Cette année, la Sécurité sociale fête ses 80 ans. Créée en 1945 après la Seconde Guerre mondiale, elle est l’héritière d’une longue évolution de l’assistance sociale en France, marquée par différentes logiques et acteurs.
Dès le Moyen Âge, l’aide aux plus démunis repose sur des œuvres charitables portées par l’Église et les hospices, ainsi que sur une prise en charge communale sous l’autorité des notables. Avec la dérégulation féodale aux XIVe et XVe siècles, l’afflux de populations pauvres vers les villes entraîne une montée des risques d’épidémies et de troubles sociaux. Face à ces défis, les municipalités mettent en place des politiques d’assistance plus structurées dès le XVIe siècle, avec la création de bureaux d’aide et des budgets dédiés, comme l’Aumônerie générale à Paris.
Au XVIIIe siècle, le travail reste dominé par les traditions corporatistes, malgré une progression du salariat. La « révolution libérale » qui suit met en avant la liberté économique et la valeur du travail, tout en révélant l’ampleur croissante de la misère. La Révolution française introduit en 1790 l’idée d’un droit aux secours publics pour les inaptes au travail, mais les libéraux continuent de voir dans l’emploi la principale solution contre la pauvreté. L’ambivalence entre un État social garant de l’aide publique et un État libéral minimal empêche dès lors l’instauration d’une politique nationale d’assistance, laissant cette responsabilité aux communes.
Au XIXe siècle, l’industrialisation transforme la question sociale en mettant en lumière la précarité des ouvriers face aux maladies, aux accidents et à l’arrêt d’activité. Pourtant, l’État ne s’implique véritablement qu’à partir des années 1880-1890, laissant jusqu’alors l’aide aux œuvres charitables et aux initiatives privées, comme la prévoyance individuelle, les sociétés de secours mutuels ou encore les protections patronales. Face à l’ampleur du paupérisme, les républicains sociaux finissent par reconnaître la nécessité d’une intervention publique. La notion de « risque », d’abord associée aux accidents du travail, s’élargit à l’ensemble des incertitudes pesant sur les ouvriers, ouvrant la voie à des dispositifs mutualisés.
Une série de lois d’assistance sont adoptées à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, couvrant notamment les enfants abandonnés, les vieillards et les familles nombreuses. La loi de 1898 marque un tournant en instaurant la responsabilité des employeurs face aux accidents du travail. Les premières assurances sociales émergent en 1928-1930, prenant en charge la maladie, la maternité, la vieillesse, l’invalidité et le décès pour les salariés sous un certain seuil de revenus. Financées par des cotisations ouvrières et patronales, elles restent néanmoins fragmentées et leur gestion, répartie entre plusieurs caisses, demeure complexe.
En 1945, la Sécurité sociale est créée pour unifier la protection sociale sous une caisse nationale unique. Les caisses primaires gèrent les prestations maladie, maternité et accidents du travail, tandis que les caisses régionales sont chargées de l’action sanitaire et sociale ainsi que des retraites. Bien que la caisse nationale soit un établissement public, ces caisses conservent un statut de droit privé et sont administrées par les intéressés, c’est-à-dire des représentants élus d’organisations syndicales. Cette réforme marque un tournant décisif en instaurant un système de solidarité structuré, posant les bases de la protection sociale moderne en France.
À suivre : « La Sécurité sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ».