A Pîtres, Manoir Industries toujours dans l’incertitude d’une éventuelle reprise


Le tribunal de commerce de Paris a repoussé, jusqu’au 4 avril, la date-limite de réception des offres de reprise de la fonderie centenaire de l’Eure, que les défaillances de son actionnaire hongkongais ont conduit au redressement judiciaire. Pour l’instant, seule une entreprise sidérurgique britannique a déposé une offre de reprise partielle, concernant la production de pièces en aciers pour la pétrochimie. 439 emplois sont menacés.

L’angoissante attente se prolonge pour les 439 salariés de la fonderie Manoir Industries à Pîtres (Eure), suspendus à l’espoir d’une reprise depuis le placement en redressement judiciaire de leur entreprise fin février. Alors que la date-limite de réception des offres de reprise avait été fixée au 22 mars, le tribunal de commerce de Paris l’a repoussée de quinze jours, jusqu’au 4 avril, ont appris les représentants du personnel par… un simple mail envoyé par l’administrateur provisoire.

Aucune explication ne nous a été fournie sur les raisons motivant, précisément, ce report. On peut en faire une lecture positive – cela laisse plus de temps à d’éventuels candidats pour se positionner – ou en faire une lecture négative – la seule offre déposée est très insuffisante. Ce qui est certain, c’est que l’inquiétude est montée d’un cran chez les salariés, commente Jimmy Masson, élu FO au comité social et économique (CSE). Le militant dénonce l’absence de contacts avec les administrateurs. Les offres ou intentions de reprise sont connues depuis le 22 mars. 72 heures après, les représentants du personnel n’ont toujours eu aucun échange avec les administrateurs. Ils sont aux abonnés absents. C’est inacceptable !, explique-t-il.

Une offre partielle déposée par le sidérurgiste britannique Paralloy

A la date du 22 mars, seul le sidérurgiste britannique Paralloy, détenu par le fonds d’investissement néerlandais Nimbus, a déposé une offre de reprise très partielle : elle concerne uniquement l’activité de production de pièces en aciers pour le secteur de la pétrochimie, qui représente 70 % de l’activité totale de la fonderie.

Problème, cette offre de reprise, telle qu’elle a été transmise au secrétaire du CSE, est pour le moins succincte. Un projet industriel concernant l’activité, qui emploie aujourd’hui sur notre site plus de 250 salariés, ne peut se limiter uniquement à 11 pages, tempête Grégory Chevalier, délégué syndical FO. Avec l’intersyndicale, qui regroupe l’ensemble des organisations, le militant a rendez-vous ce vendredi 26 mars avec le préfet de l’Eure. Tous espèrent obtenir plus de détails sur l’offre Paralloy.

Un fonds d’investissement hongkongais (Kingsun Huafeng Technology) s’est aussi manifesté. Mais, à la date du 22 mars, il n’a rédigé qu’une lettre d’intention (elle ne constitue pas un engagement, NDLR) concernant l’activité de production de pièces en aciers pour le secteur nucléaire, qui emploie actuellement 121 personnes. Le report de la date-limite de réception des offres lui donne l’occasion de transformer son intention en offre de reprise.

Un carnet de commandes plein mais une trésorerie épuisée par l’actionnaire hongkongais

Si ce fleuron industriel de la vallée de l’Andelle, qui a développé des dizaines d’aciers spéciaux, se retrouve en redressement judiciaire (comme les cinq autres usines françaises du groupe Manoir Industries), ce n’est pas faute de clients. Le carnet de commandes est plein, avec un plan de charges prévisionnel courant jusqu’à la mi-2022. Mais l’actionnaire unique depuis juin 2020 – le fonds d’investissement hongkongais CAM SPC – a épuisé la trésorerie.

La fonderie euroise, qui est la plus grosse usine en France du groupe Manoir Industrie, a tenu grâce au concours de l’État, via un prêt de 13 millions d’euros du FDES (Fonds de développement économique et social) et à des reports accordés dans le paiement des charges fiscales et sociales.

Aujourd’hui, le temps presse. Il nous faut trouver un repreneur d’ici la fin avril. La trésorerie ne permettra pas de tenir au-delà, indique Grégory Chevalier, délégué syndical FO. Pour ménager la trésorerie, certains ateliers ont été mis, dès cette semaine, en chômage partiel.

Bien décidés à sauver les emplois, l’intersyndicale multiplie depuis des semaines les contacts avec les représentants de l’État et les élus locaux, pour s’assurer de leur soutien et lever les obstacles sur le chemin d’une reprise. Ainsi, le terrain sur lequel est située la fonderie ne lui appartient plus : avant même la mise en redressement judiciaire, il avait déjà été vendu par l’actionnaire à un investisseur étranger. Son rachat pourrait faciliter une reprise, en évitant le coût du loyer au futur repreneur.

Poursuite des distributions alimentaires

Dans leur combat, les représentants du personnel et l’intersyndicale pensent bien sûr aux difficultés financières rencontrées par les salariés dont les deux tiers sont ouvriers, et nombre d’entre eux au Smic. Anticipant un retard d’une semaine dans le paiement des salaires de février (le règlement à la date retenue habituellement par l’employeur n’est pas assuré dans le cadre des redressements judiciaires, NDLR), ils ont mobilisé les commerçants.

260 colis alimentaires ont pu être distribués la première semaine de février. Beaucoup de salariés remboursent leur crédit dès le premier jour du mois. En février, ils n’ont reçu leur salaire que le 8, rappelle le délégué syndical FO. Une cagnotte en ligne sur Facebook doit servir à l’achat d’autres paniers-repas.

Le territoire serre les rangs autour de la fonderie. Mercredi 24 mars, trois agriculteurs des environs de Louviers, à une vingtaine de kilomètres de Pîtres, ont ainsi livré gratuitement 1,5 tonne de légumes divers au CSE de la fonderie euroise. Dès la semaine prochaine, ses élus en assureront la distribution aux salariés.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

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