Toute la planète les a attendus, espérés. Dans de nombreux pays, des milliers de scientifiques ont travaillé depuis un an dans l’urgence, pour élaborer des vaccins, capables de protéger les populations et donc de juguler cette pandémie qui a fait déjà plus de 2,3 millions de morts et exacerbé les inégalités, jetant dans l’extrême pauvreté des millions de personnes. Reste que la course aux vaccins est un parcours semé d’embûches avec en toile de fond le niveau de richesse des pays, les considérations géopolitiques entravant une entente mondiale et le pouvoir des grands laboratoires scrutant déjà leurs comptes bancaires sachant que leurs vaccins anti-Covid vont leur rapporter gros.
Plusieurs vaccins ont déjà vu le jour et reçus leur certification par différents pays, d’autres devraient arriver « sur le marché ». Certains le sont déjà sans que tous les essais cliniques aient rendu leur verdict. Si les opérations de vaccinations ont commencé dès la fin 2020, c’est bien cette question de « marché » qui pose problème.
La course aux vaccins — lesquels affichent divers degrés et durées de protection — met sous les projecteurs les inégalités flagrantes entre pays riches et pays pauvres. Elle souligne les liens, alliances, unions et réseaux d’influence géopolitique de certains pays et montre la fragilité, la solitude des autres. Elle traduit aussi la toute-puissance des grands « labos » de la planète qui monnaient cher, au « plus offrant » leur réussite scientifique, au point de conduire des pays, y compris riches, à implorer qu’on les livre et vite.
La géopolitique en toile de fond
Et par cette course aux vaccins, on assiste à des scènes et autres comportements inédits. Ici, c’est le Premier ministre cambodgien qui se rend lui-même sur le tarmac de l’aéroport de Phnom Penh pour réceptionner des doses livrées par la Chine produisant le vaccin Sinopharm. Là, c’est de ministre de la Santé afghan qui sur le tarmac, à Kaboul remercie l’Inde de lui avoir livré un demi-million de doses du vaccin anglo-suédois AstraZeneca, produit en Inde par « Serum Institute of India », le plus grand fabricant au monde de vaccins.
Au Moyen-Orient, par exemple, au-delà des contraintes techniques liées aux différents vaccins (leur conservation au froid notamment), le choix d’achat est, aussi, diplomatique, lié aux ententes géopolitiques privilégiées. Toutefois, tel un ambassadeur d’un savoir-faire chinois et en amont peut-être de prochains échanges commerciaux augurant d’un leadership inédit dans la région, le vaccin Sinopharm a creusé son sillon, réussissant à créer, remarquent les observateurs, une « route de la soie sanitaire », posant pied dans des pays réputés plutôt favorables aux États-Unis. Et face à cet affront, ces derniers — dont le vaccin Johnson et Johnson n’arrivera que prochainement — n’ont pas hésité à user de « lourdes pressions » précise un universitaire spécialiste de la région.
Les pays pauvres laissés à la traîne
Au Canada (pays appartenant au G7 organisation des sept pays les plus riches), le Premier ministre s’alarmant des retards de livraison des vaccins européens Pfizer-BioNTech et Moderna décidait, début février, de recourir, pour son propre pays, au Covax, système relevant de l’ONU, financé par les pays riches et destiné à permettre aux pays pauvres de recevoir des vaccins anti-Covid. Le Canada, qui s’est attiré nombre de critiques, devrait recevoir par ce biais près de 2 millions de doses AstraZeneca. Le Covax annonce de son côté que 145 pays (Bangladesh, Pakistan, Nigeria…) et territoires recevront des doses grâce à lui. Cela ne couvrira toutefois que 3,3% de leur population. Rien qu’en Afrique, il faudrait 1,5 milliard de doses pour vacciner 60% des quelque 1,3 milliard d’habitants.
Récemment, l’Union africaine soulignait la difficulté des pays pauvres à pouvoir soutenir cette course et fustigeait le nationalisme vaccinal
, sous-entendu des pays riches qui s’arrogent la priorité, certains précommandant même plus que ce dont ils ont besoin
. Plus largement, début février, 82 pays seulement dans le monde (sur les 197 reconnus par l’ONU) avaient commencé à vacciner. L’OMS qui évoque le risque d’un échec moral catastrophique
indique que, pour l’instant, les trois quarts des vaccinations ont eu lieu dans dix pays qui pèsent à eux seuls 60% du PIB mondial.
Fin janvier à l’occasion du forum social mondial (en parallèle du forum de Davos), la secrétaire générale de la CSI, Sharan Burrow, indiquait qu’une approche inclusive pour lutter contre la pandémie de Covid-19 est primordiale, à la fois en termes de soutien économique et d’accès universel aux tests, aux traitements et aux vaccins
.
L’Europe face à la nécessité de produire
L’organisation mondiale de la Santé (OMS) invite quant à elle les laboratoires à un partage des technologies
pour un développement massif des capacités de production
des vaccins. Et de citer en exemple le géant français Sanofi qui ne propose pas de vaccins pour l’instant mais a accepté de produire bientôt le vaccin Ffizer-BioNTech. Un attelage qui évalue à quinze milliards de dollars le chiffre d’affaires qu’il retirera cette année de la production de son vaccin anti-Covid.
Nous appelons d’autres compagnies à suivre cet exemple [de Sanofi, NDLR]
indique le directeur général de l’OMS qui laisse dans l’ombre, en revanche, une autre attitude de Sanofi… Après avoir annoncé récemment la suppression de centaines de postes dans ces services de recherche, le labo a annoncé aussi dans la foulée un bénéfice net en hausse de 340% à 12,3 milliards sur 2020. Les actionnaires se partageront des dividendes, soit quatre milliards d’euros.
En Europe justement, où la présidente de la Banque centrale européenne a indiqué le 7 février qu’il était inenvisageable d’annuler la dette Covid des États car ce serait une violation du traité européen qui interdit strictement le financement monétaire des États
la course aux vaccins fait rage et met en lumière, comme ailleurs, les stratégies …
L’Autriche verrait ainsi d’un bon œil que le vaccin russe Sputnik V ou le chinois Sanopharm soient produits sur son territoire, mais pour cela il faudrait d’abord, souligne le chancelier, une autorisation de mise sur le marché par l’Union européenne.
En France, fière d’être le pays de Pasteur mais où les moyens dédiés à la Recherche ont été réduits pendant de trop longues années, des voix demandent une levée des brevets des labos. Le gouvernement assure que c’est une fausse bonne idée
et qu’il faut plutôt se préoccuper de trouver des sites pour produire les vaccins créés ailleurs.
Au bon vouloir des labos
De son côté l’Allemagne, fin janvier, alors que les vaccins commençaient déjà à manquer sur le territoire européen, prônait de limiter les sorties, les exportations de vaccins produits dans l’Union (qui a soutenu financièrement certains projets). Elle indiquait aussi qu’il fallait s’assurer que les doses expédiées hors UE seraient équitablement réparties
.
La commission européenne exigeait, elle, une transparence
sur ces exportations et par ailleurs piquait une colère contre AstraZeneca jugeant inacceptables
ses retards de livraisons. Et tel un client horripilé par son vendeur, la commission déclarait vertement que l’UE veut que les doses commandées et préfinancées soient livrées dès que possible
, et que notre contrat soit totalement honoré
. Il s’en est suivi une passe d’armes avec le patron, français, d’AstraZeneca, tentant de calmer ses clients, qu’il qualifie de gouvernements sous pression
. Et d’indiquer haut et fort que son groupe n’avait pas l’intention de réaliser de profits par la vente de son vaccin pendant la pandémie. A vérifier…
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly