En Charente, chez Hennessy, les salariés se sont récemment inquiétés d’un projet consistant à exporter vers la Chine une partie de la production charentaise du Cognac afin que, destinée au marché local de ce pays, elle soit mise en bouteille là-bas. Alors que les salariés ont mené une grève pendant deux jours, la direction a décidé de suspendre son projet. Mais les syndicats, dont FO, continuent de se mobiliser pour qu’il n’aboutisse jamais.
En trente-cinq ans chez Hennessy, je n’ai jamais vu une telle mobilisation, salue Frédéric Merceron, délégué syndical FO chez le leader mondial du cognac. Aucun de nos sites ne tournait. Les 19 et 20 novembre, quelque 600 salariés de l’entreprise ont débrayé, alarmés par un projet de la direction. Leur P-DG venait de leur annoncer simultanément son prochain départ mais aussi un projet consistant à exporter vers la Chine une partie de la production charentaise du prestigieux breuvage afin que, destinée au marché local de ce pays, elle soit mise en bouteille là-bas.
L’idée était de transférer cette mise en bouteille auprès d’un sous-traitant chinois, afin de contourner la nouvelle taxe décrétée par l’Empire du milieu sur l’importation de volumes inférieurs à 200 litres : une taxe de 34,8 % de la valeur du produit. Et à cela, il faut ajouter les 5 % de droits de douanes. C’est une mesure de représailles de la part de la Chine, à la suite des surtaxes imposées par Bruxelles sur les véhicules électriques importés depuis ce pays, alors que notre filière du Cognac ne pratique aucune des mesures de dumping que l’Union européenne reproche à la Chine, observe Frédéric Merceron.
Crainte de répercussions sur le tissu économique régional
Pour les salariés de l’entreprise, mais également pour toute la région, l’annonce de l’expérimentation d’une délocalisation d’une partie de l’embouteillage a immédiatement soulevé le spectre des suppressions d’emplois. On s’est tous posé la question de savoir ce qu’allait devenir la Charente si l’expérimentation se généralise, rapporte le délégué syndical FO. Car ce n’est pas seulement un sujet pour Hennessy. La Chine absorbe un quart des exportations de cognac. L’impact d’une telle délocalisation pourrait se répercuter sur les fournisseurs et sous-traitants (fabricants d’étiquettes, de bouteilles, de bouchons…). Les autres producteurs de cognac pourraient emboiter le pas. Et c’est ensuite tout le tissu économique de la région qui serait affecté en cascade (immobilier, commerce, services…). En perspective c’est la désertification économique de la région qui pointe, insiste Frédéric Merceron. L’industrie du Cognac représenterait en effet 15 000 emplois directs et 70 000 emplois indirects.
Le 26 novembre, la direction d’Hennessy a annoncé avoir suspendu son projet. Si la mobilisation des salariés a joué son rôle, il faut dire aussi que l’annonce de la surtaxation chinoise provoque des remous. Lors du G20, Paris et Pékin ont pu échanger sur le sujet. Et d’autres rencontres sont prévues au cours du premier trimestre 2025, entre les premiers ministres des deux pays. On peut espérer qu’ils s’accordent sur une diminution de la taxe, voire sur sa disparition, avance le délégué FO.
Pourtant l’inquiétude demeure. Pour l’heure, le projet est seulement suspendu observe Frédéric Merceron. Chez Hennessy, les représentants des salariés cherchent donc à sensibiliser au-delà de l’entreprise. Ils ont été reçus par le maire de la ville et par le président du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) le 28 novembre, pendant qu’un rassemblement intersyndical et interprofessionnel était organisé devant les locaux de l’organisation. Ils partagent notre inquiétude, explique Fréderic Merceron. Le BNIC pourrait donc demander l’extension de l’appellation d’origine contrôlée à la phase de mise en bouteille, comme cela existe sur le champagne par exemple. Cette perspective ainsi que celle d’un aboutissement possible des pourparlers politiques à l’échelon international apportent aux salariés de la filière et plus largement à la région des Charentes, l’espoir de protéger l’activité du Cognac, son économie et donc ses emplois.