L’IRES a publié en mai 2024 une étude sur les travailleurs saisonniers, réalisée par une équipe de chercheurs au LEST-Aix en Provence, équipe dirigée par Cathel Kornig. Cette étude recommande la création d’un statut saisonnier.
Vous pouvez retrouver ci-dessous la synthèse de l’étude menée pour l’IRES.
L’emploi saisonnier, par définition, répond aux besoins d’entreprises ayant une activité saisonnière. Il est alors indispensable, voire essentiel dans certains secteurs en particulier et pour l’économie des territoires qui se réalise lors d’une période courte : la saison. Le législateur a régulièrement assoupli les critères permettant l’emploi d’une main-d’œuvre saisonnière afin de répondre aux besoins de ces entreprises. Pour autant, les saisonniers et saisonnières ne bénéficient pas d’un statut particulier, à l’instar des intermittents et intermittentes du spectacle.
Ils et elles travaillent donc sur la base de contrats à durée limitée et bénéficient d’une protection sociale régie par la règle du contrat de travail stable à temps plein, c’est-à-dire d’une protection sociale inadaptée au caractère permanent de la discontinuité de leurs emplois. Plusieurs types de contrats de travail et de situations de travail sont en effet regroupés sous la désignation d’emplois saisonniers : le CDD pour motif saisonnier, mais également le CDD d’usage, le contrat intérimaire, le détachement, le contrat de vendange, ou même la micro-entreprise… Par ailleurs, certains saisonniers et saisonnières travaillent dans des secteurs d’activités dont l’emploi peut être exercé toute l’année. Le terme de « saisonnier ou saisonnière » n’est donc pas stabilisé. Enfin, différentes situations coexistent qui vont du petit job d’été dans la restauration à celui d’emplois saisonniers à l’année ; de situation de mono-activité à celle de la pluriactivité ; de jeunes mobiles en début de vie active aux seniors stabilisés sur un territoire ; de saisons courtes (comme les vendanges) aux saisons longues ; de saisons avec un pic d’activité ou plusieurs, etc.
Souvent stigmatisé·es et mal connu·es, mal dénombré·es par la statistique publique, voire invisibilisé·es, les saisonniers et saisonnières sont peu l’objet de l’attention des pouvoirs publics malgré des problématiques récurrentes de logement et de conditions de travail. Le travail saisonnier a été particulièrement touché par la crise sanitaire alors qu’il s’agit d’une composante essentielle de l’emploi pour de nombreux secteurs d’activités. Une partie des saisonniers et saisonnières a vu son activité totalement stoppée, dans le cas de l’hôtellerie-restauration et des remontées mécaniques notamment, et une autre partie a dû poursuivre son activité dans le cas des ouvriers et ouvrières agricoles. A la réouverture des secteurs d’activité dits “non essentiels”, les entreprises ont été impactées par le peu de candidatures autrefois nombreuses, en raison d’un manque d’attractivité, des mouvements de départ et de réorientation professionnelle de nombreux salarié·es. Par ailleurs, la réforme de l’assurance chômage est également entrée en vigueur au même moment et impacte fortement les personnes qui alternent chômage et emplois de courte durée, comme c’est le cas de certains saisonniers et saisonnières.
Dans ce contexte de mutation du marché du travail post-Covid et de transformation des règles de l’indemnisation du chômage, Force Ouvrière s’interroge sur les besoins des saisonniers et saisonnières des secteurs de l’agriculture, des remontées mécaniques et de l’hôtellerie-restauration dans leur quotidien de vie et de travail. Comment apporter de la sécurisation dans leurs parcours professionnels discontinus ? Comment accompagner ces salarié·es et prendre en considération leurs besoins en termes professionnels ? Cette étude propose de répondre à ces questions et identifie les sujets sur lesquels des besoins existent pour sécuriser les parcours professionnels des saisonniers et saisonnières en France dans les secteurs de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration et des remontées mécaniques. Le choix d’une analyse multi-sectorielle apporte un éclairage nouveau par rapport aux travaux existants, souvent mono sectoriels, en identifiant les besoins communs à l’ensemble des saisonniers et saisonnières dont les conditions de travail et d’emploi diffèrent d’un secteur d’activité à l’autre, mais pour lesquels
la discontinuité de l’emploi et la pénibilité est omniprésente.
L’étude s’est appuyée sur une analyse approfondie de la littérature existante et des données disponibles, ainsi que sur une série d’entretiens auprès d’experts et expertes et de différentes parties prenantes des secteurs d’activité concernés. A cette phase de cadrage a succédé une phase d’entretiens semi-directifs auprès d’entreprises et de saisonniers et saisonnières de chacun des trois secteurs d’activité. Face à la difficulté de réaliser des entretiens auprès de saisonniers et saisonnières suffisamment diversifié·es d’une part et à la faible expression de leurs besoin d’autre part, le choix a été fait de compléter l’analyse avec des entretiens auprès de parties prenantes en charge de l’accompagnement des saisonniers et saisonnières (maison des saisonniers ou organismes de formations par exemple) mais également de celles en charge de l’accompagnement des entreprises sur les problématiques de recrutement et de fidélisation des équipes. Au total 49 entretiens ont été réalisés.
Un premier résultat important de l’étude est la faible expression des saisonniers et saisonnières sur leurs besoins en matière de sécurisation de leurs parcours professionnels. Ayant une connaissance assez faible de leurs droits, ils et elles n’identifient pas réellement de besoins spécifiques pour eux·elles-mêmes, quel que soit le secteur d’activité dans lequel ils travaillent et qu’ils et elles soient sédentaires ou non. Ainsi, l’interrogation seule des saisonniers et saisonnières ne pouvait permettre une compréhension suffisante des besoins qui pourraient être transformés en dispositifs et action publique. Un deuxième résultat de l’étude est que les saisonniers et saisonnières ont de fortes attentes en termes de logement et de gestion de leur assurance chômage. Le logement des saisonniers et des saisonnières demeure depuis de nombreuses années un sujet de tensions sur les territoires notamment ceux où l’activité touristique est intensément développée. Ils et elles sont confronté·es aux difficultés d’accès au logement et à la question du mal logement. Malgré un désir d’améliorer la situation en raison d’une pénurie conjoncturelle de main-d’œuvre, les entreprises et les pouvoirs publics peinent à répondre aux besoins exprimés en la matière.
Pourtant, sur des territoires à forte pression immobilière, des solutions émergent via un meilleur accompagnement des employeur·euses et des travailleur·euses ou la mise en place de logements aux conditions flexibles. L’existence de guichets uniques à l’échelle des territoires et le développement d’un accompagnement global semblent porter ses fruits. En matière de protection sociale, les entretiens réalisés montrent une grande complexité dans les relations avec les institutions en mesure de venir en aide aux saisonniers et saisonnières.
Comme déjà souligné plus haut, le manque d’information sur leurs droits accroît les difficultés des personnes à envisager ces relations dans de bonnes conditions. Les liens avec France Travail illustrent parfaitement ce constat. Dans la majorité des cas, nos interlocuteurs et interlocutrices sont inscrit·es au service de l’emploi mais éprouvent d’importantes difficultés dans leur suivi administratif.
Un troisième résultat de l’étude est une forte intériorisation des conditions de travail, qui masque l’expression de besoins en matière de santé au travail. La santé des saisonniers et saisonnières apparaît central dans les discours des acteurs et actrices interrogé·es dès lors qu’ils et elles exercent des activités physiques à forte pénibilité et peuvent être exposé·es à des produits chimiques notamment dans l’agriculture. Les saisonniers et saisonnières sont effectivement très souvent exposé·es à la pénibilité du travail, ne sont que rarement suivi·es par la médecine du travail, mais ils et elles semblent l’avoir intériorisé et n’en font pas un sujet de revendication. Les plus jeunes sont, par ailleurs, moins informés sur leur droit en matière de couverture sociale. Pour la majorité des interviewé·es le coût de la mutuelle à l’intersaison est, en revanche, une difficulté. Un quatrième résultat de l’étude est le manque de convergence entre les besoins exprimés par les saisonniers et saisonnières et ceux identifiés par les acteurs et actrices de branche et les entreprises. Les résultats de l’étude montrent ainsi tout l’intérêt de croiser les regards des différentes parties prenantes qui permettent de faire émerger des angles morts.
En effet, les acteurs et actrices de branche portent la focale sur la formation professionnelle intersaison, la pluriactivité et le logement, les entreprises sur ce qui est hors-travail pour fidéliser (logement, transport, garde d’enfants), et les saisonniers et saisonnières, lorsqu’ils ou elles expriment des difficultés, évoquent principalement les conditions de logement et leurs relations avec France Travail. Les saisonniers et saisonnières ne mettent pas au centre de leurs préoccupations la participation à des actions de formation, en dehors de celles proposées par leurs entreprises le cas échéant.
Il ressort à la fois que les actions conduites en faveur de l’emploi saisonnier se heurtent à plusieurs difficultés : un manque de coordination élargi des actions locales, d’évaluation des différents dispositifs mis en place, des inégalités territoriales ayant pour conséquence des actions différenciées pour les saisonniers et saisonnières, et un manque de prise en compte de leurs besoins lorsqu’ils sont exprimés. En creux, l’intériorisation des conditions de travail, souvent pénibles, laisse le champ ouvert à des actions concertées pour rendre les conditions de travail mais aussi d’emploi plus soutenables.
Les problématiques de l’emploi saisonnier sont apparues à la fois anciennes et relativement peu évolutives, malgré des avancées nationales post-Covid, avec notamment le Plan de Réduction des tensions sur le marché du travail et la feuille de route pour l’emploi saisonnier 2023-2025. Les initiatives pour l’emploi restent souvent locales et soumises aux capacités des acteurs et actrices des territoires à travailler ensemble. Entre-temps, la réforme de l’assurance chômage de 2019 qui, en visant une réduction des emplois de courte durée, a conduit à un allongement de la durée d’affiliation à 6 mois dans les 24 mois, n’est pas sans percuter les parcours discontinus des saisonniers et saisonnières et renforce leur précarité financière. Reconnaître la nécessité du travail saisonnier serait reconnaître la place et le rôle de ces activités et permettre alors de sortir la saisonnalité de l’ombre. Les saisonniers et saisonnières sont souvent stigmatisé·es et se sentent stigmatisés. Ils et elles sont en situation de fragilité tant du côté du logement (comment prétendre à la propriété d’un logement avec un statut de saisonnier aujourd’hui ? comment accéder à la location avec des alternances d’emploi et de chômage ?), que du côté de la santé (avec une couverture santé discontinue et des changements de territoires réguliers qui ne permettent pas un suivi médical régulier) ou encore du côté de leurs revenus (certaines personnes interviewées sont au RSA durant l’inter-saison depuis plusieurs années, y compris en travaillant en saison).
La création d’un statut saisonnier permettrait de reconnaître la particularité de l’activité et par là-même la spécificité des besoins des saisonniers et saisonnières sur l’ensemble des thématiques présentées dans cette étude : formation, logement, assurance chômage, protection sociale, santé) et de réfléchir à de nouveaux droits pour ces salarié·ées qui soient adaptés à la discontinuité de l’activité saisonnière. Cela passe par une concertation de l’ensemble des parties prenantes en charge de l’accompagnement des salarié·es sur ces sujets, en y associant
des représentants de saisonniers et saisonnières.