Les écoles normales du XXIe siècle feront donc leur retour pour la rentrée 2024, et avec elles une énième réforme de la formation initiale des enseignants. FO revendique le report de cette réforme et exige de vraies concertations pour qu’elles répondent aux revendications des professionnels. Une mobilisation des personnels de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur est prévue le 6 mai.
Ce n’est ni fait ni à faire !, s’indigne Clément Poullet, secrétaire général de la Fnec FP-FO. Le 5 avril, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place des « écoles normales du XXIe siècle ». Un élément de langage que le président de la République avait déjà utilisé dans plusieurs discours, tandis qu’un document de travail, qui a fuité, trace les premières lignes de cette réforme. Qui se fait donc connaître alors qu’aucune discussion préalable avec les organisations syndicales représentatives des personnels n’a eu lieu, pointe le militant. Nous exigeons un report de cette réforme, annoncée en avril pour une application en septembre, mais aussi de vraies discussions pour que les évolutions de la formation répondent aux besoins et revendications des professionnels.
Contre la mastérisation
Paradoxalement, c’est toujours sous la présidence d’Emmanuel Macron qu’en 2018, le ministre d’alors, Jean-Michel Blanquer, avait conduit une première réforme de la formation initiale des futurs enseignants. Le concours de recrutement, jusque-là prévu à la fin du Master 1, avait été décalé à la fin de la deuxième année de Master. Une décision qui exacerbait la « masterisation » de la formation et dont les conséquences sont aujourd’hui connues de tous, souligne Clément Poullet. Face à l’allongement de la durée des études, le vivier de candidats s’est tari. Tout comme le tiraillement durant les années de Master entre professionnalisation et disciplinaire a donné lieu à une charge de travail très importante et de nombreux abandons.
Le projet actuel prévoit dorénavant de placer le concours à Bac+3, c’est-à-dire après ou durant la dernière année de Licence. Mais ce projet ne revient nullement sur la masterisation, analyse le militant. Puisque c’est l’obtention des deux années de Master après le concours qui garantissent la titularisation de l’enseignant. Une nouvelle fois, c’est un parcours du combattant qui se présente aux futurs enseignants entre les mémoires de recherche, les mémoires professionnels, les rapports de stages… La Fnec FP-FO, qui a toujours dénoncé la masterisation de la formation et ses conséquences, continuera de demander l’abrogation de cette mesure.
Des Licences spécifiques pour le 1er degré
Moins de quatre années après l’apparition des parcours préparatoires au professorat des écoles, le gouvernement tranche et signe en faveur de la généralisation. Nous allons ouvrir des Licences – dès l’après-Bac – de préparation au professorat des écoles (LPPE), avec des enseignements de français, de maths, d’histoire et des méthodes pédagogiques les plus innovantes, expliquait le président de la République. Ces parcours auront toutefois une dimension professionnalisante plus forte.
Sous couvert de pluridisciplinarité, les Licences PPPE n’attesteraient en réalité de la maîtrise d’aucune discipline. Ces formations n’auraient d’universitaires que le nom, puisqu’elles seraient soumises à un cahier des charges imposé. Les savoirs fondamentaux n’y représentent que 50 % de l’enseignement, le reste étant constitué de stages, de l’inculcation idéologique de ce que le gouvernement du moment considère comme étant les valeurs de la République ou de sciences cognitives, dénonce la Fnec FP-FO dans un communiqué. D’ailleurs, quid des étudiants qui auront validé leur licence mais échoué au concours ? Comment leur diplôme sera-t-il reconnu, interroge Clément Poullet.
La fédération dénonce aussi l’instauration officielle de l’inégalité d’accès au concours. Les étudiants dans ces Licences qui n’en sont pas vraiment, seraient dispensés des épreuves d’admissibilité des concours de recrutement. Une baisse des exigences, analyse la Fnec FP-FO qui craint également que le vivier de candidats ne s’assèche un peu plus. Il sera demandé aux futurs enseignants de se projeter dans ce métier dès la terminale pour pouvoir rejoindre ces parcours, souligne Clément Poullet. Et s’il change d’avis en cours de formation ? S’ils découvrent leur vocation plus tard durant leur Licence ? Tant pis pour eux…
Vers la disparition des enseignements disciplinaires dans les concours ?
Concernant l’accès au concours de recrutement pour les enseignants du second degré, les Licences disciplinaires existantes devront intégrer des modules aux contenus imposés. Ces modules devraient représenter près de la moitié du volume horaire en 2e et 3e année de Licence. Si ces modules sont mis en place, c’est donc une coupe franche dans les enseignements disciplinaires de Licence, dénonce le militant. D’autant que l’on sait que, dans les universités, cette réforme sera faite sans moyens supplémentaires. Les UFR devront donc choisir entre les enseignements disciplinaires ou la préparation au Capes.
Cet affaiblissement du disciplinaire se constate jusque dans les épreuves même du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré. Elles garderaient un format où la priorité est donnée à des attentes non disciplinaires, en particulier au niveau de l’oral, la conformation aux attentes hiérarchiques ou aux modes pédagogiques prévalant sur la maîtrise des disciplines, souligne le syndicat. C’est une réelle volonté d’affaiblir les concours de recrutement à l’heure où le recours aux contractuels explose, déplore Clément Poullet.
Face à la crise d’attractivité, l’enjeu des rémunérations
Ce recours aux contractuels s’explique notamment par la crise d’attractivité que traverse l’éducation nationale. Alors que le choc des savoirs implique de nouveaux postes supplémentaires, les concours ne font toujours pas le plein de candidats. Résultat, on va encore aller vers des grandes campagnes de recrutement et autres job dating pour la rentrée 2024. Ce recours aux contractuels, c’est pour colmater des brèches que l’on a refusé d’anticiper, dénonce le militant.
Si le gouvernement veut voir dans la réforme de la formation initiale la solution à la crise de recrutement, il manque un élément, pointe Clément Poullet. On ne parle pas de la rémunération des professeurs, alors que l’on sait que leur pouvoir d’achat a plus que chuté ces dernières décennies. Force Ouvrière continue de se battre pour la revalorisation indiciaire au sein de la Fonction publique, et donc de l’Éducation nationale.
Seule nouveauté salariale prévue dans la réforme, les lauréats du concours seraient élèves fonctionnaires en première année de Master, puis fonctionnaires stagiaires en seconde année. Ce qui leur donnerait accès à une rémunération à hauteur de 900 euros puis de 1 800 euros. On ne sait pas trop ce que recouvre ce statut d’élèves fonctionnaires, mais qui va pouvoir vivre avec 900 euros par mois en étant en formation à temps plein ? S’agit-il encore de fonctionnaires sous statut recruté par concours ?, interroge le secrétaire général de la Fnec FP-FO.
Une mobilisation le 6 mai
La colère gronde jusque dans les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation, où une journée morte est prévue le 6 mai, à l’appel de l’intersyndicale à laquelle participe FO-ESR (Enseignement supérieur et recherche). Les collègues sont épuisés, moins de 4 ans après la précédente réforme qui impliquait la refonte des maquettes de formation, on leur demande encore une fois de tout refaire. Et dans un délai très court puisque la réforme doit être mise en place pour la rentrée prochaine, précise Clément Poullet. Afin d’ouvrir la mobilisation à tous, et éviter qu’elle ne se cantonne aux Inspé, la Fnec a également appelé à des rassemblements devant les rectorats le même jour, pour protester contre la réforme.
Mais du côté des syndicats, le flou demeure quant aux détails, précisément là où se cache le diable. Nous avions une réunion prévue mi-avril mais elle a été déplacée au 6 mai. Pour le moment, nous n’avons que les informations issues des annonces présidentielles. La plupart des questions demeurent. Mais pour la Fnec FP-FO, la décision est sans appel : Si cette réforme passe par le maintien de la masterisation, les pseudo-Licences pour les professeurs des écoles et la baisse d’exigences disciplinaires du Capes, cela sera sans nous.
Chloé Bouvier