Chauffeurs VTC : raz-de-marée pour FO aux élections

Le syndicat FO-VTC est devenu le représentant majoritaire des chauffeurs VTC, travailleurs des plateformes numériques. Cette victoire suscite de l’espoir dans un milieu marqué par la précarité du frauduleux troisième statut, entre indépendance et salariat. Si des avancées concrètes ne sont pas actées rapidement, des grèves et actions de blocage pourraient avoir lieu pendant les Jeux Olympiques.

Pour la deuxième fois de leur jeune histoire, 51 000 conducteurs de véhicules de transport avec chauffeur (VTC) – travaillant pour les plateformes numériques comme Uber – étaient appelés aux urnes du 22 au 30 mai. L’élection s’est soldée par une victoire considérable du syndicat FO-VTC chez les chauffeurs, avec 56,31% des suffrages. Un succès à attribuer à des années de lutte, estime Brahim Ben Ali, secrétaire général de FO-VTC, anciennement INV, qui a rejoint la confédération Force ouvrière en mars. Ce qui a permis d’accroître la force de frappe.

Le taux de participation – 19,96% chez les VTC – est une source de déception, mais elle est néanmoins en forte hausse par rapport au premier scrutin de 2022, au cours duquel seuls 3,9% des chauffeurs s’étaient prononcés. Selon Brahim Ben Ali, la faute est à attribuer au fonctionnement boîteux du vote électronique organisé par l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), l’établissement public créé en 2021 par le gouvernement pour construire un semblant de dialogue social dans le secteur. Beaucoup de nos sympathisants n’ont pas pu voter, car ils n’avaient pas reçu leurs identifiants ou que le mail était arrivé dans leurs spams, avance le militant. Nous les avons mobilisés via les réseaux sociaux, sinon le taux de participation aurait été catastrophique.

Pour un calcul adéquat du tarif minimum

À présent, la priorité de FO-VTC est claire : dénoncer les accords négociés ces deux dernières années au sein de l’ARPE. L’un des accords décrète par exemple un revenu minimum de 30 euros par heure d’activité, mais sans tenir compte du temps de course ni d’aucune limite kilométrique. Absurde, assène Brahim Ben Ali. Cette garantie a été mise en place pour nous encourager à accepter toutes les courses, mais quand on regarde le temps qu’on y passe et les kilomètres parcourus, on n’est pas du tout rentables. FO-VTC demande l’instauration d’un tarif minimum avec des garde-fous relatifs à la durée de la course et à la distance.

Pour le militant, il est en outre urgent de limiter le nombre de chauffeurs, sur la base d’études de marché à mener dans chaque ville de France. On ne peut pas continuer à laisser plein de gens s’inscrire sur les plateformes, créer une entreprise qui ne sera finalement pas rentable.

Autre combat : les conditions dans lesquelles le compte d’un VTC peut être désactivé par la plateforme, par exemple en cas d’accusation portée contre le chauffeur. Certains ont été accusés à tort, et on ne peut pas les désactiver sur de simples allégations, estime Brahim Ben Ali. Ces désactivations ne doivent pas être le fait des seules plateformes mais de l’Inspection du travail. Il s’opposera lui-même à la plateforme Uber devant les prud’hommes le 11 juin prochain.

FO-VTC revendique par ailleurs aussi un droit de regard sur la gestion des données personnelles recueillies par les plateformes. Il faut que le chauffeur ait la mainmise sur ses données, qu’on ne puisse pas en faire n’importe quel usage et qu’il puisse être rémunéré pour leur utilisation, détaille le secrétaire général. Il y a aujourd’hui un manque à gagner énorme : la data, c’est du pétrole ! Les conditions d’attribution des courses par les algorithmes des plateformes sont également remises en question, certains profils de chauffeurs semblant avantagés par rapport à d’autres.

28% de VTC satisfaits de leur situation

Paradoxalement, malgré sa large victoire aux élections, Brahim Ben Ali ne croit pas que le changement puisse venir des négociations menées sous l’égide de l’ARPE. Cette autorité n’est là que pour faire gagner du temps aux plateformes. Les propositions émanent toujours d’elles et on nous dit : “C’est soit ça, soit rien”. L’organisme apparaît dès lors comme garde-fou du troisième statut qui caractérise l’économie des plateformes, peuplées de travailleurs ni salariés, ni vraiment indépendants – et cumulant les désavantages des deux statuts. Selon une enquête IFOP parue mi-mai, seuls 28% des chauffeurs VTC se déclarent satisfaits de leur situation professionnelle, regrettant un trop faible niveau de revenu, la variabilité de celui-ci et des conditions de travail dégradées.

Ne comptant guère sur l’ARPE pour forcer les plateformes à respecter les droits des chauffeurs indépendants, Brahim Ben Ali a pris rendez-vous début juin au ministère des Transports. L’entretien a été annulé sans nouvelle proposition de date à ce jour. Notre ministère de tutelle doit prendre ses responsabilités. On n’attendra pas septembre : s’il ne se passe rien, on bloquera les Jeux Olympiques. Les chauffeurs VTC semblent donc à l’aube d’un bras de fer. En effet, le gouvernement s’est jusqu’à présent montré résolument pro-plateformes.

Des liens de subordination manifestes

Le contexte national et européen, qui malmène quelque peu le modèle économique des plateformes, pourrait contribuer à donner du poids aux revendications des VTC. Le troisième statut est de plus en plus contesté, jusque dans les institutions européennes. Après des mois d’âpres négociations, l’Union a adopté une directive visant à instaurer une présomption de salariat pour les travailleurs du secteur. Selon le texte, il reviendrait désormais aux plateformes de prouver que leurs travailleurs sont bien des indépendants – un statut souvent dévoyé.

Avec la garantie minimum de revenu, on est en plein tiers-statut : c’est du salariat déguisé. Les indépendants ne sont pas payés à l’heure mais à la prestation, pointe Brahim Ben Ali. Pourquoi on serait le seul secteur d’activité indépendante à être payé comme ça ? Bien souvent, la subordination des travailleurs aux plateformes qui les emploient est manifeste : impossibilité de choisir ses tarifs, sanction en cas de refus répétés de courses, algorithmes visant à pousser les chauffeurs vers certaines plages horaires plutôt que d’autres.

La directive européenne reste cependant à transposer dans le droit français, ce qui ne sera pas une mince affaire. Les plateformes ne vont pas se laisser faire, prévient Brahim Ben Ali. Si certains chauffeurs et livreurs pourraient s’appuyer sur la loi pour demander des requalifications en salariés, le militant rappelle que nombre d’entre eux sont heureux d’être indépendants et souhaitent le rester. La présomption de salariat constituerait alors davantage un moyen de pression pour s’assurer que les plateformes respectent les droits des indépendants, sans lien de subordination.

Un statut d’indépendant fictif

En mars dernier, la Cour de cassation a elle aussi ouvert la voie à une clarification des relations contractuelles entre les plateformes et les VTC. Saisie du dossier d’un chauffeur travaillant via Uber, elle a qualifié de fictif le statut d’indépendant de celui-ci, rappelant les règles en la matière : Les critères du travail indépendant tiennent notamment à la possibilité de se constituer sa propre clientèle, la liberté de fixer ses tarifs et la liberté de définir les conditions d’exécution de sa prestation de service. De quoi inquiéter les plateformes concernées : Elles ont peur de la multiplication des arrêts de la Cour de cassation, affirme Brahim Ben Ali.

Cette décision, si elle ouvre la voie à d’autres requalifications, ne change pourtant pas fondamentalement la donne. La justice ne se prononce qu’individuellement sur chaque dossier, et le parcours jusqu’à la Cour de cassation prend généralement des années, face à des entreprises dotées d’une armée d’avocats. Une évolution législative est donc indispensable pour garantir la protection des droits de l’ensemble des travailleurs des plateformes.

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