Lors de la conférence de presse organisée le 11 juin au Cese, les leaders des cinq organisations syndicales représentatives, dont Frédéric Souillot pour FO, avaient convié quatre économistes et chercheurs, invités à analyser la logique et l’impact des récentes réformes de l’Assurance chômage.
Frédéric Souillot a rappelé qu’être au chômage ou au RSA n’était pas un choix, indiquant que Force Ouvrière combattra les décrets que le chef du gouvernement annonce pour le 1er juillet.
Michaël Zemmour, enseignant-chercheur à l’université Lyon-2, a souligné la transformation importante du système de protection sociale et de l’Assurance chômage. Les précédentes réformes, ainsi que celle qui vient d’être annoncée, représentent entre 10 et 12 milliards d’euros d’économies sur les prestations versées aux demandeurs d’emploi, soit une réduction de l’ordre d’un quart du budget de l’assurance chômage à un rythme extrêmement rapide, a-t-il ajouté. Du jamais vu.
Le chercheur a également pointé le changement de logique de l’Assurance chômage, qui devait à l’origine permettre de sécuriser le revenu en cas de perte d’emploi et de rechercher un emploi correspondant à sa qualification. Les réformes ont tendance à dénaturer cette approche et à faire de l’Assurance-chômage un instrument de gouvernement du marché du travail, a-t-il ajouté.
Selon l’économiste, le premier effet de la réforme est sans aucun doute la diminution du niveau de vie des personnes impactées, notamment les jeunes, les précaires et les seniors. Il y a un effet d’amplification de la réforme des retraites, on attend le creusement d’une poche de précarité chez les seniors qui ne sont ni en emploi, ni en retraite, particulièrement nombreux chez les ouvriers, les employés et les femmes, a-t-il poursuivi.
La précarité agit plutôt comme une prison que comme un tremplin
Claire Vivès, sociologue au CNAM, dresse le même constat d’un appauvrissement des allocataires. Le postulat du gouvernement est de considérer que les personnes privées d’emploi sont responsables de leur situation, par défaut de motivation ou excès d’exigence. Il devient donc légitime d’appauvrir les chômeurs afin de les inciter – entendre contraindre – à reprendre un emploi, a-t-elle expliqué.
Autre principe que semble poser le gouvernement, pousser les chômeurs à prendre un n’importe quel emploi à conditions moins disantes serait leur mettre le pied à l’étrier pour aller vers un meilleur emploi plus tard. Or les études démontrent que la précarité agit plutôt comme une prison que comme un tremplin, a ajouté la sociologue. Une illustration de cette logique est le bonus emploi senior que le gouvernement souhaite mettre en place pour encourager les demandeurs d’emploi à accepter un emploi moins bien rémunéré que le précédent. On en vient à délégitimer les exigences des demandeurs d’emploi en termes de rémunération ou de temps de travail, a constaté Claire Vivès.
Bruno Coquet, chercheur associé à l’OFCE, a souligné l’absence de bilan concernant les réformes menées depuis 2017, alors même que la loi Avenir professionnel de 2018 prévoyait que le gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport sur la gestion de l’Assurance chômage. Il a également rappelé la bonne santé financière du droit commun de l’Assurance chômage, excédentaire depuis 1997.
Quant à la réforme, il s’agit plutôt selon lui d’une coupe dans les droits. Les chômeurs sont poussés à la reprise d’emploi par leur appauvrissement, on ne touche pas aux conditions d’emploi ou de travail, a-t-il ajouté. D’ailleurs on ne nous dit pas pourquoi les 60% de chômeurs non indemnisés ne reprennent pas d’emploi. Et changer les règles d’Assurance chômage ne va rien changer pour ces gens-là.
Être au chômage augmente la mortalité
Enfin Dominique Lhuillier, psychologue du travail au CNAM, s’est penchée sur la santé des chômeurs, une problématique qu’elle souhaiterait voir figurer dans la réforme de l’Assurance chômage. Les quelques chiffres disponibles montrent que la mortalité des chômeurs est supérieure de 60% à celle des non-chômeurs et que 14 000 décès sont imputables chaque année au chômage. Être au chômage multiplie les risques de suicide, de mortalité par cancer, d’AVC ou d’épisodes dépressifs. La santé dépend des conditions de vie et près de la moitié des personnes sans emploi vivent sous le seuil de pauvreté, a-t-elle ajouté.
La chercheuse a également souhaité mettre la santé des chômeurs en perspective avec les transformations massives que connaît le travail aujourd’hui, avec toujours plus d’intensification, de précarisation et d’individualisation. La fragilisation de la santé au travail peut conduire à la porte du chômage, a-t-elle rappelé.
Dominique Lhuillier craint que la réforme voulue par le gouvernement ne dégrade encore cette situation. Si les chômeurs sont poussés à prendre n’importe quel travail, y compris non compatible avec leur état de santé, ils ne tiendront pas, et reviendront avec une santé encore plus abîmée, a-t-elle alerté. Un cercle vicieux dans un contexte où la fin de l’indemnisation des arrêts maladie de moins de huit jours est en débat. Aller travailler en étant malade conduit à des arrêts longs et à des licenciements pour inaptitude, qui sont de plus en plus nombreux, a-t-elle ajouté.