des P-DG a, elle, progressé de 60 %. Pendant ce temps, le salaire moyen au sein de ces géantes du CAC 40 n’a augmenté que de 20 % et le Smic de 12 % sur la même période. On en déduit dès lors que l’impact de crise est bien différent selon que l’on est actionnaire ou salarié…

La pire crise depuis 144 ans

Depuis la mi-mars, l’ampleur des dépenses que l’État a dû engager pour tenter de faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire en dit long sur la gravité de la situation. Ainsi, de 45 milliards d’euros mobilisés en mars à 110 milliards en avril, les dépenses supplémentaires ont continué à grimper. Au total, entre les dépenses budgétaires réelles (près de 60 milliards dont 31 pour le financement du chômage partiel, financé aussi par l’Unédic), les plans d’aides à certains secteurs, les garanties de prêts pour les entreprises, leur soutien aussi à travers la prise en charge des crédits d’impôts, la suspension du paiement de leurs cotisations sociales, l’augmentation de capital public dans certaines entreprises… L’État, entre dépenses budgétaires effectives et manque à gagner fiscal, a convoqué jusqu’à présent 460 milliards d’euros.

La récession est estimée désormais à 11 % sur 2020 (7,7 % en zone euro selon la Commission européenne) et encore en tenant compte de la reprise plus massive attendue pour les deux derniers trimestres. C’est, souligne FO, la pire crise vécue en temps de paix depuis la Grande Dépression de 1873. Les recettes fiscales sont pour l’instant en chute libre de plusieurs dizaines de milliards d’euros, le déficit public devrait atteindre 11,4 % sur l’année 2020 et la dette publique 120,9 % du PIB… La crise Covid-19 a et aura à l’évidence de lourdes conséquences sur le plan des finances publiques, et ce, de l’avis des spécialistes, au moins jusqu’en 2022.

Depuis mars, le gouvernement a ainsi présenté trois projets de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020. La première loi de finances rectificative a été promulguée le 23 mars, la seconde le 25 avril et un troisième projet de loi, en cours d’examen, a été présenté le 10 juin en Conseil des ministres. Cette accumulation de « rectifications » aux lois budgétaires relève simplement de l’inédit.

À quand une réforme fiscale ?

Quant à la construction du projet de loi de finances pour 2021, lequel devrait porter un plan de relance, elle s’annonce compliquée. L’absence de nouvelles dispositions qui seraient portées par une réforme fiscale risque de se faire sentir.

De longue date, FO demande une réforme qui introduirait davantage de justice, notamment par une meilleure progressivité de l’impôt. La crise a montré pour le moins que l’impôt doit traduire davantage de solidarité, entre autres via, ce que revendique FO, une imposition plus importante des revenus des très riches (l’ISF a été supprimé en 2018), ce qui permettrait, entre autres, de doper la capacité redistributive de l’impôt.

À l’échelon européen, alors qu’un accord sur le plan de relance ‒ 750 milliards d’euros ‒ proposé le 27 mai par la Commission européenne est attendu d’ici la fin juillet, les discussions entre États – ou blocs d’États ‒ sont âpres. Ainsi, aucun accord n’est sorti du Conseil européen du 19 juin. Le principe de capacité d’endettement commune au niveau de l’Union européenne (UE), l’équilibre entre les prêts et les subventions et le montant global du CFP [cadre financier pluriannuel, NDLR] 2021-2027, ainsi que les nouvelles ressources propres de l’UE constituent les principaux points de dissension entre les États membres. La corrélation du plan de relance de l’UE au semestre européen et au Pacte vert, avec un contrôle strict de la part des États membres sur l’accès au financement, reste le principal point de consensus, résume la confédération FO pour qui le lien entre le plan de relance et la procédure du semestre européen est de mauvais augure.

Le plan de relance européen se doit d’être à la hauteur

En effet, explique-t-elle, c’est dans ce cadre qu’ont été validées et encouragées l’ensemble des réformes proposées par le gouvernement français ces dernières années, que ce soit en matière de retraite, d’Assurance chômage, de formation professionnelle, s’agissant des réformes CAP 2022 ou encore Ma Santé 2022…. Des réformes dites « structurelles », au service de la réduction toujours plus drastique des dépenses publiques et visant à résorber au plus vite le déficit public pour entrer dans les clous des règles européennes. Mais des réformes rejetées par les salariés, refusant ces multiples attaques contre leurs droits.

Le 18 juin, la confédération a adressé une lettre au président de la République au sujet de ce plan de relance, soulignant la nécessité que la réponse européenne soit à la fois solidaire, sociale et à la hauteur des besoins des travailleurs et des populations, rompant avec les politiques d’austérité qui ont trop souvent prévalu.

Le plan, insiste FO, doit soutenir des investissements priorisant le maintien et la création d’emplois décents, tels que définis par l’OIT. À ce sujet, les évolutions nécessaires à l’atténuation et à l’adaptation du changement climatique et à la transition numérique doivent impérativement s’inscrire dans l’objectif de la justice sociale, et, pour cela, s’appuyer en premier lieu sur le diagnostic des impacts possibles afin de permettre l’anticipation nécessaire à la préservation des emplois.

Pour FO, il ne faudrait surtout pas recourir aux mêmes recettes que lors de la crise de 2008, soit des mesures d’austérité budgétaire qui depuis n’ont fait qu’aggraver les choses. L’augmentation du nombre de travailleurs pauvres en France en est un signe, alors que dans le même temps le versement des dividendes a renoué avec les records observés à la veille de la crise financière de 2008, souligne la confédération. Alors faire le choix de nouvelles mesures d’austérité et de la modération salariale ne mènerait qu’à une aggravation des inégalités dénoncées à l’occasion du G7 social l’année dernière.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

Quitter la version mobile