Coronavirus : le cri de désespoir des personnels des Ehpad


La situation est dramatique dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), où le Covid-19 se répand comme une traînée de poudre. FO dénonce avant tout un manque criant de matériel de protection pour les agents.

La catastrophe redoutée franchit la porte des Ehpad, prévenait la fédération FO-Santé (FO-SPS) dans un communiqué daté du 26 mars. Désormais, les deux tiers des établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de la région Grand Est sont atteints par le Coronavirus, selon un bilan officiel du 1er avril. Deux jours plus tôt, on apprenait que près du quart des Ehpad des Hauts-de-France étaient touchés par l’épidémie, avec au moins un résident malade. La situation est également catastrophique en Île-de-France.

Combien de victimes dans les Ehpad ? Impossible de le savoir. Jusqu’à présent, les bilans officiels n’ont comptabilisé que les décès survenus à l’hôpital. Le gouvernement, qui promet la publication de ces chiffres depuis une semaine, pourrait finalement les dévoiler dans la soirée du 2 avril. C’est scandaleux qu’on n’annonce pas le nombre de décès dans les Ehpad, c’est pour éviter la panique à bord face au nombre de morts, s’insurge Didier Birig, secrétaire général de la fédération FO-SPS.

Des informations commencent cependant à filtrer. Ainsi, dans le Grand Est, les Ehpad ont enregistré 570 décès liés au Coronavirus, soit un tiers des décès recensés dans la région, selon un bilan de l’Agence régionale de santé (ARS) le 1er avril.

La France compte 7 134 Ehpad pour 750 000 résidents. Les premières revendications du personnel, relayées par FO, portent sur la fourniture de matériel de protection en quantités suffisantes, et notamment des masques, pour les soignants comme les non-soignants. Les personnes âgées sont les plus fragiles et les premières victimes de l’épidémie de Coronavirus. Le matériel est donné au compte-gouttes et le personnel transmet le virus aux résidents, s’alarme Didier Birig. Je suis actuellement dans l’est de la France et au vu de ce qui se passe chez nous, quand la vague de l’épidémie va se déplacer, cela risque de faire de très nombreux morts.

Conditions de travail insupportables

Dans le Rhône, l’union départementale des retraités FO a envoyé une lettre ouverte au préfet le 28 mars pour l’alerter sur la situation dans les Ehpad à l’approche du pic de la pandémie. L’absence des matériels de protection élémentaires a et aura pour conséquence une accélération de la contamination des résidents. Cette situation est pour nous, association de retraités, insoutenable voire odieuse, expliquent-ils. Ils évoquent aussi le manque récurrent de personnel et demandent au préfet de mettre en œuvre toutes les dispositions de ressources et de moyens indispensables.

La fédération FO-SPS exige également le recrutement immédiat de personnels pour pallier les insuffisances chroniques d’effectifs. Les mauvaises conditions de travail, dénoncées depuis des années, sont amplifiées par la crise et deviennent insupportables. Le taux d’accidents et de maladies professionnelles y est trois fois plus élevé que dans les autres secteurs d’activité. Depuis des années, FO revendique des embauches pour atteindre le ratio d’un professionnel par résident dans les Ehpad, ce que prévoyait le plan Grand âge en 2006. Les effectifs supplémentaires auraient pu être utiles pendant cette crise sanitaire pour accompagner la fin de vie de certains résidents privés de leur famille, poursuit la fédération.

Car dans ces établissements, les visites sont interdites depuis le début du confinement. Les résidents sont également isolés individuellement dans leur chambre. C’était d’ailleurs déjà le cas dans la plupart des Ehpad avant que le ministre de la Santé, Olivier Véran, n’en fasse officiellement l’annonce le 28 mars. Il a promis ce même jour, lors d’une conférence de presse, le déstockage quotidien de 500 000 masques chirurgicaux pour les Ehpad et des tests pour le personnel.

Absence de considération des gouvernants

Le ministre de la Santé ne fait que des annonces et de la communication, dénonce Didier Birig. Toutes les semaines il nous dit qu’on arrive au pic, et ça recommence la semaine d’après. Nous l’avons interpellé le 24 mars sur tout ce qui relève du matériel, du statut des agents ou des difficultés sur la garde des enfants. Il nous avait promis une réponse le 27 mars et nous attendons toujours. Il a aussi promis de faire un point hebdomadaire, mais nous savons déjà qu’il n’y en aura pas cette semaine. Le secrétaire général de FO-SPS souhaite également la mise en place de tests à grande échelle, pour permettre d’isoler les malades.

La fédération dénonce depuis des années le manque de moyens, à la fois humains, matériels et d’investissements affectés aux Ehpad, ainsi que les salaires indécents des agents y travaillant. En période de crise du Coronavirus, l’absence de considération de nos gouvernants envers les agents et résidents se démontre une fois de plus, pointe-t-elle. Elle rappelle même qu’au début de l’épidémie, le gouvernement a pris la décision de faire récupérer l’ensemble des moyens de protection et notamment les masques pour les transférer vers les hôpitaux, ce qui n’a fait qu’alimenter la propagation du virus.

La fédération dénonce les manquements de l’État en termes de protection des agents, lesquels se sont retrouvés surexposés au virus dans l’exercice de leurs fonctions, et rappelle l’obligation de l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail. Pour l’instant, on fait le dos rond pour soigner, mais le temps du bilan va être chaud, certains auront à rendre des comptes, prévient Didier Birig.

Sophie (le prénom a été changé), aide-soignante en Ehpad et déléguée FO : Dès le départ, on a été mal protégés

On a pris bien trop tard les mesures pour faire face à l’épidémie, déplore Sophie, aide-soignante et déléguée FO dans un Ehpad public de 70 lits situé dans la région Grand Est. Dans son établissement, elle estime que les trois quarts des résidents sont désormais atteints du Covid-19. Elle-même a déclaré la maladie il y a quelques jours. Elle est désormais en arrêt de travail, comme près de la moitié de ses collègues.

Au début, on n’avait aucune directive, on travaillait comme ça, sans masques, explique-t-elle. On nous a dit qu’il suffisait de nous laver les mains, j’étais confiante, mais c’était du pur mensonge. Dès le départ on a été mal protégés. À la pause on faisait très attention, on respectait les distances de sécurité. Mais dès que le virus est entré dans l’établissement, ça a fait comme une traînée de poudre.

Les portes ont été fermées aux visiteurs à partir du 16 mars. Mais à l’intérieur, la vie continuait comme avant, on servait les repas en commun dans la salle à manger, poursuit-elle. Le personnel a cependant été équipé en masques chirurgicaux. Au début, on en changeait régulièrement mais il ne nous en restait pas assez et rapidement on a gardé le même toute la journée, poursuit Sophie.

Puis des résidents ont commencé à avoir de la fièvre. Le virus est un peu fourbe, les malades n’avaient pas tous les mêmes symptômes, on n’était pas sûrs qu’il s’agissait du Covid, ajoute-t-elle.

Quelques jours plus tard, la direction a pris la décision de confiner tous les résidents dans leur chambre. On nous a donné des masques FFP2 mais comme il n’y en avait pas beaucoup, on devait les mettre uniquement quand on rentrait dans la chambre des malades. De toutes les façons c’était beaucoup trop tard, soupire-t-elle. Une semaine plus tard, dix tests réalisés sur des résidents se sont tous avérés positifs.

Désormais, les agents doivent prendre leur température dès leur arrivée dans l’établissement. Chez nous les consignes sont claires, au-delà de 38°C, il faut rentrer chez soi, souligne Sophie. Mais pendant dix jours on a travaillé sans protection. À un moment, on s’est même demandé si on n’allait pas mettre des sacs poubelle pour faire des sur-blouses. J’ai été réellement bien équipée un seul jour, et le lendemain je suis tombée malade.

Sur la soixantaine d’agents que compte l’Ehpad, une trentaine est actuellement en arrêt maladie. Des élèves infirmiers et aides-soignants viennent en renfort. Ils font comme ils peuvent avec ce qu’ils ont, c’est très difficile, les équipes sont à bout, ajoute Sophie. En temps normal on n’est déjà pas assez nombreux et là, en plus, les gens ont peur de venir travailler, c’est très dur. Et on culpabilise car en rentrant chez nous on transmet le virus à nos familles.

Désormais, les agents ont droit à deux masques chirurgicaux par jour. Mais c’est une passoire, ça ne protège pas de la maladie, poursuit Sophie. On nous a aussi fait don de visières. C’est de l’entraide et de la solidarité.

La situation est d’autant plus difficile à vivre que les résidents malades doivent rester au sein de l’établissement. Les hôpitaux n’en veulent plus, ils sont soignés par leur médecin traitant, ajoute Sophie. On sait qu’ils ne s’en sortiront pas. J’ai appris qu’il y avait eu trois décès en vingt-quatre heures. C’est terrible, ils sont seuls, ils ne peuvent même plus se voir entre eux.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

Quitter la version mobile