La confédération syndicale internationale publie la 11e édition de son indice des droits mondiaux. Les conclusions sont alarmantes avec une dégradation du respect des droits des travailleurs dans les 169 pays interrogés.
Militer pour l’amélioration des conditions de travail peut coûter très cher. Au Swaziland, le secrétaire général du Syndicat des travailleurs des transports et communication est recherché par le gouvernement et a été forcé à l’exil. Au Bélarus, le président du Congrès des syndicats démocratiques (BKDP) a été condamné à quatre ans de prison fin 2022 et 42 leaders et militants syndicaux sont illégalement détenus. Quant aux organisations syndicales hongkongaises, leurs fédérations ont été poussées à la dissolution, et leurs dirigeants sont emprisonnés ou en exil. En Colombie, au Guatemala, au Honduras et aux Philippines, des militants sont morts en raison de leur engagement. Si ces situations sont extrêmes, la défense des droits des travailleurs n’en demeurent pas moins compliquée sur toute la planète selon le onzième indice des droits dans le monde publié par la Confédération syndicale internationale (CSI).
Chaque année depuis 2014, la CSI interroge quelque 340 confédérations nationales dans 169 pays. Elle a élaboré un questionnaire permettant de renseigner 97 indicateurs issus des droits au travail tels qu’ils sont définis par l’Organisation internationale du travail (OIT) et les pays signataires des conventions qui la constituent. A partir des réponses au questionnaire et compte-tenu des vérifications effectuées par la CSI, une note sur une échelle allant de 1 à 5 permet de classer les pays.
90 % des pays violent le droit de grève
L’édition 2024 de cet indice révèle que, dans le monde, neuf pays sur dix violent le droit de grève (que ce soit par une interdiction, une limitation ou une répression de sa pratique) et huit sur dix nient le droit à la négociation collective pour obtenir de meilleurs conditions de travail et de rémunération.
Près de la moitié (74 pays) ont arbitrairement interpelé voire détenu des militants syndicaux. Et plus de 40 % interdisent ou restreignent la liberté de parole et de réunion. Pour la CSI ces données sont alarmantes et révèlent que les gouvernements et les entreprises accroissent leurs efforts pour nier ces droits élémentaires qui fondent la nature même de la démocratie.
Le Bangladesh, le Belarus, l’Equateur, l’Egypte, le Swaziland, le Guatemala, le Myanmar, les Philippines, la Tunisie et la Turquie sont classés par la Confédération syndicale internationale comme les dix pays les plus durs à l’égard des droits des travailleurs. En 2024, l’organisation observe que la situation ne s’améliore que dans deux pays : au Brésil le gouvernement du président Lula a réinstallé le comité tripartite sur la santé et sécurité au travail que son prédécesseur Bolsonaro avait supprimé ; et en Roumanie, une loi qui rend obligatoire la négociation collective dans toute entreprise de plus de dix salariés et qui élargit le droit de grève commence à produire ses effets.
Des violations de plus en plus fréquentes…en Europe
Mais depuis la création de l’index des droits mondiaux en 2014, la tendance globale est à la dégradation des droits du travail partout dans le monde. L’Europe atteste du plus important déclin, même si les conditions y demeurent meilleures qu’ailleurs. Le rapport relève ainsi des violations systématiques des droits en Grèce, en Hongrie, en Serbie et au Royaume-Uni. En Suisse, la situation se détériore également puisque les représentants du personnel n’y sont toujours pas protégés contre les licenciements abusifs. Or, alors qu’une médiation était enclenchée sur ce sujet entre syndicats et représentants des employeurs depuis 2019, celle-ci a été suspendue par le ministre de l’Economie. En France même, suite aux manifestations contre la réforme des retraites, des responsables syndicaux ont été interpelés et plus de 1 000 manifestants sont l’objet d’une mise en cause judiciaire.
Moyen-Orient, Afrique, Asie… droit de grève et liberté d’expression vivement réprimés
Le Moyen Orient et l’Afrique du nord demeurent les pires régions en matière de respect des conventions de l’OIT. Ainsi en Egypte, le nombre de syndicats indépendants est drastiquement tombé de 1500 à environ 150. Les organisations ont été dissoutes en 2017/2018. Depuis des procédures kafkaïennes ont été mises en place pour l’agrément des organisations, celles-ci devant par exemple obtenir l’accord de l’employeur. Par ailleurs onze syndicalistes ont été emprisonnés pour avoir eu recours au droit de grève. Une loi interdit en effet ce moyen de contestation dans les secteurs stratégiques, secteurs dont les contours ne sont pas précisément définis. Non loin, en Tunisie, la situation n’est pas plus favorable. Les autorités ont imposé un décret réprimant la simple expression du désaccord, de la revendication ou de la protestation. Ce texte permet d’infliger jusqu’à cinq années de prison et 50 000 dinars tunisiens d’amende. Le secrétaire général du syndicat des agents et cadres du ministère des affaires culturelles y a été incarcéré pour un post Facebook critiquant le président, même s’il a par la suite été relaxé lors de son procès.
L’Asie n’est malheureusement pas en reste, avec notamment une situation très préoccupante au Myanmar. Ce pays sous la coupe d’une junte militaire depuis plus de trois ans a été l’objet d’un rapport spécifique de l’OIT l’année dernière. Celui-ci rapporte qu’au moins seize organisations syndicales y ont été déclarées illégales, et que dans le cadre de la répression des manifestations en faveur d’un retour de la démocratie des détentions et arrestations ont massivement touché des militants syndicalistes. Un leader a notamment été interpelé et a disparu durant plus de cinq mois avant d’être condamné (sans le conseil d’un avocat) pour acte de terrorisme.
Autre exemple, dans un pays en paix, le Bangladesh, où une « police industrielle » est déployée dans les zones d’activité pour réprimer les troubles sociaux liés aux revendications des travailleurs. En 2023, au moins deux d’entre eux ont été tués pendant des manifestations et un leader syndical a été assassiné à la sortie d’une usine où il s’était déplacé à l’occasion d’un conflit sur des salaires non payés. Un processus d’agrément draconien a été créé menant à la non-autorisation de la moitié des organisations syndicales.