La direction de l’ex-PagesJaunes refuse d’indemniser les salariés qui télétravaillent depuis le début de la crise sanitaire, sur la base de l’accord d’entreprise signé avant que celle-ci ne se déclenche et qui prévoit une indemnité de 7,50 euros par jour et par salarié. Alors que débute la renégociation de l’accord, FO demande le dédommagement de ces télétravailleurs au nom de l’égalité de traitement entre salariés.
Il est inacceptable que les frais de télétravail qui incombaient hier à l’entreprise soient aujourd’hui pris dans les poches des salariés !
, dénonce Frédéric Gallois, délégué syndical central FO chez Solocal (l’ex-PagesJaunes reconverti dans les services internet pour petites entreprises et commerçants). Le militant ne décolère pas face au refus de la direction de dédommager les nombreux salariés qui télétravaillent, depuis le début de la pandémie, sur la base de l’accord d’entreprise en vigueur depuis mai 2015. Signé à l’époque par l’ensemble des syndicats (dont FO), celui-ci prévoit une indemnité forfaitaire de 7,50 euros par jour et par salarié.
FO exige le remboursement rétroactif des frais supportés
Une semaine avant d’engager la re-négociation de cet accord, le 18 février, la direction a de nouveau formulé son refus, dans une lettre en réponse à FO Solocal. Le syndicat l’interpellait, pour la deuxième fois, sur les « nombreux frais » supportés, depuis un an, par les salariés télétravaillant : chauffage, électricité, usure du matériel (puisque la quasi-totalité utilise ordinateur et téléphone personnels), consommation d’eau.
Au regard de cette lettre, nous avons peu d’espoirs que la direction intègre dans la négociation le remboursement des frais financiers liés au télétravail. Les différents volets de la négociation nous seront présentés le 25 mars, lors de la deuxième séance de négociation
, commente Frédéric Gallois. Le DSC FO fait du dédommagement des salariés une des lignes rouges de la négociation. En moyenne, la majorité des 2 300 salariés télétravaillent depuis un an
, précise le militant.
Argutie patronale
Pour motiver son refus, la direction distingue le télétravail mis en œuvre depuis le début de la pandémie —imposé par des circonstances exceptionnelles et majoritaire — du télétravail, limité, qui a été négocié en 2015. Pour cela, elle opère un changement de vocable, qualifiant la situation actuelle de « travail à distance ». L’accord en vigueur dans l’entreprise sur le télétravail, y compris dans ses modalités de mise en œuvre, ne vise en aucun cas la situation de travail à distance imposée aux entreprises en raison de décisions gouvernementales liées à la crise sanitaire inédite
, indique-t-elle dans sa lettre du 11 février. Cette situation de travail à distance ne peut être prise en approche globale, car chaque situation est particulière et spécifique
, ajoute-t-elle.
Le télétravail tel que négocié chez Solocal est très cadré. Loin de permettre l’accès de tous les salariés au télétravail, son accord d’entreprise restreint postes et métiers éligibles. Sur le papier, seulement 200 salariés, souvent des cadres autonomes organisant eux-mêmes leur temps de travail et déjà équipés en ordinateur ou téléphone par l’entreprise, peuvent télétravailler deux jours maximum par semaine
, rappelle Frédéric Gallois. Dans les faits, leur nombre n’a cessé de diminuer, comme celui de jours télétravaillés, particulièrement depuis l’arrivée de la nouvelle direction fin 2017
pointe le militant. Entre 2019 et 2020, le nombre de télétravailleurs a chuté de 24% (passant de 239 à 180) et le nombre de ceux télétravaillant sur deux jours a diminué de plus d’un tiers, pour ne plus concerner que… 6 salariés.
Menaces larvées
Pour autant, les salariés ont du mal à comprendre la nuance faite par la direction. Le télétravail ou le travail à distance implique en effet les mêmes dispositions et, de fait, les mêmes frais
, rétorque Frédéric Gallois, qui dénonce une inégalité de traitement entre salariés
. Le fait que l’accord d’entreprise de 2015 ait été négocié dans un contexte différent de celui de la crise n’exonère pas Solocal de traiter l’ensemble de ses salariés de manière égalitaire.
Le militant dénonce d’autres éléments de langage « pas entendables de la part d’une direction des ressources humaines ». Dans le courrier du 11 février, celle-ci note que s’il peut y avoir des surcoûts (pour les salariés, NDLR) liés à cette situation [de télétravail, NDLR], (…) il y a aussi des économies. Pour autant, nous n’avons pris aucune décision d’ajuster nos avantages sociaux, tel par exemple l’attribution des tickets restaurant ou l’indemnité de transport.
Ces menaces larvées sont inacceptables. Cela revient à dire :
, tempête Frédéric Gallois.contentez-vous de la situation ou vous vous exposez à pire
Alors que la crise sanitaire a mis en lumière certaines lacunes notamment juridiques, dans lesquelles s’engouffrent les employeurs, par exemple la question de l’encadrement de la prise en charge des frais de transport à 50% [ceux-ci peuvent dépendre de la proportion de l’activité menée en télétravail, NDLR], le DSC FO rappelle que le Code du travail (dans son article L.1222-9) précise que les salariés en télétravail sont des salariés à part entière, bénéficiant des mêmes droits individuels et collectifs, conventionnels et légaux, que ceux réalisant leur activité dans les locaux de l’entreprise.
Contrer la politique de moins-disant social
Dans ce même courrier adressé à FO, la direction rappelle encore que les salariés peuvent, s’ils le souhaitent, revenir travailler sur site. Nos sites étant toujours ouverts, comme le permet le gouvernement à ce jour, les collaborateurs préférant venir travailler sur le lieu de travail, peuvent toujours accéder à leur poste de travail
, indique-t-elle. La suggestion fait bondir FO Solocal. La direction se met en porte-à-faux avec les préconisations du ministère du Travail qui incite les entreprises à télétravailler au maximum. 100% de nos postes sont techniquement télétravaillables
, précise son DSC.
Pour lui, ce refus d’indemniser les salariés télétravaillant depuis la crise sanitaire est une nouvelle traduction de la politique de moins-disant social
mise en œuvre par la nouvelle direction depuis 2017, et contre laquelle le syndicat se bat.
Depuis quatre ans, il n’y a plus d’augmentation générale et les objectifs assignés aux salariés sont devenus inatteignables. Ils ne sont plus payés correctement
, explique Frédéric Gallois, qui souligne la fatigue des salariés. Révélateur, le taux d’absentéisme en janvier dans certaines entités : 32,4% chez les commerciaux « terrain » de Lille (Nord) et 30,3% chez leurs homologues de Rennes (Ille-et-Vilaine) ; 20,5% chez les télévendeurs de Nancy (Meurthe-et-Moselle) ou encore 18,6% chez les conseillers commerciaux « hors grands comptes »…
Dans ce contexte, la position de Solocal sur le télétravail ne fait qu’accentuer la fracture, déplore Frédéric Gallois. Solocal, qui a réussi sa restructuration financière l’été dernier, n’est pas une TPE sans moyens. En interne, la direction affirme que l’entreprise est très rentable et l’avenir, serein. Les salariés comprennent d’autant moins pourquoi ils doivent payer le chauffage et le téléphone pour télétravailler !
.
Solocal, qui a divisé sa dette par deux fin 2020 (à 195 millions d’euros) prévoit en 2021 un excédent brut d’exploitation —soit le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation, amortissement — porté à 120 millions d’euros.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly