Auchan : le choc des suppressions d’emplois


Les salariés d’Auchan Retail France sont sous le choc. Quelque 1475 suppressions de postes, soit la suppression nette de 1088 emplois occupés, leur ont été annoncées le 9 septembre lors d’un comité social et économique central.

Alors qu’une nouvelle réunion du CSE d’Auchan Retail France (50 000 salariés/groupe Mulliez détenant Décathlon, Boulanger, Leroy Merlin…, et venant de reprendre Alinéa) devrait se tenir la semaine prochaine et apporter davantage de détails sur le plan présenté le 9 septembre par la Direction, celle-ci a déjà prévu que des postes seraient supprimés au SAV (service après-vente), parmi les emplois de managers de caisses, mais aussi du service RH ou encore chez les contrôleurs de gestion, à l’atelier boucherie (l’atelier de Lieusaint en Seine-et-Marne comptant 57 salariés fermerait) ainsi que parmi les métiers administratifs. La direction annonce ainsi la suppression de 1475 postes et la création de 377 postes. Au final, le plan annoncé consisterait en la suppression nette de 1088 emplois occupés.

Selon Carole Desiano, pour la fédération FGTA-FO les postes créés le seraient dans les magasins, surtout au sein des drive. Et la secrétaire fédérale de noter que cela traduit un transfert des postes sur l’e-économie.

Pour les salariés d’Auchan, les chocs sont à répétition depuis un an. Au printemps 2019, le groupe avait lancé un plan de redressement se traduisant notamment par la mise en vente de 21 magasins ce qui concernait 700 à 800 salariés. Début janvier 2020, ce fut l’annonce de près de 700 suppressions d’emplois (517 suppressions nettes) à travers un plan de départs volontaires (PDV). En cette rentrée, l’emploi subit donc un nouveau sale coup avec l’annonce de cette suppression massive d’emplois.

Une hausse de rentabilité de 79%

Alors que le processus de négociations ne fait que commencer et que la FGTA-FO et le syndicat FO-Auchan comptent ne rien lâcher dans ce dossier, cela afin de défendre l’intérêt des salariés, l’annonce de ces suppressions de postes renvoie à la situation financière d’Auchan. La grande distribution, les hypers en particulier, connaissent certes des temps difficiles, se heurtant à des modes de consommation qui évoluent indique Carole Desianio. Mais cela n’explique pas tout.

Ainsi déplore la FGTA-FO, cette annonce arrive dans un contexte de bons résultats économiques pour Auchan puisque l’excédent brut d’exploitation des magasins a progressé de 15% au premier semestre à 1,24 milliards d’euros.

L’Ebitda d’Auchan Retail (c’est-à-dire le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) avait augmenté en effet de 227 millions d’euros sur 2019 et le premier semestre 2020 se distingue par une progression de 162 millions d’euros par rapport au premier semestre de l’an dernier. Rien n’est dramatique donc et si le résultat opérationnel reste négatif, le groupe affiche une rentabilité en hausse de 79%. Quant à l’activité numérique (le e-commerce), son chiffre d’affaire progresse de 33% sur le premier semestre 2020 et représente désormais 12% du chiffre d’affaires du groupe.

Cap sur le digital

Ces chiffres le prouvent, la période de confinement a profité à Auchan qui a poursuivi ses activités. De leur côté, les salariés craignaient pour leur santé et ont dû négocier âprement l’octroi de la prime exceptionnelle covid de 1000 euros, ou plutôt moins puisque calculée au prorata du temps de présence sur le terrain durant la période de confinement. L’annonce des 1475 suppressions de postes arrive donc comme un coup de massue. Voici comment Auchan leur offre sa reconnaissance s’irrite la FGTA-FO.

Bien avant la crise, l’enseigne avait profité, entre autres, du CICE. Désormais, elle bénéficie, relève la FGTA-FO, du plan de relance (sans condition sur l’emploi…) et de la baisse sur les impôts de production. Pour la fédération et le syndicat FO de Auchan (3e dans le groupe), cela devrait l’amener à investir massivement dans le reclassement de tous les salariés. Mais rien n’est moins sûr.

Le groupe indique que les surcoûts engendrés en matière de transport et de sécurité sanitaire ainsi que les nouvelles craintes des clients notamment vis-à-vis des grandes surfaces commerciales, ont défavorisé les hypers et ont pesé sur la situation économique d’Auchan Retail France.

Ces derniers jours, la direction du groupe qui a assuré que les postes de caisses ne seraient pas touchés, a communiqué sur l’axe de transformation qu’elle entend poursuivre. Le digital sera à l’honneur avec notamment la volonté de doubler le chiffre d’affaires alimentaire en commerce digital d’ici 2022. Cette accélération de la digitalisation de l’offre Auchan explique la Direction pourrait permettre la création de 600 postes environ. Reste qu’elle annonce surtout des changements qui ne peuvent qu’impacter les emplois, tel le fait de mutualiser les métiers supports en hypermarché.

Promesses de reclassements dans le groupe

La direction tente aussi une explication à propos de la mutation qu’elle entend imposer au fonctionnement du service après-vente. Ainsi, sa digitalisation permettrait de renforcer l’autonomie du client dans la prise en charge et de répondre au recul du marché de l’électronique grand public qui a entraîné la baisse d’activité du SAV de 45% en 10 ans. La direction ne s’en cache pas, concrètement, ce passage à un service quasi tout numérique entraînerait la fermeture de 9 des 11 centres de réparation (ceux d’Aubagne et Trappes seraient conservés) et la suppression des accueils SAV en hypermarché.

Toujours dans la galaxie Mulliez, une autre affaire tout aussi dramatique au plan de l’emploi, celle d’Alinea, percute l’affaire Auchan. La famille Mulliez qui avait acheté en 2017 l’enseigne d’ameublement Alinéa vient d’en reprendre partiellement les rênes à la faveur d’une ordonnance du 20 mai dernier permettant, en cette période de crise sanitaire et jusqu’à la fin 2020, à des dirigeants de se porter acquéreurs de leur propre entreprise en difficulté si le projet présenté maintient l’emploi.

Alors qu’Alinéa (1895 salariés et 26 magasins), en grande difficulté, avait été placée en redressement judiciaire, le tribunal de Commerce de Marseille a accepté le 14 septembre le plan de reprise du groupe Mulliez, baptisé Néomarché. Ce plan comprend près d’un millier de suppressions d’emplois et la fermeture de 17 magasins.

Pour les salariés dont les magasins fermeront, le groupe Mulliez -assurant qu’il y aura quelques 1500 CDI à pourvoir dans plusieurs entités lui appartenant- promet ainsi des reclassements notamment chez Auchan… L’art de conjuguer le paradoxe avec cruauté ?


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

Quitter la version mobile