Bâtiment, chimie, métallurgie… L’intérêt financier ne doit pas passer avant la santé


Alors que l’Italie a franchi un cap supplémentaire pour endiguer la propagation du Coronavirus en décidant le 23 mars l’arrêt de toute production qui ne serait pas « strictement nécessaire, cruciale et indispensable afin de garantir les biens et services essentiels », le gouvernement français semble décidé, lui, à faire tourner l’économie française le plus possible… Coûte que coûte ?

C’est la question que se posent avec angoisse des millions de salariés. Les structures FO sont à pied d’œuvre pour que soient préservés la santé et les revenus des salariés, mais aussi pour préparer « l’après-épidémie » en termes de sauvegarde des emplois.

Le gouvernement s’apprête à annoncer dans les prochaines heures un prolongement du confinement au-delà de la date initiale du 31 mars. Mais il n’est visiblement pas question pour autant à ce jour d’un confinement total « à l’italienne ». « On n’a pas besoin que tout le monde travaille, mais il y a très peu de secteurs dont on peut se passer complètement pour soutenir les hôpitaux ou pour la vie quotidienne des Français […] », a prévenu la ministre du Travail le 24 mars.

Madame Muriel Pénicaud avait déjà donné le ton quelques jours plus tôt en accusant les entrepreneurs du bâtiment qui ont pris la décision de fermer les chantiers non urgents de « défaitisme », provoquant par ses propos l’indignation des salariés mais aussi des employeurs du secteur.

Bâtiment : les conditions de sécurité sanitaire ne sont toujours pas réunies

Si depuis, sur le papier, un accord a été trouvé entre le ministère et la fédération patronale pour que le travail puisse reprendre, force était de constater le 25 mars que sur le terrain, le secteur du bâtiment était toujours à l’arrêt. Et pour cause : le manque de masques, de gel hydroalcoolique, la promiscuité dans les fourgons et les camionnettes restent la réalité dans ce secteur, comme dans beaucoup d’autres.

Le 24 mars, les organisations patronales du bâtiment, la FFB, Capeb et la FRTP Auvergne-Rhône Alpes recommandaient à leurs affiliées, via un communiqué, de « ne pas reprendre leur activité, hors situation d’urgence, avant la parution officielle du guide de bonnes pratiques ».

Ce guide, qui a reçu l’agrément des organisations patronales et de quatre organisations syndicales dont la Fédération FO de la Construction, « concerne exclusivement les travaux urgents du BTP », prend soin de souligner Franck Serra, le secrétaire général de la fédération FO. « Il ne réglera pas tout », a alerté de son côté le président de la fédération patronale du BTP de Moselle. Les organisations syndicales et les fédérations patronales travaillent aussi à d’autres guides spécifiques aux diverses activités de la branche (papier-carton, ameublement, tuiles et briques, carrières…), indique Franck Serra.

Michelin : FO refuse les congés imposés

L’industrie fonctionnait quant à elle à 25 % de ses capacités le 24 mars selon le ministère de l’Économie. Plusieurs grandes entreprises ont en effet drastiquement diminué leur activité, quand elles ne l’ont pas totalement suspendue dès les premiers jours du confinement.

C’est le géant mondial du pneu, Michelin, qui le premier a décidé le 16 mars d’interrompre la production de ses usines jusqu’au 29 mars, d’abord en France, en Espagne et en Italie, puis en Inde et partiellement aux États-Unis depuis le 24 mars.

Dans l’Hexagone, ce sont quatorze sites Michelin employant 10 000 personnes qui ont été mis à l’arrêt, soit la quasi-totalité des usines hexagonales du groupe. Seuls continuent à fonctionner, de manière réduite, le site de Bassens (Gironde) qui fabrique des élastomères de synthèse, une activité indispensable à la poursuite des activités du groupe dans le reste du monde, ceux de Montceau-les-Mines et Bourges, qui fabriquent les pneumatiques à usage militaire ainsi que les activités de logistique.

La direction de Michelin France a annoncé le 23 mars qu’elle « évitera un recours immédiat au chômage partiel », et a placé d’office les salariés dont les activités ont cessé ou qui ne peuvent télétravailler en absence indemnisée à 100 % pour les deux premiers jours puis en congés payés et récupérations.

L’entreprise a ainsi devancé la loi d’urgence sanitaire qui a été adoptée depuis et les ordonnances qui en découlent, à un détail près : ces ordonnances prévoient que la mise en congés payés des salariés soit soumise à un accord de branche ou d’entreprise.

Le syndicat FO-Michelin revendique lui l’application du chômage partiel avec une indemnisation à 100 % des salariés et refuse les congés imposés. « Les salariés auront besoin de les prendre après l’épidémie. Le confinement, ce n’est pas des vacances », dénonce Gérald Girault, coordonnateur FO.

Le CSE central qui doit se tenir vendredi 27 mars promet donc d’être tendu, d’autant que le groupe a largement les moyens de faire davantage pour ses salariés puisqu’il affiche un bénéfice net de 1,73 milliard d’euros en 2019 (en augmentation de 4,2 % sur un an) et un fonds propre d’environ 10 milliards d’euros, souligne Sandra Guillaume, secrétaire du syndicat FO-Michelin de Troyes.

Chimie : des salariés contaminés dans des entreprises restées en activité

La Fédération FO de la Chimie a également été alertée sur plusieurs cas d’entreprises dont les salariés ne disposent d’aucune protection individuelle, ni gants, ni masques, ni gel hydroalcoolique… C’est le cas chez Jokey France, qui fabrique des emballages en plastique pour les conditionneurs de produits alimentaires mais aussi non alimentaires. « Des cas de Covid-19 dans une équipe nous ont été signalés hier soir », indique ce 26 mars Hervé Quillet, secrétaire général de la Fédération FO de la Chimie.

Il dénonce également l’absence de réponse de la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) et de l’ARS (Agence régionale de santé) aux responsables FO qui cherchaient à les joindre.

Autre cas : celui de l’entreprise Mersen (spécialités électriques et matériaux avancés pour les industriels) dont cinq salariés contaminés ont dû être mis en quarantaine ou hospitalisés… Autant d’exemples qui démontrent « qu’il faut arrêter les activités non essentielles et équiper d’urgence les salariés de protections sanitaires individuelles là où l’activité doit continuer ».

Métallurgie : l’action syndicale déterminante pour faire cesser l’activité

Du côté de la métallurgie, si le secteur de l’automobile, déjà en crise avant le début de la pandémie (le marché automobile européen avait déjà chuté de 7,4 % en février), pâtit avant tout de la baisse de la demande et du manque de composants du fait du ralentissement du marché mondial, c’est l’absence de procédures sanitaires suffisantes qui freine, voire bloque, la reprise de l’activité dans un grand nombre d’entreprises.

PSA a décidé de fermer l’ensemble de ses usines d’assemblage européennes jusqu’à nouvel ordre. « Du fait de l’accélération constatée ces derniers jours de cas graves de Covid-19 proches de certains sites de production, des ruptures d’approvisionnement de fournisseurs majeurs, ainsi que de la baisse brutale des marchés automobiles, le président du directoire, Carlos Tavares, avec les membres de la cellule de crise ont décidé le principe de la fermeture des établissements de production de véhicules », expliquait un communiqué du constructeur le 15 mars.

Entre le 16 et le 19 mars, quinze sites ont été fermés en France – celui de Mulhouse (Haut-Rhin) dès lundi 16 après-midi, puis mardi 17 : Poissy, dans les Yvelines, Rennes (Ille-et-Vilaine) et Sochaux (Doubs) –, en Allemagne (les sites d’Opel, dont l’usine mère de Rüsselsheim), en Pologne, au Portugal, en Slovaquie et au Royaume-Uni (les usines Vauxhall).

Chez Renault, qui a également mis ses usines françaises à l’arrêt dès le 16 mars pour une durée indéterminée, ce sont douze sites et 18 000 salariés qui sont concernés. Toyota a annoncé la suspension de la production de son site d’Onnaing-Valenciennes (Nord, 4 000 salariés), où est assemblée la Yaris. Plus aucune usine automobile d’assemblage final ne fonctionnait en France à partir du 18 mars.

Mais « ces décisions ne sont pas allées de soi », explique la fédération FO Métaux. En effet, si les directions des ressources humaines ont échangé dès ce week-end des 14 et 15 mars avec les syndicats pour mettre en place des mesures de prévention plus strictes − adapter l’organisation des transports, ou encore fermer les restaurants d’entreprises −, il n’était pas question à ce moment-là de demander aux salariés de rester chez eux. Le 16 mars au matin, la tendance était encore au maintien de la production, beaucoup de directions considérant que rien ne les obligeait à la fermeture.

Si « beaucoup de directions ont pris rapidement les mesures qui s’imposaient, certaines n’ont cependant pas joué le jeu, soit parce qu’elles n’ont pas perçu l’ampleur de la crise, soit parce que la logique financière semblait plus importante que la logique sanitaire », explique Laurent Smolnik, secrétaire fédéral FO.

Il aura donc parfois fallu « toute l’insistance de notre organisation, dont les délégués syndicaux avaient largement informé sur la forte inquiétude des salariés, mais aussi sur l’impossibilité d’appliquer les fameux gestes barrières, comme la distance d’un mètre entre deux personnes dans les ateliers », souligne-t-il.

Chez Toyota, l’action et la parole syndicales ont ainsi été déterminantes, tandis que l’angoisse ne cessait de croître parmi les salariés au moment où d’autres usines voisines (comme celle de Bombardier à Crespin) fermaient leurs portes.

« Comment assurer les consignes de distanciation d’un mètre entre salariés sur une chaîne de production ? Porter un masque toute la journée dans l’environnement d’une usine est compliqué, tout comme contrôler les accès, les distances de sécurité ou prendre la température des salariés », résumait un délégué syndical.

« Il est certain que cette mauvaise période aura des impacts sur l’avenir », craint le syndicat FO du site Toyota.

Chez les équipementiers, témoignent aussi les responsables FO Métaux, la prise en compte de la situation a été encore plus compliquée.

« Certaines implantations, fortes de commandes pour le Brésil, la Suède ou les États-Unis, ont ainsi tout fait pour rester ouvertes jusqu’au dernier instant afin de faire partir les derniers envois à leurs clients, quitte à mettre leurs salariés en danger… À la fin de la première semaine de confinement, les équipementiers de rang 1 et les spécialistes du poids lourd, tel Renault Trucks, ont fini par mettre leurs sites à l’arrêt, avec une poignée de salariés pour assurer un service minimum. Des problématiques locales subsistent cependant, sans oublier des pressions pour reprendre le travail », expliquent-ils.

Dans l’aéronautique, Airbus annonçait le 17 mars la « suspension temporaire » de sa production pendant quatre jours en France et en Espagne, le temps de mettre en place des « conditions strictes » de sécurité pour assurer la santé des salariés. Dassault, Safran et Daher ont adopté la même stratégie.

« Les ouvriers sont en première ligne »

Dans les autres secteurs, la situation est plus contrastée et « les ouvriers sont en première ligne », rappelle FO Métaux.

Ainsi la production n’a pas été interrompue d’emblée chez Leroy-Somer, en Charente, mais tout l’encadrement et les fonctions support sont passés au télétravail. Un CSE exceptionnel s’est tenu le 16 mars et deux jours après le site a fermé ses portes, tout comme celui de Schneider, où les métallos FO ont tout mis en œuvre pour obtenir l’arrêt des sites.

Chez les ascensoristes, les métallos FO déplorent que les directions demandent encore aux salariés de se rendre chez les clients sans autre protection que leurs équipements professionnels. L’application du droit de retrait s’y avère souvent problématique. « Notre organisation s’insurge contre ce procédé consistant à laisser les ouvriers en première ligne, exposés au risque de contamination, au nom de l’économie. L’intérêt financier ne doit pas passer avant leur santé », a tonné le secrétaire général de la Fédération FO de la Métallurgie Frédéric Homez.

Dans la filière aérospatiale, chez ArianeGroup, FO et trois autres organisations ont demandé à la direction de « reporter son plan de reprise des activités à une date ultérieure ». Environ 10 % des salariés ont repris, le 23 mars, la direction des sites du fabricant des lanceurs de la famille Ariane. La plupart des syndicats présents dans les grands groupes aérospatiaux ont exprimé les mêmes craintes et demandes.

Chômage partiel : quand les autorités locales freinent des quatre fers

Alors que le nombre d’entreprises en chômage partiel est monté à 100 000 et que 1,2 millions de salariés seraient concernés (chiffres officiels du 25 mars), le gouvernement a à ce jour débloqué une enveloppe de 8,5 milliards d’euros sur deux mois et a déjà admis que la somme pourrait être insuffisante.

FO Métaux revendique un maintien du salaire intégral pour les salariés placés en situation de chômage partiel, ce qui suppose que la prise en charge financière de l’État le permette.

FO Métaux a également dénoncé l’absence de clarté dans les messages envoyés par le gouvernement et leur manque d’effectivité constaté parfois sur le terrain. « Force est de constater que certaines Direccte et préfectures refusent des dossiers de prise en charge, obligeant ainsi les entreprises à reprendre leur activité », déplore la fédération.

En Haute-Loire par exemple, a fait savoir l’Union départementale FO, le préfet a clairement signifié aux organisations syndicales réunies à sa demande « qu’il n’est pas question d’accorder systématiquement les allocations de chômage partiel aux entreprises qui estiment ne pas pouvoir garantir la santé et la sécurité des salariés ». L’argument du préfet ? « Il n’y a pas de secteur indispensable à la vie de la nation car l’économie est imbriquée », a-t-il déclaré, considérant de surcroît que « les masques et le gel hydroalcoolique répondent surtout à un  » besoin psychologique « , l’essentiel étant de garder les mains dans la partie basse du corps ».

FO Métaux demande une négociation de branche en urgence

La Fédération FO de la Métallurgie a donc demandé à l’UIMM (Union des industries des métiers de la métallurgie) l’ouverture d’une négociation de branche sur la question du chômage partiel, mais aussi sur la définition des activités essentielles et les règles de protection sanitaire à respecter.

« Nous préférons des accords négociés plutôt que de nous faire imposer des mesures comme celles contenues dans la loi d’urgence sur les congés. Il faudra des accords, surtout dans les secteurs essentiels. Nous voulons que les salariés s’y retrouvent, en termes de santé, de salaire et d’emploi après la crise. Notre objectif est de donner une espèce de caisse à outils aux entreprises et aux salariés pour l’avenir », explique le secrétaire général de la fédération, Frédéric Homez. Pour « éviter la catastrophe industrielle, préparer l’avenir et garantir les emplois, il faut aussi d’ores et déjà négocier sur l’accès à la formation professionnelle », ajoute-t-il.

« La priorité doit être la santé des travailleurs et la gestion de la crise sanitaire »

Alors que le ministre de l’Économie Bruno Le Maire n’a pas hésité à comparer la crise actuelle à la grande récession de 1929, le secrétaire général de la confédération FO, Yves Veyrier, a, lui, réitéré son appel à « stopper toutes les activités non nécessaires au pays », et à « donner la priorité à la santé des travailleurs et à la gestion de la crise sanitaire ».

Interviewé par le quotidien Libération le 24 mars, Yves Veyrier précisait : « Plus vite on viendra à bout de cette épidémie, plus strict sera le confinement, et plus vite on pourra relancer l’économie. » Et le secrétaire général de souligner : « Au lieu de se disperser pour essayer de maintenir des activités qui n’ont pas un caractère d’urgence, concentrons-nous sur celles strictement essentielles et arrêtons les autres. Les hésitations du gouvernement conduisent à une incompréhension. Si on tergiverse, on va aggraver la situation ».


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

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