La connaissance est l’un des piliers de la démocratie. Or, cette dernière n’est pas innée, mais acquise. Acquise par l’instruction dans toutes ses disciplines, dont l’éducation civique, dramatiquement d’actualité.
Le 10 juin 1881, l’élu républicain, Jules Ferry (1823-1893) monte à la tribune du Sénat et y déclare : Si vous voulez chasser des esprits les utopies, si vous voulez émonder les idées fausses, il faut que vous fassiez entrer dans l’esprit et dans le cœur de l’enfant des idées vraies sur la société où il doit vivre, sur les droits qu’il doit exercer
. Le Vosgien a de la suite dans les idées. Il prépare ses grandes lois qui rendent l’école gratuite (loi du 16 juin 1881), l’instruction primaire obligatoire et participent à laïciser l’enseignement public. Cette dernière sera votée le 28 mars 1882.
La jeune troisième République est encore très fragile. Pour les républicains, il s’agit de se battre sur trois fronts pour la fortifier, la consolider. Contre la réaction royaliste et son aile cléricale, pour solidifier la patrie afin de reprendre l’Alsace-Moselle perdue en 1870, mais aussi en glorifiant l’œuvre coloniale et « civilisatrice » de la République.
Des philosophes des Lumières au mouvement libertaire-pédagogique, l’éducation est l’étape première et fondamentale pour toute transformation de la société. Éduquer le peuple, pour le peuple, donc en commençant par l’école pour les enfants, les futurs citoyens libres.
La loi Ferry ne s’y est pas trompée en mettant l’instruction morale et civique
en tête de ses préoccupations, pour remplacer l’instruction morale et religieuse
alors en vigueur et donc sous la coupe d’un clergé réactionnaire, allié du patronat.
Les experts de Ferry ont donc sorti un manuel d’instruction très précis avec des thématiques mensuelles pour les élèves du primaire : octobre la révolution de 1789, novembre droits des citoyens et différentes formes de gouvernement, décembre devoirs des citoyens, janvier fonctionnement de l’administration communale et départementale, février le pouvoir législatif, mars le pouvoir exécutif, avril le pouvoir judiciaire, mai la force publique et juin les impôts. Vaste programme !
L’évolution de l’éducation civique
Avec l’allongement de la scolarité sous le Front populaire, le décret du 23 mars 1938 instaure des cours de morale et instruction civique
pour les 11-13 ans et des cours de morale et initiation pratique à la vie civique
pour les 13-14 ans. En 1941, Vichy renomme cette discipline en éducation morale et patriotique
et réintroduit l’éducation religieuse. Le Gouvernement provisoire de la République française, par arrêté du 21 septembre 1944, réinstaure l’instruction morale et civique
. La circulaire du 30 août 1945 introduit cette discipline dans le premier cycle du secondaire, une heure par semaine, sous l’intitulé initiation à la vie politique et économique
. En 1948, c’est l’ensemble du secondaire qui bénéficie de ce savoir une heure tous les 15 jours.
En 1969, mai 68 oblige, l’instruction civique jugée passéiste, est supprimée des programmes du primaire. Elle revient en 1985 sous le nom d’éducation civique
. En 1991, de nouveaux programmes sont introduits dans le primaire.
En 1995, François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, introduit l’éducation civique au collège. Quatre ans plus tard, son successeur, Claude Allègre fait de même avec le lycée sous la dénomination de « éducation civique, juridique et sociale ». En 2008, l’éducation civique
du primaire retrouve son nom du XIXe siècle : « Instruction civique et morale
! Retour en arrière, donc.
A la rentrée de septembre 2015, cette matière prend le nom d’EMC : Enseignement moral et civique
, du CP à la terminale, avec une heure par semaine en primaire et une heure tous les quinze jours dans le secondaire. Cette discipline est évaluée dans les épreuves du brevet et fait partie du contrôle continu pour le bac. À noter que le terme de « moral » fait toujours débat, non sans raison.
Décret n° 2013-682 du 24 juillet 2013 et arrêté du 12 juin 2015, publié au JO du 21 juin 2015 sur : « Le programme d’enseignement moral et civique pour l’école élémentaire et le collège ».
Jonathan Richard : L’enseignement moral et civique de 1944 à 2014. Thèse de doctorat de Sciences politiques soutenue en 2015 à l’École Pratique des Hautes Études, groupe « Sociétés, Religions, Laïcités ».
Philippe Marchand : « L’instruction civique en France. Quelques éléments d’histoire », in Spirale. Revue de recherches en éducation, 1992, n°7, pp. 11-41.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly