Avec 10 millions de touristes accueillis chaque hiver et plus d’un milliard d’euros de recettes générées, les deux cent cinquante stations de ski françaises assurent en quelques mois le développement économique de nombreux territoires. Les entreprises de remontées mécaniques emploient 18 000 salariés, essentiellement des saisonniers dont le contrat prend fin à la fermeture des pistes. Un statut des plus précaires et dont les droits ne cessent d’être attaqués s’inquiète FO, syndicat majoritaire dans la branche, qui maintient la pression sur le patronat et les ministères concernés. Alors que le réchauffement climatique menace l’avenir des stations de basse et moyenne altitude, FO appelle à maintenir les aides financières aux structures pour garantir la survie de la population saisonnière et, au-delà, la vie économique des vallées de montagne.
Défendre et consolider le fragile château de cartes
Ils sont pisteurs-secouristes, dameurs, conducteurs de remontées mécaniques, nivoculteurs, hôtesses en caisse… Les remontées mécaniques et domaines skiables de France emploient près de 18 000 salariés, répartis en une vingtaine de métiers. Parmi eux, quelque 16 000 saisonniers voient leur contrat s’arrêter à la fermeture des pistes. Un statut des plus précaires et une spécificité méconnue et sous-estimée par l’exécutif selon Éric Becker, conseiller fédéral chargé des remontées mécaniques à FO-Transports et référent national saisonniers, qui refuse que ces derniers soient considérés comme des sous-salariés.
Pour les saisonniers, il n’y a pas de logement, pas d’offre de transport, pas de place en crèche, le salaire est de moins en moins attrayant et le ministère du Travail menace désormais de supprimer les mesures de chômage partiel en cas de manque de neige. On retire aux saisonniers le peu de droits qu’ils avaient obtenus. Tout est fait pour démonter le fragile château de cartes construit depuis trente ans. On veut les faire fuir alors qu’ils sont irremplaçables, résume le militant, assumant son coup de gueule.
Mi-janvier, avec Patrice Clos, secrétaire général de la fédération UNCP FO-Transports, et Pierre Didio, secrétaire général de l’UD FO de Savoie, il a réuni à Chambéry une quarantaine de délégués du syndicat FO des remontées mécaniques et domaines skiables (FO-RMDS), venus de tous les massifs français. L’occasion d’évoquer les différentes problématiques rencontrées par les salariés cette saison.
Le logement reste l’une des principales difficultés, avec une offre insuffisante en station et peu de solutions proposées par les employeurs. Cela se traduit par des loyers très élevés, poussant les travailleurs à s’éloigner toujours plus dans les vallées.
66 % des saisonniers connaissent des périodes de chômage
Selon une vaste enquête menée en 2023, notamment par FO, un tiers des salariés de la branche expriment des difficultés liées au logement. Pour Éric Becker, des solutions pourraient être trouvées par les pouvoirs publics, s’ils en avaient la volonté, comme la réhabilitation de locaux administratifs ou militaires inoccupés, ou la construction de logements dédiés exonérés de taxes.
FO avait soutenu la construction de maisons des saisonniers proposant un hébergement décent avec un loyer raisonnable. C’était une bonne idée, mais les pouvoirs publics ont demandé aux employeurs de payer un an de charges pour une occupation de seulement trois ou quatre mois, et ces derniers se sont retirés, déplore le militant, qui espère que des logements seront conservés pour les saisonniers après les JO d’hiver de 2030 qui se dérouleront dans les Alpes.
Selon cette même enquête, la rémunération mensuelle médiane était, en 2023, de 2 000 euros brut pour les saisonniers et de 2 400 euros brut pour les permanents. Pour la saison 2024-2025, la chambre patronale Domaines skiables de France a recommandé à ses adhérents d’augmenter de 1,2 % les salaires et les primes conventionnelles. FO avait revendiqué une hausse de 3 %, pour être à la hauteur des prix pratiqués en station.
Autre problématique, l’indemnisation du chômage, alors que les périodes non travaillées sont inhérentes à la saisonnalité des métiers de la branche. Une étude de l’Ires publiée en mai 2024 précise que même si certaines activités sportives en été peuvent solliciter une main-d’œuvre dans le domaine des remontées mécaniques, cela représente moins de 5 % des activités économiques du secteur. L’activité économique est donc concentrée sur trois ou quatre mois de l’année, ce qui favorise le recours à l’emploi saisonnier de manière systémique. Si, selon l’enquête menée par FO, 84 % des saisonniers contractent au moins un emploi entre deux hivers, cela ne suffit pas pour occuper toute l’intersaison et ils étaient 66 % à connaître des périodes de chômage. Or les dernières réformes imposées par les gouvernements successifs ont durci l’accès à l’indemnisation. Actuellement, pour ouvrir ou recharger des droits, il faut avoir travaillé au moins six mois au cours des vingt-quatre derniers mois. À partir du 1er avril 2025, grâce au combat mené par FO, les saisonniers pourront être indemnisés dès cinq mois de travail. Mais cela reste insuffisant selon le syndicat FO-RMDS car la durée des contrats ne cesse de se réduire.
FO, syndicat majoritaire dans la branche
Toutes les stations ont aussi un accord d’entreprise qui prévoit le manque de neige, selon Pierre Didio, de l’UD de Savoie. En début de saison, cet accord permet à l’employeur de retarder l’embauche jusqu’à une date déterminée. Au-delà, il fait une demande de chômage partiel. Idem si le manque de neige survient en cours de saison. Depuis deux ans, le ministère du Travail menace de supprimer le recours à l’activité partielle, considérant que le manque de neige n’est plus exceptionnel. Mais cette allocation permet de conserver des salariés sous contrat, prêts à reprendre une activité. Et sans chômage partiel, les saisonniers seront à terme privés d’indemnisation chômage et on ne trouvera plus de saisonniers, alerte Éric Becker.
Si les saisonniers ne peuvent plus boucler l’année avec quelques mois de chômage, ils se feront embaucher ailleurs, abonde Pierre Didio, en pleine préparation d’élections professionnelles. Six scrutins sont organisés cet hiver dans de son département, notamment à Tignes, Les Arcs ou La Plagne. En termes de représentativité, FO est majoritaire au niveau national dans les remontées mécaniques, avec 53 % des voix. Éric Becker attend d’excellents résultats cet hiver, comme à Super Dévoluy, dans les Hautes-Alpes, où le syndicat FO est passé de un à trois sièges à l’issue des élections organisées en janvier. Il y a une volonté de faire bouger les choses dans les stations et les délégués FO répondent aux attentes de salariés, se félicite Éric Becker.
Réchauffement climatique : pour FO, rien ne remplacera le business de la neige
L a neige tombée en abondance ces dernières semaines en haute altitude, et qui fait le bonheur des skieurs, est surnommée l’« or blanc » tant elle peut rapporter financièrement en quelques mois aux acteurs de la montagne et assurer le développement économique des territoires.
La France compte 250 stations de ski alpin exploitées par 200 entreprises de remontées mécaniques employant 18 000 salariés. Chaque hiver, ces stations accueillent 10 millions de touristes, dont un quart venu de l’étranger. Ils dépensent près de 10 milliards d’euros par an dans les forfaits, la location de matériel, les cours de ski, le logement… Avec 51,9 millions de journées-skieur enregistrées l’hiver dernier, la France se place au deuxième rang mondial, derrière les États-Unis. La fréquentation moyenne a augmenté de 2 % sur un an, malgré de fortes disparités entre les massifs selon les aléas d’enneigement (+ 7 % en Savoie, – 57 % dans les Vosges).
La branche génère plus d’un milliard d’euros de recettes, une fois défalqués les lourds investissements réalisés chaque année pour les domaines skiables (546 millions d’euros en 2023). En euros constants, les recettes globales ont triplé en trente-cinq ans, passant de 600 millions d’euros en 1990 à 1,8 milliard d’euros en 2024.
Les stations génèrent aussi plus de 120 000 emplois indirects, dans les commerces, les hébergements, les écoles de ski… Ce dynamisme économique s’étend jusqu’aux vallées, avec les services aux entreprises (comptabilité, informatique, communication), la construction… Les communes et les départements concernés perçoivent également une taxe sur les recettes des entreprises des remontées mécaniques. Une ressource pour les collectivités qui s’élève au total à 60 millions d’euros par an.
Mais cet « or blanc » est menacé par le réchauffement climatique. Si les stations de haute altitude parviennent encore à tirer leur épingle du jeu, les stations familiales situées en plus basse altitude doivent composer avec le manque de neige, débouchant souvent sur un déficit financier.
Certaines communes préfèrent tourner la page. En octobre dernier, après un référendum auprès des habitants, la Seyne-les-Alpes, dans les Alpes-de-Haute-Provence, a décidé de fermer les remontées mécaniques de la station du Grand-Puy. La baisse de fréquentation due au manque de neige avait généré des centaines de milliers d’euros de pertes. L’objectif est désormais de diversifier les activités de sport et nature. En septembre, c’est la plus grosse station de ski alpin du Jura, Métabief, qui a annoncé la fermeture de 30 % de son domaine skiable. Depuis les années 1950, cent quatre-vingt-six domaines skiables ont cessé d’être exploités, au rythme de deux ou trois par an, selon le géographe Pierre-Alexandre Metral, cité par le journal Le Monde.
En jeu, la survie économique des vallées
Insuffisant pour la Cour des comptes qui, dans un rapport rendu en février 2024, pointait l’essoufflement du modèle économique du ski français. Elle estime que toutes les stations seront plus ou moins touchées à l’horizon de 2050 par le manque de neige et que beaucoup de collectivités territoriales n’ont pas pris la mesure de la situation. Elle leur reproche aussi de trop miser sur la neige de culture (canons à neige), qui n’est, à ses yeux, qu’une solution à court terme. La Cour recommande notamment que chaque station élabore un plan d’adaptation pour sortir de la dépendance au ski, et que les financements publics soient conditionnés à l’existence et au respect de ce plan.
Une méthode trop brutale pour Éric Becker, conseiller fédéral chargé des remontées mécaniques à l’UNCP FO-Transports et référent national saisonniers. Il serait irresponsable d’ignorer l’évidence d’un réchauffement climatique, mais il faut mener une réflexion intelligente, explique-t-il. Beaucoup de petites stations sont sous perfusion financière. Aujourd’hui, on leur coupe les vivres avant de leur donner les moyens de changer. Il n’y a pas de solution miracle selon lui. On ne remplacera jamais la neige. Le VTT, qui marche très fort l’été et a le plus gros potentiel, ne représente au maximum que 20 % du chiffre d’affaires de la saison d’hiver. La suppression progressive des aides aux stations en difficulté serait catastrophique pour des régions entières, poursuit le militant.
En Savoie, qui possède le plus grand domaine skiable du monde avec les Trois Vallées, l’or blanc génère chaque année 4 milliards d’euros d’activité économique, soit un bon tiers du PIB du département (11,4 milliards d’euros) selon Pierre Didio, secrétaire général de l’UD FO. La Savoie ne pourra jamais se priver de ces 4 milliards d’euros. L’industrie fout le camp, ce qui fait encore augmenter la part du tourisme dans le chiffre d’affaires, réagit-il.
Selon FO, il en va de la survie économique des vallées. Éric Becker appelle à la mise en place de mesures de sauvegarde de l’emploi. Des actions du syndicat sont en cours auprès des ministères concernés. L’équilibre économique de nos vallées est totalement dépendant du travail en station. Si ce schéma est rompu, un exode rural est prévisible, alerte-t-il. Il faut se rappeler que c’est l’essor des stations de ski qui avait sorti ces régions de la pauvreté et permis aux montagnards de rester au pays.
La saisonnalité, un métier généralement choisi
Deux syndicats dont FO et la chambre patronale Domaines skiables de France ont lancé, durant l’hiver 2023, une vaste enquête auprès des 18 300 salariés de la branche des remontées mécaniques et domaines skiables. Elle a été publiée en avril 2024. Le taux de réponse de 20 % permet de dresser un tableau très représentatif selon les auteurs. La dernière enquête du genre remontait à 2009.
Ainsi, 79 % des salariés sont saisonniers, les autres étant en CDI. Les deux tiers des saisonniers ont plus de 35 ans et sont en couple. C’est le cas des trois quarts des permanents. L’ancienneté moyenne est de dix ans chez les saisonniers et de quinze ans en CDI.
Une très grande majorité des saisonniers (89 %) ont leur résidence principale dans le département où ils travaillent et 86 % disent effectuer ce métier par choix. En hiver, 90 % des emplois saisonniers durent plus de trois mois.
Les salariés de la branche consacrent 28 % de leurs revenus au logement. Chez les saisonniers, 46 % sont propriétaires contre 68 % des permanents (57 % en moyenne selon l’Insee). Un gros tiers (36 %) sont locataires et 3 % sont logés par leur employeur.
Un salarié sur cinq a des difficultés de transport domicile-travail et 40 % sont aidés par leur employeur. Le trajet dure en moyenne 20 minutes pour 15 kilomètres. Plus de la moitié (59 %) utilise un véhicule personnel. Seulement 22 % ont recours aux transports en commun et dans la moitié des cas il s’agit d’un ramassage organisé par l’employeur.
Enfin, 62 % ont voté aux dernières élections professionnelles et 93 % ont des représentants du personnel.