Toutes les traditions ne sont pas forcément bonnes à envoyer aux oubliettes de l’Histoire et FO vient judicieusement d’en réactiver une : la délocalisation en province d’un de ses deux CCN annuels. Les 26 et 27 septembre, pour la première fois depuis 2014, indiquait le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot, le Comité confédéral national sort de Paris, se tenant à Bourges, dans le Cher. Pour retrouver le terrain en quelque sorte. Le siège de la confédération n’est pas une tour d’ivoire, FO n’est pas une organisation parisienne, c’est une organisation faite de militantes et de militants, dans toute la France ; Pendant ces deux jours, les délégués FO ont évoqué moult dossiers, dont celui des salaires, lesquels nécessitent une hausse massive, d’autant plus face à l’inflation. Sur le sujet, FO portera ses revendications à la conférence sociale du 16 octobre, et entre autres aussi la revendication réitérée d’une conditionnalité des aides publiques aux entreprises. Plus largement et à quelques semaines de la mobilisation syndicale européenne du 13 octobre à laquelle participera FO, les délégués du CCN ont souligné la nécessité pour l’organisation de rester elle-même, dans ses revendications, ses initiatives.
En résumé : libre et indépendante.
Le CCN, souvent appelé « parlement » de FO, formé des représentants des unions départementales et des fédérations, est revenu les 26 et 27 septembre à Bourges, dans le Cher, sur les événements sociaux qui ont ponctué la vie des travailleurs depuis mars, date de la dernière tenue de l’instance. Au fil notamment des cinquante-trois interventions de délégués à la tribune, le CCN, à quelques jours de la mobilisation syndicale du 13 octobre, dans un cadre européen, et à quelques jours aussi de la tenue de la conférence sociale, initiée par l’exécutif, a dressé des perspectives. Et en réaffirmant les revendications propres à FO. Ainsi, dans sa Résolution, adoptée à une très large majorité (quatre votes contre et deux abstentions), le CCN demande à toutes ses organisations, à tous ses militants et à ses adhérents, de rester particulièrement vigilants et mobilisés. Il décide d’une campagne médiatique, de meetings et d’assemblées dans les départements avec au centre l’action revendicative sur les salaires, les services publics, la protection sociale et les retraites. Il donne mandat à la confédération pour être à l’initiative d’une mobilisation qu’exige la situation, sur nos revendications, dans l’unité d’action syndicale si possible. FO entend être à la manœuvre et compte bien faire aboutir ses revendications.
La colère est là, elle gronde
Car, indiquait Frédéric Souillot, si le climat social est un peu plus calme que lors du dernier CCN, lequel se tenait en plein conflit sur les retraites, tout est relatif. La colère est là, elle gronde. L’exécutif a d’ailleurs pu le constater, entre autres lors de l’ouverture du Mondial de rugby au Stade de France. Le chef de l’État y a été hué. L’ambiance sociale reste donc tendue et c’est dans ce contexte que le CCN de rentrée a évoqué de nombreux sujets dont beaucoup fâchent et alimentent la colère des travailleurs.
Ainsi en est-il, et sans surprise, de la réforme des retraites en vigueur depuis le 1er septembre et que FO conteste toujours via, entre autres, l’attaque des décrets (87 % d’entre eux sont publiés). Traduction du rejet de cette réforme par les travailleurs, les quatorze journées de mobilisation menées entre janvier et juin. Des actions qui ont été soutenues par plus des trois quarts de la population. Nous n’avons ni manqué de courage, ni de volonté dans le combat contre cette réforme qui est juste une réforme politique, et injustifiée financièrement, a rappelé Frédéric Souillot. Nombre de délégués témoigneront à la tribune du rejet toujours évident de cette réforme. Les travailleurs ne l’admettent pas, ils la subissent, résumera Pierre Courèges-Clerc (Dordogne), David Le Comte, pour l’UD de l’Eure, saluant lui, comme beaucoup d’autres, la fierté qui peut être retirée de l’engagement des militants dans cette mobilisation historique.
La colère des travailleurs, qu’ils soient actifs ou retraités, s’exprime aussi face à l’inflation, qui malgré une légère décrue reste encore très forte (à 4,9 % sur un an en septembre), notamment dans les domaines de l’alimentaire et de l’énergie. Leur pouvoir d’achat s’étiole, les salaires, pensions ou minima sociaux ne suivent pas, et permettent de moins en moins de faire face. Mais l’exécutif opte toujours pour des mesures ersatz, ponctuelles et qui ne résolvent rien sur la durée. Philippe Mano (UD de Gironde) fustigera ainsi la nouvelle mesurette annoncée par le gouvernement, consistant à attribuer un chèque essence aux plus modestes. Un chèque de 100 euros par an, soit 8 euros par mois… avec l’essence à 2 euros le litre, cela équivaut à une aide pour quatre litres ! Une mesure aux effets dérisoires, donc. Un « emplâtre sur une jambe de bois », la qualifiait Sébastien Busiris (FEC-FO). Or, ce que l’on veut ce n’est pas de l’accessoire, ce sont des hausses de salaires !.
Plus que jamais le syndicat de la fiche de paye
Car ces difficultés que connaissent les ménages renvoient bien sûr au dossier de l’augmentation des salaires. Dossier qui ne reçoit pas, tant de l’exécutif que du patronat, les réponses attendues par FO, plus que jamais le syndicat de la fiche de paye, rappelait le secrétaire général. Le dossier « salaires » a donc pris toute sa place dans les débats, et ce, tandis que la confédération demande toujours un vrai coup de pouce au Smic (par le salaire et non via une extension de la prime d’activité), la remise en vigueur de l’échelle mobile des salaires (indexation à l’inflation de tous les salaires, de tous leurs échelons) et partout, dans les entreprises et les branches, l’ouverture de négociations salariales et l’activation des clauses de revoyure. C’est notre axe, appuyait comme d’autres Philippe Mano. Illustration du besoin urgent de hausse des salaires, le nombre de salariés demandant des acomptes à leur employeur dès le milieu de mois ne cesse d’augmenter, soulignait Frédéric Souillot. En septembre, l’Insee notait de son côté que l’indicateur de confiance des ménages dans leur situation financière était encore en recul.
Au contact permanent du terrain, tant dans les entreprises que dans les services publics, les représentants des UD FO et des fédérations sont bien placés pour constater toutes ces difficultés. Plus d’un Français sur dix se prive. 31,1 % des familles monoparentales se privent. Il y a 4,4 millions de mal-logés, listait Pascal Corbex pour la FNAS-FO (Action sociale). Une personne sur cinq est en situation de pauvreté monétaire. Les salaires réels sont en recul de 1,1 %, lançait de son côté Michel Le Roch (UD de Loire-Atlantique). Alors que les patrons n’ont jamais fait autant de bénéfices, rappelait Sébastien Busiris (FEC-FO), les travailleurs, eux, souffrent de salaires pas ou insuffisamment revalorisés… La revendication mise en avant de longue date par FO d’une conditionnalité des aides aux entreprises prend tout son sens. Pour l’instant, le gouvernement joue la surdité alors que le poids des exonérations, crédits d’impôt et aides diverses ne cesse de croître. Aux alentours de 203 milliards d’euros par an, près de 80 milliards rien que pour les exonérations. Et après on nous parle de la dette ! Tout cela est organisé, s’indignait Frédéric Souillot.
Conférence sociale : Nous déposerons nos revendications
Dans ce contexte, quelle position adopter face à la conférence, appelée sociale ou salariale, programmée le 16 octobre par le gouvernement, lequel semblerait vouloir n’y aborder que le dossier des bas salaires et des minima de branche encore sous le Smic ? Nous irons, nous déposerons nos revendications et si l’on n’est pas entendus, eh bien on se retirera !, déclarait Frédéric Souillot le 27 septembre devant le CCN. Et bien sûr, la revendication portant sur la conditionnalité des aides aux entreprises sera mise sur la table.
Il faut y aller, avait indiqué la veille Frédéric Homez (FO Métaux), comme beaucoup d’autres délégués, saluant par ailleurs le refus de la confédération de siéger au Conseil national de la refondation. À propos de la conférence sociale, Hervé Larrouquère (Pyrénées-Atlantiques) appuyait les propos : Nos mandants attendent qu’on y aille. (…) Pour demander une hausse des salaires, du point d’indice…
Pour Laurent Rescanières (FGTA-FO), aller à cette conférence participera à remettre aussi les branches au centre de la négociation. Branches dont 80 % d’entre elles affichent des minima sous le Smic, rappelait Gérald Gautier (section VRP/Commerce, FEC-FO).
Pour Jean-Luc Bonnal (UD du Vaucluse), cette conférence on doit y aller, c’est différent du Conseil national de la refondation. Le président Macron veut s’acheter une conduite. On n’est pas dupes, mais il convient d’y aller, analysait aussi Michel Le Roch.
Dans le public, la colère des agents territoriaux
De son côté, Christian Grolier (FO-Fonction publique) indiquait en substance et avec une pointe d’humour que chacun aimerait croire que cette conférence concernera aussi le secteur public. Ce qui n’est en rien prévu alors que les agents publics ont vu le pouvoir d’achat de leur salaire indiciaire reculer de près de 30 % depuis 2000. Après quasiment dix années de gel, le point d’indice a été revalorisé de 3,5 % en juillet 2022 et de 1,5 % en juillet dernier. Autant dire des hausses largement insuffisantes pour simplement résorber la perte de pouvoir d’achat. Et alors que le ministre Stanislas Guerini a annoncé le 1er septembre la préparation d’un projet de loi pour une réforme de la fonction publique (notamment au plan des carrières en tant que parcours professionnel, des rémunérations, de la mobilité…), ce que l’on voit arriver, c’est la rémunération au mérite, s’inquiétait Christian Grolier. Et de pointer une situation salariale déjà totalement insatisfaisante et marquée depuis des années, notamment via le dispositif indemnitaire Rifseep, par une part d’éléments de rémunération déjà liés au mérite. On reste au Smic en catégorie B. Et les agents en catégorie A démarrent leur carrière à 8 % au-dessus du Smic. Les mesures prétendant améliorer le pouvoir d’achat annoncées cet été ont laissé les agents sur leur faim et, entre autres, ont fait hurler légitimement les personnels territoriaux, renvoyés, en ce qui concerne la « prime exceptionnelle », à des négociations hypothétiques avec leurs employeurs respectifs. Alors que la question du salaire est cruciale, les agents territoriaux sont exclus de l’octroi automatique de cette prime (dégressive, de 800 à 300 euros, selon une condition de rémunération brute, englobant l’indemnitaire dans son calcul), indiquait Dominique Regnier pour la branche territoriale de la fédération SPS-FO. Une aberration alors que le versant territorial compte le plus grand nombre d’agents en catégorie C (la plus basse), soit 75 %. Il y a une discrimination entre les versants de la fonction publique et c’est inacceptable !, s’indignait-il.
Le développement de FO passe aussi par les PAP
Au menu des débats de ce CCN de rentrée encore, l’actualité des négociations sur l’Assurance chômage et sur l’Agirc-Arrco, négociations marquées par la volonté de l’exécutif de cadenasser toute discussion par un cadrage et de faire des réformes qu’il entreprend – et qui sont contestées par les travailleurs (réforme des retraites, réforme sur l’Assurance chômage, création de France Travail) – les éléments pivot des discussions. Il faut imposer au patronat de garder les salariés seniors dans l’entreprise. Et il faut continuer à parler pénibilité, lançait Serge Cambou (UD de Haute-Garonne). En débat au CCN aussi, la question de la réindustrialisation et le verdissement de l’économie, l’évocation des positions de l’organisation vis-à-vis des récents ANI, la défense du paritarisme, la demande de FO d’une réouverture du dossier des ordonnances Travail, avec par exemple la nécessité pour le gouvernement, indiquait Frédéric Homez, de revenir sur l’aberration de la limitation – à trois – des mandats des délégués. Évoqué aussi pendant ces deux jours, le travail à mener pour le développement des implantations de FO, de son audience tirée des élections professionnelles, entre autres de celles aux CSE (66 % des CSE seront renouvelés d’ici la fin de l’année). La confédération organisera une journée nationale dédiée aux CSE le 5 décembre. Nombre de délégués ont dit combien ils avaient le nez dans le guidon actuellement, occupés par les négociations des PAP (protocole d’accord préélectoral). On reçoit en ce moment six à sept PAP par jour à Toulouse, illustrait Serge Cambou.
Le 13 octobre, avec nos revendications
Au menu encore des débats du CCN, l’appel, dans un cadre syndical européen avec la CES, à la journée d’actions du 13 octobre pour les salaires, l’égalité hommes-femmes et contre l’austérité. Cela doit être une journée d’actions sur nos revendications, portées haut et fort, et qui sont les bonnes. Sur la hausse des salaires, sur l’échelle mobile…, lançait Sébastien Vacher (UD du Jura). Le 13, il y aura une expression forte du secteur santé, sur les salaires, la retraite, les effectifs, les conditions de travail, indiquait Didier Birig (fédération SPS-FO), on va essayer d’avoir un mouvement au-delà du 13 et qu’il soit relayé par les confédérations.
La question d’une possible suite à donner à ce 13 octobre était posée par Franck Bergamini (UD des Bouches-du-Rhône), évoquant aussi la nécessité d’amener les autres [syndicats, NDLR] sur nos revendications. Pour Pascal Samouth (UD de Haute-Loire), il y a nécessité à être nous-mêmes, à préparer le rapport de force pour obtenir des avancées et sur la base de nos revendications. Ce qui comprend le refus que nos revendications soient diluées dans des questions sociétales, déclareront en substance nombre de délégués.