Ces chères « exos » de cotisations qui plombent les comptes publics

Ils ont trente ans, ils ont donc largement atteint l’âge de raison !
Et… la raison voudrait que les allégements sur les cotisations sociales patronales soient, au moins et enfin, réduits. Car ceux autrement appelés « exonérations » ― accordées sans aucune conditionnalité, contrairement à ce que demande FO ― prennent toujours plus d’ampleur depuis 1993, au point d’induire un manque à gagner conséquent pour les comptes publics.
Elles représentaient plus de 80 milliards en 2022, dont 73 milliards pour les allégements généraux jusqu’à 3,5 Smic. Or, ce mécanisme de baisse du coût du travail, décidé au nom de la protection de l’emploi, de la lutte contre le chômage et pour la compétitivité de l’économie, est loin d’avoir prouvé son efficience. Cependant, critiquées au fil du temps mais échappant à une réelle évaluation par l’État, les « exos » perdurent, alors qu’elles attaquent le salaire différé des travailleurs et participent à les maintenir dans une fourchette salariale entre un et 1,6 Smic.
Tout mouvement allant vers leur remise en cause procède d’une bataille âpre.
Bataille que FO mène sans relâche.

À chaque employeur sa niche sociale, ou presque

Les exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les employeurs affiliés au régime général ont atteint le niveau record de 73,6 milliards d’euros en 2022, en hausse de 13,1 % sur un an, selon un bilan de l’Urssaf publié en juillet dernier. C’est autant de manque à gagner en termes de recettes pour les comptes sociaux.

Le premier dispositif d’exonérations patronales sur les cotisations sociales est apparu en 1993 avec l’objectif de faire baisser le coût du travail pour favoriser les créations d’emplois. Seules les cotisations familiales étaient alors concernées. L’exonération était de 100 % jusqu’à 1,1 Smic et de 50 % jusqu’à 1,2 Smic. Depuis, le nombre de mesures s’est multiplié, pour un taux d’exonération toujours plus élevé et une assiette de plus en plus large.

Aujourd’hui, la réduction générale sur les cotisations et les contributions dont bénéficient les employeurs du secteur privé s’applique aux rémunérations inférieures à 1,6 Smic brut par an. C’est l’ancien « allégement Fillon ». Sont concernées les cotisations patronales : Assurance maladie, maternité, invalidité, décès et vieillesse de base, allocations familiales, accidents du travail et maladies professionnelles, Assurance chômage, aide au logement, solidarité autonomie et retraite complémentaire obligatoire (Agirc-Arrco).
Les exonérations sont totales au niveau du Smic, puis se réduisent pour devenir nulles lorsque le salaire atteint 1,6 Smic par an. Sauf exception, rare, tous les employeurs du privé sont éligibles aux exonérations, pour tous les contrats, y compris à temps partiel ou en alternance.

Des exonérations de cotisations sur les salaires jusqu’à 4,5 Smic

Pour les employeurs qui entrent dans le champ d’application de la réduction générale, le taux de cotisation d’allocations familiales est également réduit de 1,8 point (de 5,25 % à 3,45 %) concernant les rémunérations qui n’excèdent pas 3,5 fois le Smic annuel.

La transformation en 2019 du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en une baisse des cotisations sociales a entraîné une extension des allégements généraux dont bénéficient les employeurs. Cela concerne les cotisations de retraite complémentaire (6,01 points) et d’Assurance chômage (4,05 points).
Les employeurs bénéficient également depuis cette date d’une réduction de six points du taux de cotisation d’Assurance maladie (ramené de 13 % à 7 %) pour les salaires jusqu’à 2,5 Smic brut.

Il existe par ailleurs d’autres dispositifs d’allégements. Certains sont ciblés sur des zones géographiques particulières : zones de revitalisation rurale, zones franches urbaines… D’autres tiennent compte du statut. Ainsi, les jeunes entreprises innovantes créées au plus tard fin 2025 peuvent, sous certaines conditions, bénéficier d’une exonération de cotisations patronales d’assurances sociales et d’allocations familiales appliquée sur la part de rémunération inférieure à 4,5 Smic. Il existe aussi des mesures visant un public spécifique, comme l’embauche d’un senior en contrat de professionnalisation.

Clarisse Josselin

 

Trente ans de cadeaux toujours plus gros aux entreprises

L’été 1993 fut dur aux travailleurs avec la décision du gouvernement Balladur d’une réforme des retraites (loi du 22 juillet), ainsi qu’une décision (loi du 27 juillet) lançant des mesures de baisse du coût du travail. Des exonérations de cotisations familiales sont alors créées, jusqu’à 1,2 Smic. Et cette attaque du salaire différé ne tarde pas à s’amplifier, cela par le biais d’une loi quinquennale qui prévoit d’étendre ces allégements à 1,6 Smic. Dès 1995 cette extension des exonérations commencera à se déployer. En 1996, le gouvernement Juppé décide de gonfler le taux des exonérations et de les appliquer jusqu’à 1,33 Smic. À la recherche de recettes budgétaires, le gouvernement Jospin supprime en 1998 la demi-exonération accordée à ce seuil. Tout en poursuivant dans la voie des allégements, cherchant notamment par une mesure d’allégement forfaitaire et une exonération étendue à 1,8 Smic à atténuer, pour les employeurs, les effets de la loi de réduction du temps de travail à 35 heures (loi Aubry II). En 1997 déjà, la loi Robien accordait des allégements de cotisations aux employeurs s’engageant dans une réduction du temps de travail. Puis vint la loi du 17 janvier 2003 du gouvernement Fillon, créant une « réduction » générale de cotisations sociales patronales jusqu’à 1,7 Smic (ramenée à 1,6 Smic en 2005). Est visée une réduction totale au niveau du Smic et dégressive au-delà. En 2006 et 2012, cette réduction Fillon est étendue avec notamment une annualisation du calcul des allégements, et en tenant compte des heures supplémentaires et complémentaires. Et les exonérations n’allaient pas en rester là.

En moins de dix ans, un doublement du manque à gagner

Publié en septembre dernier, le rapport parlementaire transpartisan des députés Marc Ferracci et Jérôme Guedj, prônant la suppression pure et simple des exonérations au-delà de 2,5 Smic, revenait sur l’histoire des exonérations, qui ont encore pris de l’ampleur grâce au pacte de responsabilité et de solidarité et au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) du gouvernement Ayrault (2012 et 2014) – supprimé en 2019, puis transformé en nouveaux allégements. En 2015, le gouvernement vantait ainsi la mesure phare du dispositif Pacte (agrémenté de mesures fiscales pour les entreprises), soit l’exonération des cotisations patronales versées aux Urssaf (zéro charges) pour l’emploi d’un salarié au Smic depuis le 1er janvier 2015. Quant au CICE, il a induit de 2013 à 2019 un manque à gagner de plus de 100 milliards d’euros. Le rapport résume : Les exonérations de cotisations sociales n’ont cessé de croître dans leurs taux mais aussi dans le nombre de travailleurs concernés. Ainsi, en prenant en compte l’ensemble des allégements généraux, l’on observe que plus de 78 % de l’ensemble de l’assiette salariale soumise à cotisations de notre pays – c’est-à-dire l’assiette salariale des salariés rémunérés jusqu’à 3,5 Smic – est concerné par au moins l’un d’entre eux, soit l’allégement Fillon, l’allégement sur les cotisations familiales (jusqu’à 3,5 Smic) ou encore l’allégement sur les cotisations maladie (jusqu’à 2,5 Smic). Rien que pour ce type d’allégements, sur lesquels s’arc-boutent les entreprises, le montant du manque à gagner pour les comptes sociaux ― ce qui, par les compensations, crée de la dette publique ― est passé de 19,5 milliards d’euros en 2004 à 37 milliards en 2013 et à plus de 73 milliards l’an dernier. Un doublement donc en moins de dix ans.

Valérie Forgeront

 

Des exonérations fondées sur… une forme de confiance

C’est un rapport parlementaire transpartisan qui fera date : premier à être mené sur le contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations sociales bénéficiant aux entreprises, et premier à tenter d’évaluer l’effet en matière d’emploi et sur la compétitivité de ses trois composantes (les allégements dits Fillon sur les salaires entre 0 et 1,6 Smic, la réduction de cotisations maladie sur les salaires entre 0 et 2,5 Smic, dite « bandeau maladie », et enfin la réduction de cotisations familiales sur les salaires entre 0 et 3,5 Smic, dite « bandeau famille »).

En le présentant fin septembre, pour examen, au sein de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le député Jérôme Guedj – co-rapporteur avec Marc Ferracci – n’y est pas allé par quatre chemins. Il existe très peu d’évaluations de l’efficacité de ces exonérations, qui semblent fondées sur une forme de confiance, a-t-il souligné. La confiance en guise de boussole des politiques publiques ! Le constat est terrible, alors que l’abaissement du coût du travail est devenu la principale politique d’emploi depuis 1993 et avec un manque à gagner budgétaire qui explose depuis dix ans.

Depuis longtemps, les économistes sceptiques

Or, des études critiques d’économistes existent. Conseil d’analyse économique (CAE), France Stratégie, Institut des politiques publiques, Observatoire français des conjonctures économiques, Laboratoire interdisciplinaire de Sciences Po… Tous leurs travaux d’évaluation, notamment du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), se sont montrés critiques quant à l’efficacité des exonérations sociales sur les salaires au-delà de 1,6 Smic.

En 2019, le CAE recommandait, lui, l’abandon des baisses de cotisations au-dessus de 2,5 Smic.
Il existe aussi un « consensus » des économistes sur certaines mesures, a précisé le député Marc Ferracci. C’est le cas pour le « bandeau famille » appliqué aux salaires entre 2,5 et 3,5 Smic, conçu en 2014 et appliqué depuis 2016. Ses effets ? Nuls pour l’emploi, difficilement décelables sur la compétitivité, disent les économistes, quelle que soit leur école de pensée. En substance, ils expliquent que l’impact des allégements dépend de la capacité des entreprises à ne pas répercuter ceux-ci sur les salaires brut, en clair à ne pas les augmenter. Le mécanisme a été décortiqué de longue date : les premiers travaux concernant le possible effet des exonérations de cotisations sociales sur la hausse de l’emploi selon le niveau de revenus datent de… 1993, rappelle le rapport.

S’appuyant sur ce consensus, Jérôme Guedj et Marc Ferracci demandent la suppression du « bandeau famille » sur les salaires entre 2,5 et 3,5 Smic, concédant commencer par le « petit bout ». Effectivement ! Le coût de la mesure pour le budget de l’État (qui compense le manque à gagner pour la branche famille de la Sécurité sociale) est estimé à 1,6 milliard d’euros en 2022, soit 2 % du coût total des exonérations de cotisations sociales bénéficiant aux entreprises. La commission des affaires sociales a voté en ce sens.
En vain pour l’instant.

Elie Hiesse

 

L’impôt minimum mondial rate sa cible

Au-delà des aides publiques dont les multinationales peuvent bénéficier dans les pays où elles produisent, ces entreprises s’exonèrent aussi fréquemment de leurs obligations fiscales. Ainsi, selon le rapport de l’Observatoire européen de la fiscalité pour 2024, au moins 1 000 milliards d’euros ont continué d’être délocalisés vers des paradis fiscaux en 2022. Cela équivaut à 35 % de l’ensemble des bénéfices enregistrés par les entreprises multinationales en dehors de leur pays d’origine.

Le manque à gagner direct en termes de recettes fiscales représenterait 10 % de ce qui est actuellement collecté dans le monde. En Europe, les plus grands perdants à ce petit jeu de cache-cache sont l’Allemagne (pour 17 milliards de dollars en 2020) et la France (9 milliards de dollars).

L’ampleur de ce manque à gagner n’a fait que croître depuis le milieu des années 1990, malgré d’apparentes tentatives pour juguler cette tendance parmi les pays de l’OCDE. La dernière en date réside dans la mise en place d’un impôt minimum mondial de 15 % sur les bénéfices des multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros.

Déjà des dérogations

Mais avant même que l’initiative soit mise en pratique (les pays européens se sont engagés à transcrire ce dispositif dans leur législation pour la fin 2023), il apparaît que ce projet est déjà assorti de limites : la base imposable est réduite les premières années, les multinationales américaines échappent à une partie du dispositif, des pays offrent des crédits d’impôts en parallèle qui permettent de déjouer le taux d’imposition officiel…

À tel point que les chercheurs de l’Observatoire européen de la fiscalité estiment que l’impôt minimum mondial permettra d’augmenter les recettes mondiales provenant de l’impôt sur les sociétés de 4,8 %, soit la moitié seulement de ce qui aurait pu être généré (+ 9,4 %) avec des règles plus strictes. Ce sera autant de ressources en moins pour les politiques publiques (santé, éducation, protection sociale…).

Sandra Déraillot

 

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