L’usine de fabrication de médicaments injectables Recipharm, située à Monts (Indre-et-Loire), est menacée de fermeture à l’horizon 2025. Pas moins de 225 emplois pourraient disparaître à cause de mauvais choix industriels, dénoncent les représentants FO. L’État exige le remboursement des subventions perçues au titre de la fabrication de vaccins Moderna.
Ces douze derniers mois, ils avaient déjà accepté un Plan d’activité partielle de longue durée – qui les avait fait passer à la semaine de quatre jours – et un plan de départs volontaires. Après autant d’efforts consentis, les salariés de l’usine Recipharm de Monts (Indre-et-Loire) ont donc été estomaqués à l’annonce de la cessation d’activité de leur site d’ici juin 2025. Si un repreneur sérieux n’est pas trouvé avant octobre 2024, 225 emplois sont menacés, de même qu’une expertise importante dans le domaine pharmaceutique : cette usine est l’une des rares en France à conditionner des médicaments injectables.
Officiellement, la direction du groupe suédois Recipharm blâme la diminution des commandes de vaccins et une accumulation de dettes difficilement absorbables. Mais en interne, un tout autre son de cloche se fait entendre : les choix industriels effectués depuis deux ans sont fortement critiqués. C’est une machination du groupe Recipharm pour nous faire passer pour non rentables, dénonce Serge Aumont, délégué syndical du site où FO est la seule organisation représentative.
Dépenses massives et fiasco industriel
Début 2022, la direction a en effet décidé d’ouvrir une cinquième ligne de production sur le site, exclusivement dédiée au vaccin Moderna contre le Covid-19. Lancée en grande pompe, la nouvelle unité s’est accompagnée d’une centaine d’embauches et a même reçu la visite de la ministre de l’Industrie de l’époque, Agnès Pannier-Runacher. Au titre du plan France Relance, 35 millions d’euros avaient été promis à Recipharm – 15 millions ont finalement été alloués.
Problème : la ligne n’a jamais été effective, car elle ne répond pas aux normes européennes de sécurité. Les représentants FO avait pourtant fait part de leurs inquiétudes : Nos lignes historiques sont toutes allemandes ou italiennes, précise Serge Aumont. On ne voulait pas de cette ligne chinoise, car on se doutait qu’elle ne parviendrait pas à se mettre aux normes. La direction leur a opposé une fin de non recevoir. On nous a fait comprendre qu’on n’avait pas notre mot à dire sur cette zone de l’usine, que le groupe décidait seul des financements.
Des dizaines de salariés extérieurs sont alors embauchés pour faire fonctionner la nouvelle ligne. Il y avait à cette époque quelque chose d’assez malsain dans l’attitude de la direction, un mépris total pour les salariés historiques : les nouveaux gagnaient 10 à 20% de plus que les autres, rappelle amèrement Serge Aumont. De nombreux consultants sont également intervenus à cette occasion. A un moment, on en était arrivé à un degré d’absurdité tel que, face à l’ampleur des dégâts, les consultants prenaient eux-mêmes des consultants ! s’indigne le délégué FO.
Un sentiment de déloyauté vis-à-vis des salariés
Ça a été une véritable gabegie financière, résume Grégoire Hamelin, secrétaire général de l’union départementale FO 37 (Indre-et-Loire). Ils ont voulu faire un gros coup mais se sont révélés incapables de le mettre en œuvre. Résultat : perte sèche. Sauf qu’une fois que l’affaire a tourné au fiasco, la ligne extrêmement déficitaire a tout de même été mise sur le compte de Recipharm Monts. Si le groupe s’asseyait sur cette dette qu’il a lui-même créée, on repartirait avec des comptes neufs, s’indigne Serge Aumont. Mais il nous rend responsables de cette faillite : c’est malhonnête.
Face à l’attitude du groupe, les salariés se sentent particulièrement trahis. Durant la crise du Covid, entre 2021 et 2022, Recipharm Monts a produit 70 millions de doses de vaccin à destination de toute l’Europe. A ce moment-là, nous étions essentiels, se souvient Serge Aumont. Le groupe a eu besoin que l’on travaille le week-end, et on a répondu présent sept jours sur sept. En guise de remerciement, les salaires sont gelés depuis des années et les négociations annuelles obligatoires débouchent au mieux sur des primes. Des salariés ayant dix ou quinze ans d’ancienneté voient leur salaire rattrapé par les minima du barème du secteur, rapporte le délégué. Une situation d’autant plus problématique que si les 225 salariés venaient à se retrouver au chômage en 2025, leurs allocations seraient calculées sur un salaire plus faible qu’il ne devrait l’être.
Plusieurs sacrifices consentis malgré un dialogue social compliqué
Depuis un an, de nombreux efforts ont été consentis par les salariés pour garder le site à flots. En novembre 2022, les employés en CDD ou en intérim se sont vu signifier que leurs contrats ne seraient pas renouvelés. Un mois plus tard, les salariés en CDI ont dû accepter de passer à la semaine de quatre jours durant six mois, dans le cadre d’un Plan d’activité partielle de longue durée. La Rupture conventionnelle collective (RCC) effective en septembre 2023 a pour sa part fait chuter la masse salariale à 225 employés, appuyée par une politique de répression poussant les salariés vers la sortie, accuse Serge Aumont.
L’annonce de la liquidation a donc profondément surpris les travailleurs. On n’est pas stupide, on voyait bien qu’ils cherchaient à vendre, précise le délégué FO. Mais la RCC avait pour but de maintenir l’entreprise en vie d’ici là, certainement pas de lui donner un ultimatum. La nouvelle est tombée brutalement, sans même être mise à l’ordre du jour de la réunion du Comité social et économique. Le nouveau directeur, Bruno Vennetier, auteur de Vendre ou acheter une entreprise au juste prix, présente un CV de liquidateur d’entreprises, s’alarme Serge Aumont. Partout où il est passé, il a enlevé des centaines d’emplois.
Le dialogue social, déjà compliqué auparavant, ne s’annonce donc pas fluide. En quelques années, j’ai connu une dizaine de directeurs et autant de DRH, dénombre le délégué FO. Dès qu’on commence à se respecter autour de la table, à avoir une vision commune de l’entreprise, le groupe change nos dirigeants. Tant qu’on avait une chance de sauver les emplois, on tâchait de travailler dans la même direction. Mais nous sommes des partenaires sociaux, pas des complices.
Une question de souveraineté industrielle dans un secteur clé
La politique industrielle du groupe Recipharm est si peu loyale et transparente que même l’État s’estime lésé. L’entreprise va devoir rembourser les 15 millions d’euros qui lui ont été versés en 2021 dans le cadre de France Relance pour le lancement de la ligne Moderna. Il n’y aura pas de fonds versés par l’État dans une activité qui n’existe pas. Il est hors de question de décrédibiliser l’action publique, a réagi un député d’Indre-et-Loire, Henri Alfandari, auprès de France Bleu Touraine.
Le revers est d’autant plus féroce que le président Macron insistait à l’époque sur sa volonté de réindustrialisation et sur la nécessité d’une souveraineté économique du pays dans le domaine pharmaceutique. Recipharm Monts est l’une des seules usines en France où l’on fait du fill and finish, c’est-à-dire qu’on y remplit les fioles de produits, expose Grégoire Hamelin. C’est un degré de technicité rare : il ne faut pas qu’il y ait la moindre bactérie dans ces injectables, puisqu’ils arrivent directement dans le sang des gens. Si le site ferme, tout ça ne sera plus fabriqué en France.
L’emploi industriel sinistré en Touraine
A l’échelle du département, la liquidation représenterait en outre un nouveau coup dur. Les dernières années ont vu de nombreuses fermetures (Michelin, Tupperware, Mame…) et des suppressions d’emplois dans plusieurs autres entreprises. Serge Aumont est lui-même un ancien de Mame : Nous sommes nombreux à avoir connu au moins un plan de licenciement, à être retournés en formation pour obtenir un diplôme et pouvoir intégrer des entreprises comme Recipharm, raconte-t-il. Quand on parle de réindustrialisation, en ce qui concerne l’Indre-et-Loire, on se moque du monde !, tempête Grégoire Hamelin. Les lois actuelles laissent les mains libres aux employeurs pour fermer rapidement les sites. Dans cet ex-département industriel désormais sinistré, le taux d’emploi dans l’industrie est tombé à 16%.
Le secrétaire général de l’UD regrette que l’État ait envisagé de débloquer une ligne budgétaire aussi importante – 35 millions d’euros à l’origine – mais se refuse toujours à entrer au capital. L’État se prive de tout moyen d’action. Il faut que le gouvernement, via le fonds de relance, fasse son travail d’État stratège et instaure une véritable politique industrielle. Serge Aumont espère pour sa part que les subventions remboursées à l’État par Recipharm pourront être réinjectées dans la reprise et la pérennisation du site et des emplois.
Un mouvement de grève à venir
On se doute bien qu’on ne s’appellera bientôt plus Recipharm, poursuit le délégué syndical, mais on reste très attaché au site, à l’activité, à l’ambiance entre collègues. Les salariés s’apprêtent donc à pratiquer un numéro d’équilibriste, entre blocage du site et recherche d’un repreneur. Même si une grève est décidée, le repreneur sera bien accueilli. On ne veut surtout pas faire peur aux pouvoirs publics ni à un éventuel repreneur, mais il faut également qu’on montre notre mécontentement : nous n’acceptons pas cette décision.
Pour les représentants FO, un mouvement de grève semble d’autant plus nécessaire que les autres usines de Recipharm sur le sol français pourraient, à terme, être elles aussi menacées. Début 2021, le groupe a été racheté par le fonds d’investissement suédois EQT. Moins d’un an plus tard, Recipharm cédait son site de Fontaine-lès-Dijon à un repreneur. Nous sommes devenus une sorte de Recipharm Finance, une entreprise basée sur la rentabilité, regrette Serge Aumont. Nous craignons une volonté de la direction du groupe de se retirer complètement du marché français et de chercher les bénéfices ailleurs, au Maroc ou en Inde.
De grands atouts pour trouver un repreneur
Pour autant, l’heure n’est pas au fatalisme. Le site et ses salariés possèdent toujours de nombreux atouts qui pourraient intéresser des repreneurs. Dans le monde pharmaceutique, le stérile injectable est à la pointe, appuie Serge Aumont. Il y a des personnes parmi les salariés qui sont de grands professionnels, avec une expérience très pointue. Ces gens-là ont l’amour du maillot et veulent y croire. Grégoire Hamelin espère quant à lui que l’État se mobilisera pour encourager les acteurs importants du secteur à reprendre l’intégralité des activités et des emplois.
Pour l’heure, la priorité de FO est d’obtenir davantage de temps pour rechercher un acquéreur. Nous faisons partie d’un fonds de pension qui pèse 224 milliards d’euros, souligne Serge Aumont. Notre revendication, c’est donc que le groupe nous soutienne jusqu’à ce qu’un repreneur se présente, sans date butoir qui nous tomberait dessus comme le couperet final. Dans l’intervalle, le CSE de Recipharm Monts va nommer un expert chargé de s’assurer que les candidatures sont étudiées dans les règles de l’art.