En restructuration permanente depuis dix ans, la marque C&A a annoncé fin mars un huitième PSE. De quoi éreinter les salariés, de plus en plus atteints par le manque de considération de leur hiérarchie envers eux. Les élues FO se mobilisent pour obtenir les meilleures conditions de départ possible, ainsi qu’un rétablissement de la transparence et du dialogue social pour ceux qui restent.
Vingt-quatre boutiques appelées à fermer d’ici 2026, l’ensemble des corners de supermarchés supprimés, et 300 emplois disparus : un nouveau coup dur s’abat sur la marque de vêtements C&A, qui employait jusqu’à présent 1 500 personnes en France. Un récit qui devient tristement habituel ces dernières années dans le milieu du prêt-à-porter, tant les plans de sauvegarde de l’emploi, redressements et liquidations judiciaires s’y sont succédé.
Mais chez C&A, l’événement est d’une brutalité toute particulière. Le PSE annoncé en mars est le huitième depuis 2017. C’est vraiment très violent psychologiquement, analyse Carole Prioult, chargée de mission Commerce et VRP à la Fédération FO des employés et cadres (FEC-FO).
L’enseigne met en effet ses salariés à rude épreuve. La fermeture des deux magasins emblématiques des quartiers Rivoli et Haussmann, à Paris, en février 2023, avait déjà pesé sur le moral des troupes. Les équipes sont en pleine déprime, en fait, témoigne Maria Rodrigues, déléguée syndicale centrale chez C&A France, où FO est la première organisation syndicale. Il y a beaucoup d’absentéisme, des personnes en burn out. Certains salariés concernés par ce PSE ont déjà subi d’autres PSE et avaient été reclassés en interne : ils le vivent très mal. L’état de restructuration perpétuelle de l’entreprise depuis dix ans les contraint à évoluer dans une incertitude constante.
De mauvais choix tactiques dans un contexte défavorable
Pour justifier ses errements, la direction invoque la conjoncture défavorable au milieu du prêt-à-porter, qui a déjà coûté leur emploi à des milliers de personnes sous l’effet conjugué de la pandémie de Covid-19, de l’inflation, de la hausse des prix de l’énergie et de l’essor de la seconde main. Ils mettent également en avant l’impact de la fast-fashion, remarque Carole Prioult. D’accord, je comprends que ça puisse toucher leur activité, mais d’autres enseignes arrivent à s’en sortir. Donc quel est le problème chez C&A ?
Les militantes FO mettent en cause les choix stratégiques opérés au fil des années. Ils ont beaucoup augmenté les prix, or la clientèle venait pour les prix abordables, pointe Maria Rodrigues. Ils ont arrêté certaines collections dont les clients avaient l’habitude, comme les grandes tailles. Beaucoup n’étaient pas contents et se sont rabattus sur la concurrence. C&A a ensuite remis des grandes tailles en circulation, mais les clients perdus sont perdus.
Au sujet de cette orientation stratégique comme au sujet du reste, la direction n’a pas jugé bon de mettre les délégués du personnel dans la confidence de leur vision d’avenir pour l’entreprise. Ils nous disent seulement ce qu’ils sont obligés de nous dire, pas un mot de plus, regrette Maria Rodrigues. Ce qu’on voudrait, c’est plus de clarté sur ce qui va se passer. Régulièrement, on fait des remontées de terrain qui ne sont pas entendues, et à chaque PSE on nomme un expert pour comprendre, mais même ces experts ont beaucoup de mal à obtenir de l’information.
Le site logistique sur la sellette
À ce stade, rien dans l’attitude de la direction ne leur permet de penser que ce huitième PSE sera le dernier avant longtemps. On a l’impression qu’ils naviguent à l’aveugle, expose Carole Prioult. Il y a un problème de recrutement des personnes en charge de la stratégie, qui ne savent pas où elles vont. La direction connaît en effet un fort turnover qui ne rassure pas les salariés et, surtout, qui handicape la tenue d’un dialogue social constructif. Depuis quelque temps, on n’a même plus de directeur général ni de DRH spécialisés sur C&A France : on a une direction Europe du Sud, raconte Maria Rodrigues. Les contacts sont moins faciles, tout le monde se renvoie la balle. Ils ne restent pas assez longtemps pour qu’on puisse tisser un lien de confiance.
L’inquiétude est particulièrement forte en ce qui concerne le site logistique de la marque, censé à l’origine approvisionner les 176 magasins que comptait l’enseigne en 2015. Ils n’étaient plus que 104 en janvier 2025, et seront 76 à la fin du PSE en cours. Les salariés de la logistique ont débrayé récemment car ils craignent pour la pérennité du centre, résume Maria Rodrigues. Ils ont passé des mois à trier des cintres, ils s’attendent à ce qu’on leur annonce la fermeture du site, mais ils ne savent pas quand. Ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Formations et congés de reclassement pour quitter le prêt-à-porter
L’impression d’être traités comme des pions en aura dégoûté plus d’un. Selon Carole Prioult, ce manque de considération envers les salariés est loin d’être cantonné à l’habillement. Malheureusement, c’est un état d’esprit assez général dans le commerce. On laisse en roue libre les entreprises, qui peuvent même ne pas respecter la loi. Cela a forcément un impact sur la mentalité des entrepreneurs : Je fais ce que je veux, de toute façon le gouvernement est derrière moi, vous êtes des numéros et je décide de tout.
Alors que les négociations du PSE viennent de commencer, Maria Rodrigues a ses priorités bien en tête. Pour les plus anciens salariés de Rivoli et d’Haussmann, on avait obtenu douze mois de congé de reclassement, rappelle la déléguée FO. Il ne faudrait pas que ce soit en-dessous. Le groupe C&A a de l’argent, même si on nous dit que non. Autre impératif : un budget important pour les formations. Au vu des difficultés du prêt-à-porter et de l’avalanche de PSE qui leur est tombée sur la tête, de nombreux salariés ambitionnent de se tourner vers d’autres secteurs.