Bonjour à toutes et à tous,
Permettez-moi, au début de cette intervention, de vous citer Dante dans la Divine Comédie : « qu’ici l’on bannisse tout soupçon, qu’en ce lieu s’évanouisse toute crainte ».
Le combat que nous menons, que mène Force Ouvrière contre la loi Travail n’a rien à voir avec les joutes politiques et politiciennes qui font les choux gras de l’Elysée ou de Matignon. Je salue ici ce combat mené depuis quatre mois par les militants, adhérents et salariés.
Nous nous positionnons contre le projet de loi que nous contestons pour des raisons de fond et de conception sociale et républicaine. Nous sommes et nous restons dans notre rôle syndical.
Si nous étions dans l’enseignement et que nous donnions une note au gouvernement, ce serait un zéro pointé.
Zéro pour la méthode
Manque de concertation, non-respect du Code du travail (article 1), projet découvert dans la presse, rigidité de Matignon, appuyé par la présidence de la République. Confusion entre autorité et autoritarisme, un autoritarisme qui est aussi un aveu d’impuissance.
Force Ouvrière, à différentes reprises, a fait des propositions et contre-propositions pour ce que nous appelons une sortie par le haut, refusées systématiquement par Matignon :
d’abord une suspension du projet de loi, dès sa connaissance, afin d’établir une véritable discussion ;
ensuite de sortir les articles plus « hard », les cinq points les plus contestés de ce projet pour les renvoyer notamment à la négociation ;
enfin, sur l’article 2 qui n’est pas négociable, je le dis clairement, sortir les points clés de cet article 2, dont les heures supplémentaires.
A chaque fois, ce fut refusé par le Premier ministre qui, sur un ton martial, a annoncé hier le 49-3 qui est, certes, un outil constitutionnel, mais qui est « un déni de démocratie ». Ces mots, mes chers camarades, ce sont ceux de François Hollande en 2006 au moment du conflit contre le CPE.
Zéro aussi pour le contenu
Absence de reconnaissance du rôle des branches et des conventions collectives nationales et tout le monde sait bien que si un jour les conventions collectives nationales sont remises en cause dans le secteur privé, demain ce sont les statuts nationaux dans le public qui seront attaqués.
Sur les propositions que nous avons faites, nous n’avons eu que des réponses en demi-teinte. Et pourtant, nous avons systématiquement rappelé que les pays qui ont pratiqué la remise en cause des conventions collectives nationales et des accords de branches, je pense à la Grèce sous l’influence de la Troïka, je pense à l’Espagne, je pense au Portugal. Partout ça a été une catastrophe.
En 2008, 12 millions de travailleurs espagnols étaient couverts par des conventions collectives, quatre ans après, du fait de la suppression des négociations de branches, ce nombre est tombé à 7 millions. Ça veut dire que 5 millions de travailleurs espagnols ont perdu toute référence à une convention collective.
L’opposition à l’inversion de la hiérarchie des normes en matière, dans une première étape, de temps de travail. Mais qui dit temps de travail dit également salaire. Comment peut-on accepter que sur les heures supplémentaires, sur pression des employeurs, sur pression des donneurs d’ordre vis-à-vis des sous-traitants, demain de plus en plus aux salariés verront leurs heures supplémentaires, les premières payées à 10% au lieu de 25%. Donc, pour quelqu’un qui est payé au smic, qui fait 4 heures supplémentaires par semaine, à la fin du mois c’est 20 euros de moins, ça n’est pas acceptable.
Comment accepter que sur le temps partiel, alors que 78% des travailleurs à temps partiel sont des femmes, les délais de prévenance pour l’organisation de leur temps de travail puisse être ramené par négociation d’entreprise de sept à trois jours ? Bonjour l’articulation entre vie privée et vie professionnelle.
Comment peut-on accepter que la mise en place du travail de nuit ne dépende plus demain d’accords de branches ou de conventions collectives nationales mais d’accords d’entreprise négociés sous pression ?
Ceux qui disent qu’il faut faire confiance aux travailleurs parce qu’ils ne signent jamais de mauvais accords (c’est-à-dire dérogatoires en moins) même sous la pression et le chantage à l’emploi, alors si c’est le cas qu’ils soutiennent le principe de faveur, qu’ils demandent aussi l’abandon de l’article 2 de la loi.
Comment accepter encore que la durée maximale hebdomadaire du travail soit renvoyée là aussi aux négociations d’entreprises ? Et j’ajoute tous les autres points de discorde, qu’il s’agisse des définitions des licenciements économiques, des accords dits de développement ou de préservation de l’emploi ou de cet outil de court-circuitage des organisations syndicales qu’est le référendum, on a vu ce que ça donne dans une entreprise comme Smart.
- Photographie : F. Blanc / FO Hebdo – CC BY-NC 2.0
Mon expérience syndicale montre que jamais nous n’avons connu un conflit aussi long. Il y a quelques mois, si un militant FO m’avait dit « tu sais, tu vas devoir te retrouver avec Philippe Martinez, dans le bureau de Bernard Cazeneuve pour demander le respect de la liberté de manifester », je lui aurais demandé si il avait fumé un joint.
Ceci étant, Bernard Cazeneuve a, dans des conditions pas faciles, accepté que la liberté de manifester soit respectée.
Hier, plus de 130 députés du parti majoritaire ont présenté un amendement qui a été à nouveau refusé par Matignon et l’Elysée pour des raisons de posture politicienne. La rigidité, mes camarades, c’est par définition opposé au compromis, c’est par définition opposé à la démocratie. Les seuls arguments utilisés par le Premier ministre, si j’ai bien vu, sont de deux ordres :
Traiter les opposants de conservateurs, c’est facile, c’est vieux comme le monde. A chaque fois qu’on n’est pas d’accord, il y a les modernes et les anciens. C’est trop facile, mes camarades. Défendre les droits des travailleurs, c’est faire acte de progrès.
Deuxième justification, il ne fallait pas remettre en cause un accord du Premier ministre avec une organisation syndicale ; je ne la cite pas, vous aurez tous compris.
Les faits sont têtus. Ce projet de loi est multi minoritaire.
Minoritaire chez les syndicats : 35 à 40% pour, 65% contre.
Minoritaire chez les patrons : l’union pour les artisans, les PME sont pour le respect des conventions collectives nationales.
Minoritaire dans l’opinion : les sondages le confirment à chaque fois.
Minoritaire politiquement puisqu’il a fallu par deux fois utiliser le 49-3.
Ça fait plus de trois ans que nous expliquons que l’austérité est trois fois suicidaire : socialement puisque en France, comme ailleurs, elle remet en cause les droits, économiquement, on le voit sur l’activité économique et si l’on n’y prend garde, elle finira par l’être démocratiquement. J’ajoute d’ailleurs que nous n’excluons pas, si ce projet de loi fini par passer en l’état, d’examiner les recours juridiques y compris au Conseil constitutionnel.
Mais mes camarades, ça a été dit tout à l’heure par Philippe, nous ne laisserons pas tomber. Quand je dis que nous ne laisserons pas tomber, nous allons maintenir la pression pendant l’été. Il y a le Tour de France, où nous sommes également. Il ne s’agit pas de perturber le Tour de France, bien entendu, mais de saisir l’occasion pour faire de l’information. Et puis, mes camarades, on va vous demander d’accueillir comme il se doit les ministres du gouvernement quand ils feront quelques déplacements dans les temps à venir. Mais en septembre, il faut également maintenir la pression et nous regarderons les modalités d’une journée de rassemblement ou autre.
Au nom de Force Ouvrière, je l’ai indiqué ces derniers jours, ce projet je ne sais pas s’il doit être le chewing-gum qui colle aux chaussures du gouvernement pendant les semaines et les mois à venir. Vous pouvez prendre le sparadrap du capitaine Haddock, c’est tout à fait la même chose.
Permettez-loi une petite provocation, une taquinerie ; quand Laurent Berger sera Premier ministre, Manuel Valls pourra être candidat pour être secrétaire général de la CFDT et il faudra toujours des syndicats pour défendre les travailleurs, pour défendre leurs droits, leur dignité.
Le social ne doit en aucun cas être sacrifié au néolibéralisme en vigueur en France et en Europe. Et au lieu de menacer de ne pas respecter la directive européenne sur le travail détaché, le gouvernement s’honorerait à se battre pour ne pas appliquer le pacte budgétaire européen qui est à l’origine de l’austérité dans tous les pays européens.
Après le Brexit et les déclarations officielles sur le thème qu’il faut renouer l’Europe avec les citoyens, nous le disons clairement, le meilleur moyen de montrer que ça change serait pour la France de renoncer à appliquer la loi Travail, de l’abandonner.
Nous ne sommes pas loin de la place Léon Blum et je voudrais conclure par un extrait du discours de Léon Blum dans ce Gymnase Japy, le 10 janvier 1926, 10 ans avant le Front Populaire, 10 ans avant que, je vous le rappelle, le Front Populaire instaure en France le principe de faveur et la hiérarchie des normes.
Je cite Léon Blum : « J’en reviens maintenant à ma distinction entre l’exercice et la conquête du pouvoir. Le danger c’est la déception. Ce danger est variable bien entendu, mais il est toujours réel, toujours redoutable et c’est pourquoi l’exercice du pouvoir à l’intérieur des institutions capitalistes est et sera toujours une épreuve particulièrement douloureuse et difficile pour des partis socialistes ».
Alors, mes camardes, résistons ! C’est une nécessité sociale. C’est une nécessité économique. C’est une nécessité démocratique.
- Les syndicats opposés à la loi Travail tenaient un meeting au gymnase Japy, à Paris, le 6 juillet 2016. Photographie : F. Blanc / FO Hebdo – CC BY-NC 2.0
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly