Le gouvernement grec vient de faire passer une réforme rendant extensibles les journées de travail et criminalisant les piquets de grève. Un recul sans précédent des droits des travailleurs.
Nous ne deviendrons pas des esclaves modernes ! Fin septembre, les Grecs descendus dans la rue lors d’une journée de grève générale ont fait entendre leur indignation face à l’esprit de la nouvelle réforme du travail du gouvernement (NDLR : la majorité gouvernementale est issue du parti conservateur Nouvelle Démocratie). Présenté comme l’incorporation dans la loi nationale de la directive européenne 2019/1152, le texte outrepasse en fait largement les décisions de l’UE, qui ne sont qu’un prétexte pour déréguler drastiquement le temps de travail, faire passer des mesures ouvertement pro-patronales et s’attaquer au droit de grève.
En rendant légal le fait d’avoir un emploi d’appoint en parallèle d’un métier à temps plein, la réforme ouvre la porte à des journées de travail interminables de treize heures, dans la seule limite des onze heures de repos imposées par la loi. De quoi légitimer une situation déjà répandue, où les travailleurs pauvres sont contraints de cumuler plusieurs emplois pour survivre – c’est déjà le cas d’un salarié sur six selon le ministère du Travail grec. Les entreprises fonctionnant en continu pourront en outre imposer à leurs salariés de travailler six jours sur sept, le sixième jour étant payé 40% de salaire supplémentaire. Au maximum de cette dérégulation, un salarié pourrait donc être amené à travailler jusqu’à 78 heures par semaine.
Des « contrats zéro heure » comme au Royaume-Uni
Par ailleurs, au nom de la flexibilité, le gouvernement introduit en Grèce les « contrats zéro heure » bien connus des Britanniques : les travailleurs sont mobilisables à tout moment, avec un préavis de seulement 24 heures, mais ne sont payés que pour les heures réellement effectuées. En d’autres termes, les salariés ne savent jamais à l’avance combien d’heures leur sont garanties, ce qui engendre à la fois une paupérisation, une dégradation des conditions de travail et de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Dans un pays où le salaire moyen est de 850 euros par mois, la précarité a de beaux jours devant elle.
Plus inquiétant encore pour le rapport de force social : une clause intitulée « Protection du droit au travail » s’attaque au droit de grève. La pratique des piquets de grève (blocus, occupation de lieux de travail) est donc désormais criminalisée, passible de six mois d’emprisonnement et d’amendes de 5 000 euros. Un précédent gouvernement issu du même parti conservateur avait déjà mené bataille contre la protection des travailleurs. Il avait permis aux employeurs de faire passer la journée de travail de huit à dix heures, et instauré le principe de service minimum dans certains secteurs.
Le rapport de force salariés/patrons appelé à s’inverser
C’est une dérégulation du marché du travail qui s’inscrit dans la droite ligne de ce que font, en catimini, de nombreux pays européens aujourd’hui, analyse Branislav Rugani, secrétaire confédéral du secteur international chez FO. Partout, on grignote petit à petit les droits des salariés. Une motion de soutien d’urgence doit être votée au comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats (CES) en décembre, afin de soutenir les Grecs dans leur lutte contre cette loi liberticide. La réalité, c’est que le rapport de force n’est pas encore en faveur des travailleurs, poursuit Branislav Rugani. Mais il va le devenir très bientôt : on voit que sur le marché du travail, on manque déjà de main d’œuvre pour couvrir tous les emplois. Le rapport de force va bientôt s’inverser.