Lésés par une nouvelle méthode de calcul de leur temps de travail, les professeurs techniques de l’enseignement agricole public se sont faits entendre dans plusieurs directions régionales. Le ministère persiste à nier le problème. Mais l’intersyndicale n’entend pas abandonner la mobilisation, car ce mode de rémunération est amené à s’étendre à la rentrée prochaine.
Ils dénoncent un « hold-up » du ministère de l’Agriculture sur leurs heures de service, qui aboutit à leur faire perdre du salaire sans qu’aucune négociation ait eu lieu. A l’appel d’une intersyndicale à laquelle participe FO, des dizaines de professeurs de l’enseignement agricole public se sont mobilisés le 23 janvier. Toute la journée, ils ont occupé les Directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draff) de 5 villes : Amiens, Rennes, Bordeaux, Dijon et Lyon. Nous avons été reçus par les directeurs régionaux avec des degrés d’écoute variables, raconte Christine Heuzé, secrétaire générale du syndicat FO Enseignement agricole. Le soir venu, ils ont été délogés dans le calme par la police – sans aucune autre forme de réponse de la part de leur ministère de tutelle.
A la rentrée 2023, notre direction a mis en place un nouvelle méthode de calcul du temps de travail, qui transforme une heure en 0,77 heure pour les cours de pluridisciplinarité, explique Nicolas Gilot, secrétaire national chargé de l’enseignement technique pour FO Enseignement agricole. Par un tour de passe-passe, ces heures ont été annualisées et sont désormais divisées par 36 (le nombre de semaines de l’année scolaire) au lieu de 28 (le nombre de semaines de présence des élèves, hors vacances).
Un changement en catimini
Résultat : 1 100 professeurs techniques – sur les 8 000 que compte l’enseignement agricole public – ont vu leur feuille de salaire impactée. 200 d’entre eux ont perdu entre 50 et 100 euros de salaire mensuel. Pour les 900 autres, afin que le changement passe inaperçu, certaines directions ont tenté de mettre en place des compensations. Des agents ont été obligés de prendre une classe de plus ou une responsabilité supplémentaire, explique Christine Heuzé. Ils travaillent donc plus pour gagner autant ! Le souci se voyait à peine, au point que les agents ont d’abord cru à une erreur. L’entourloupe n’a été découverte qu’une fois que des professeurs se sont adressés aux organisations syndicales pour tenter de comprendre leur fiche de paie.
Ce mode de calcul biaisé a été adopté par certaines régions seulement, dans la plus grande discrétion, à la veille de la rentrée 2023. La consigne a été donnée aux autorités académiques le 30 août, relate Christine Heuzé. Certaines l’ont adoptée le doigt sur la couture du pantalon, d’autres l’ont repoussée à l’an prochain, d’autres encore l’ont même appliquée dans des filières où il n’y avait pas lieu de la mettre en place. Ce changement s’inscrit en effet dans le sillage de la réforme du bac professionnel, qui s’applique déjà dans certaines filières et doit être généralisée à la rentrée 2024.
Tout comme cette nouvelle méthode de calcul, du reste. Beaucoup plus de personnes seront alors concernées, alerte Christine Heuzé. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes très motivés pour désamorcer le problème rapidement. Le conflit social est ouvert depuis l’automne. Mi novembre, une manifestation a déjà eu lieu devant la Direction de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture. En vain : alors qu’ils réclamaient un rendez-vous avec le ministre au plus vite, les organisations syndicales ont dû attendre le 9 janvier pour rencontrer Marc Fesneau.
Une revendication reçue avec mépris
La lettre qui nous proposait ce rendez-vous étalait sur trois pages les détails de son action pour l’enseignement agricole, et la question qui nous occupait était évoquée en une ligne et demi à la fin du courrier, déplore la secrétaire générale. Après à peine une heure et demi-heure de réunion, la rencontre s’est achevée sur une impasse. Voilà, c’est ça le dialogue social ! Les agents ressentent une grande frustration face au mépris de leur administration pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font. D’autant plus dans un contexte de manque d’attractivité du métier d’enseignant, poursuit Christine Heuzé : Est-ce qu’ils s’imaginent qu’ils vont faire venir des jeunes dans la profession en nous traitant ainsi ?
Puisqu’aucun texte réglementaire n’a été présenté pour expliquer et justifier ce changement, celui-ci semble d’autant plus incompréhensible aux yeux des personnels. La prochaine étape que propose la direction générale de l’enseignement et de la recherche, c’est donc de mettre à plat la note de service qui régit le calcul du temps de travail, rapporte Christine Heuzé. Celle-ci fonctionne plutôt bien, elle est en place depuis vingt ans et je me souviens qu’on avait mis beaucoup de temps à la négocier. Et maintenant, ils veulent remettre l’ouvrage sur le métier afin que leur décision puisse rentrer dans ce cadre. Vu que la chaussure est trop petite, on rabote le pied !
Une dérive vers une annualisation du temps de travail
A terme, les représentants de FO Enseignement agricole craignent une remise en cause plus générale du cadre statutaire. La nouvelle méthode de calcul des heures de service suppose en effet une annualisation du temps de travail, alors que les décrets du secteur indiquent clairement que le corps enseignant est payé sur la base de 18 heures hebdomadaires de présence devant les élèves – sans compter la préparation des cours et les corrections. Nous sommes très attachés aux statuts tels qu’ils sont et nous dénonçons cette dérive vers une annualisation du temps de travail, appuie Christine Heuzé.
Face à l’absence totale d’écoute du côté du ministère, l’intersyndicale a décidé le 25 janvier d’accentuer la pression. Jusqu’à présent, elle boycottait les réunions des groupes de travail de l’enseignement agricole. Cette politique de la chaise vide va désormais s’étendre à toutes les instances ministérielles. La campagne de signature de la pétition demandant le retrait de ce nouveau mode de calcul va par ailleurs s’étendre. Enfin, l’intersyndicale a d’ores et déjà annoncé qu’elle ferait entendre la colère des agents lors du Salon de l’agriculture, fin février.