Le 14 avril, la justice a contraint Amazon France à limiter son activité aux produits vraiment essentiels, dans l’attente d’une évaluation des risques liés au Covid-19 pour les salariés. Le géant du e-commerce a fait appel et la décision doit être rendue le 24 avril. En attendant, la plus grosse entreprise mondiale a choisi de cesser ses activités dans l’Hexagone. Pour le syndicat FO, les conditions de sécurité des salariés des entrepôts ne sont toujours pas réunies.
Les salariés des entrepôts d’Amazon qui craignaient pour leur santé ont pu souffler un peu. Les sites sont fermés depuis le 16 avril et le resteront au moins jusqu’au 25 avril inclus. Le 14 avril, le tribunal judiciaire de Nanterre a estimé que la société avait de façon évidente méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés
face à l’épidémie de Covid-19. La juridiction a contraint Amazon France Logistique à limiter ses activités aux seuls produits essentiels (hygiène, alimentation et médical), dans l’attente d’une évaluation des risques pour les salariés menée avec les représentants du personnel. Le géant américain avait 24 heures pour se conformer à cette décision sous peine d’une astreinte d’un million d’euros par jour de retard et infraction constatée.
Prétextant ne pas pouvoir faire le tri entre les produits interdits ou non et redoutant l’amende, Amazon a décidé de cesser totalement son activité dès le 16 avril. Les 10 000 salariés, dont un tiers d’intérimaires, continuent de toucher l’intégralité de leur salaire. L’entreprise s’est pourvue en appel. L’audience s’est tenue le 21 avril à la cour d’appel de Versailles. La décision doit être rendue le 24 avril.
Mises en demeure de l’inspection du travail
Dès le début du confinement face à l’épidémie de Coronavirus, le 16 mars, une intersyndicale comptant FO avait dénoncé l’absence de mesures minimales de protection pour les salariés et lancé un droit de retrait général pour danger grave et imminent. La direction avait rejeté ce droit de retrait et menacé les salariés de ne pas les payer. Deux jours plus tard, un débrayage avait été lancé sur tous les sites. Le ministre de l’Économie était alors intervenu pour dire que les pressions exercées par Amazon étaient inacceptables
.
Mais ce n’est qu’après les mises en demeure de l’inspection du travail début avril que les salariés ont été équipés de masques. D’autres mesures ont été instaurées comme la prise de température de chaque salarié à son arrivée, un aménagement de parcours avec des barrières, une distanciation de deux mètres… Ça s’est mis en place petit à petit et très tard, et les conditions ne sont pas optimales, il faut encore pousser la barre du tourniquet [d’entrée sur le site, NDLR] à la main
, souligne Christophe Bocquet, membre FO du CSE de l’entrepôt Lil1 de Lauwin-Planque (Nord).
Le militant est tombé malade le 20 mars, avec suspicion de Covid-19 dont il avait tous les symptômes. Il n’a repris le travail que le 16 avril.
La direction a aussi mis en place une équipe de
safety angels
dans les entrepôts, poursuit Christophe Bocquet. Ils n’ont pas de compétence particulière en matière de sécurité. Ils sont là pour surveiller et noter les salariés. Alors que ce qu’il faut, c’est communiquer et conseiller, pas sanctionner.
Pour FO, l’évaluation des risques ne doit pas être faite à la légère
Et le militant estime que tant que les effectifs n’auront pas été réduits, le risque de contamination dans son entrepôt restera élevé. Le gouvernement interdit les réunions de plus de cent personnes mais plus de deux mille salariés peuvent travailler dans le même entrepôt, dénonce-t-il. La direction peut bien décaler les horaires des équipes de dix minutes. Avec cinq cents ou six cents salariés à chaque fois, il y a forcément des attroupements, surtout au moment de la sortie.
Il propose de travailler en équipes plus réduites, surtout s’il s’agit de ne traiter que les produits essentiels.
Le tribunal a également reproché à Amazon de ne pas avoir associé les représentants du personnel à l’évaluation des risques encourus par les salariés et a ordonné à l’entreprise de le faire. Dans l’entrepôt Lil1 de Lauwin-Planque, cette évaluation a démarré il y a quelques jours.
Le militant FO dénonce la manière dont celle-ci se déroule. Au vu de l’importance et de la complexité du sujet, j’ai demandé l’accompagnement par un cabinet spécialisé qui pourrait nous éclairer sur les risques de contamination et les meilleurs dispositifs à mettre en place, explique-t-il. Ça a été refusé par la direction. Idem pour la commission d’évaluation du dispositif tous les quinze jours.
Il exige aussi que la direction effectue l’expertise des risques psycho-sociaux demandée par l’inspection du travail dans sa mise en demeure le 3 avril.
Or indique-t-il, je ne peux pas poser mes questions
, la direction semble ne pas vouloir les retenir, précise le militant. Et aujourd’hui, ni la médecine du travail ni l’inspection du travail n’étaient présentes pour inspecter les lieux. Pourtant cette évaluation ne doit pas être faite à la légère.
Plus d’un mois après les élections CSE, toujours pas de CSSCT
Il rappelle aussi que les élections CSE ont eu lieu début mars 2020 et que la CSSCT n’a toujours pas été mise en place. La direction dit qu’elle ne peut pas organiser une réunion de soixante élus, mais elle peut faire travailler plus de deux mille salariés, dénonce-t-il. La CSSCT est pourtant une obligation légale, d’autant plus en pleine crise sanitaire.
Amazon reste ouvert pour vous
, affiche la société sur la page d’accueil de son site Internet. Les consommateurs gardent la possibilité d’utiliser la plate-forme pour faire des achats soit auprès d’entreprises indépendantes, soit auprès d’autres sites Amazon situés à l’étranger et notamment en Europe. On demande depuis des années la reconnaissance d’une unité économique et sociale, et on nous dit qu’elle n’existe pas, mais pour les commandes ça marche
, dénonce Christophe Bocquet.
Il précise que c’est par les médias qu’il a été informé de la fermeture des entrepôts et de sa première prolongation. Amazon n’était pas obligée de stopper son activité, ajoute-t-il. Elle le fait parce qu’elle a peur de se prendre une amende. Mais c’est aussi pour elle un moyen de se faire passer auprès du gouvernement et des clients pour une victime des méchants syndicats.
Aux États-Unis, plus de 350 employés d’Amazon se sont mis en grève le 21 avril pour demander de meilleures conditions sanitaires face au Covid-19 dans les entrepôts, selon le regroupement d’associations Athena, l’un des organisateurs de la mobilisation, cité par l’AFP. Ils dénoncent aussi le licenciement de plusieurs salariés qui avaient mené des actions de protestation.
Selon Athena, cent trente entrepôts Amazon comptent des travailleurs ayant contracté le Covid-19, avec parfois plus de trente cas confirmés. Le 24 avril, ce sont les codeurs et ingénieurs du groupe qui sont appelés à une grève en ligne.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly