Encore une et toujours plus sévère ! Une nouvelle réforme de l’Assurance chômage, annoncée le 26 mai, entrerait en vigueur au 1er décembre 2024. Une énième réforme depuis 2017, s’indigne FO. Et toujours pas en faveur des demandeurs d’emploi ! Or, être au chômage ou au RSA n’est pas un choix, rappelle le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot.
Cette réforme – que le gouvernement a voulu relier à celle de 2023 sur les retraites – impacterait particulièrement les droits des plus jeunes et des seniors, durcissant les conditions d’ouverture de droits ainsi que la durée d’indemnisation, et renforçant le « principe » de contracyclicité. L’exécutif, qui fait en sorte que l’État reprenne toujours plus la main sur l’Assurance chômage, vise par cette réforme une économie de 3,6 milliards d’euros, ce qui participerait à la baisse des dépenses publiques. Alors que le chômage menace de croître d’ici 2025 selon nombre d’économistes, le gouvernement maintient son credo du « plein-emploi » et compte sur la réforme pour remplir cet objectif. Quitte à un accroissement de la précarité des plus fragiles.
Le 4 juin, se déclarant contre la réforme, cinq organisations syndicales, dont FO, ont annoncé qu’elles organiseraient le 11 juin une conférence de presse, au CESE, en présence notamment d’économistes. Pour sa part, FO, qui condamne des mesures qui vont frapper durement les demandeurs d’emploi, a indiqué dès le 27 mai qu’elle attaquera l’ensemble des décrets pris en application de cette réforme devant le Conseil d’État.
2024 : l’État impose une réforme d’une violence sans précédent
Avant même l’échec des négociations sur l’emploi des seniors le 10 avril, le gouvernement n’a cessé de communiquer sa volonté de réduire leurs droits au chômage. La menace s’est concrétisée le 26 mai. Au nom du plein-emploi, le Premier ministre, Gabriel Attal, annonce une réduction des droits à l’indemnisation sans précédent pour tous les chômeurs, applicable par décret au 1er décembre 2024. Pour être indemnisé, un demandeur d’emploi devra désormais travailler huit mois (contre six aujourd’hui) sur une période de 20 mois, et non plus de 24 mois. C’est une attaque extrêmement violente, qui va frapper en particulier les jeunes et les salariés précaires. Ce qui va se passer, c’est que 15 % des demandeurs d’emploi indemnisés aujourd’hui ne le seront plus, et qu’on augmentera leur pauvreté, dénonce Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé de l’emploi.
Précarité accrue pour les seniors
Les seniors seront aussi durement touchés. Le gouvernement supprime les tranches d’âge de 53 et 55 ans ouvrant droit à une indemnisation plus longue (respectivement 22,5 mois et 27 mois aujourd’hui). Un seul palier reste, décalé à 57 ans, en lien avec la réforme des retraites. La durée d’indemnisation passera de 27 à 22,5 mois. Pour les autres, âgés entre 53 et 56 ans, et qui peinent pourtant à retrouver un emploi, ils tomberont à 15 mois d’allocations. Pour inciter à recruter des seniors, Gabriel Attal prévoit la création d’un bonus emploi : ce complément, financé par l’Unédic, permettra, selon le Premier ministre, à un salarié âgé d’accepter un emploi moins bien payé que le précédent en cumulant son nouveau salaire avec une partie de son allocation chômage. Inadmissible pour Michel Beaugas, qui juge scandaleuse cette subvention salariale déguisée, financée par l’Unédic. Matignon l’a confirmé : cette réforme brutale devrait induire une économie de 3,6 milliards d’euros par an au régime. En réalité, ces économies sont faites sur le dos des chômeurs, pour financer de nouvelles ponctions de l’Unédic par l’État, insiste le secrétaire confédéral. L’État prévoit en effet de prélever 12 milliards d’euros sur l’Unédic d’ici 2026, pour financer France compétences et France Travail. Dénonçant les ravages sociaux que la réforme induirait, FO a annoncé qu’elle attaquerait tous les décrets la concernant devant le Conseil d’État.
Retour sur une casse méthodique des droits des demandeurs d’emploi
Créée en 1958, l’Assurance chômage est le fruit d’une négociation entre les organisations syndicales et patronales représentatives, aujourd’hui encore gestionnaires du régime par le biais de l’Unédic. Les conditions d’indemnisation font l’objet d’une convention renégociée régulièrement par les interlocuteurs sociaux.
Ces conditions, à l’origine très généreuses en raison du faible nombre de chômeurs, ont été progressivement durcies à partir des années 1980, en lien avec l’explosion du chômage. Mais ces premières réformes visaient à enrayer le déficit du régime et non, comme aujourd’hui, à réaliser des économies dans une logique purement budgétaire.
La dernière convention Unédic négociée librement et agréée par le gouvernement remonte à 2017, année charnière. Il fallait alors avoir travaillé 4 mois sur une période de 28 mois pour ouvrir des droits, rechargeables au bout d’un mois de travail. La durée d’indemnisation maximale était de 24 mois (30 mois à 53 ans et 36 mois à 55 ans).
En mai 2017, Emmanuel Macron devient président de la République. La création d’une allocation chômage minimale universelle, pilotée par l’État, est l’une de ses promesses de campagne. De fait, l’exécutif pose des jalons pour reprendre en main l’Assurance chômage.
En octobre 2018, les cotisations chômage disparaissent pour les salariés (elles demeurent pour les employeurs). La contribution à l’Assurance chômage se fait désormais via la CSG, ce qui permet à l’État de s’immiscer dans sa gestion.
Un mois plus tôt, le gouvernement avait imposé, via la loi Avenir professionnel, un document de cadrage contraignant les négociations entre interlocuteurs sociaux : délai pour aboutir à un accord, objectifs à atteindre dont une trajectoire financière… En cas d’échec des négociations ou de non-respect du cadre, le gouvernement peut reprendre la main et légiférer par décret.
Une baisse de 16 % du montant de l’allocation
En 2019, ce carcan trop contraignant, qui impose au régime au moins 1 milliard d’euros d’économies par an, fait échouer la négociation sur l’Assurance chômage. Le gouvernement reprend la main et impose par décret une réforme qui s’appliquera pleinement fin 2021, retardée en raison de la crise sanitaire.
Il faut désormais avoir travaillé 6 mois au cours des 24 derniers mois (ou au cours des 36 derniers mois dès 53 ans) pour ouvrir des droits. Le calcul du salaire journalier de référence (SJR), qui fixe le montant de l’indemnisation, est durci : tous les jours de la période de référence sont désormais pris en compte, y compris ceux non travaillés. Pour les demandeurs d’emploi alternant chômage et activité, c’est un coup de massue. Il faut une sanction du Conseil d’État, saisi par FO, pour qu’un nouveau décret fixe un plancher permettant de limiter cette baisse vertigineuse du SJR.
Côté employeurs, un bonus-malus sur les cotisations patronales, visant à limiter le recours aux emplois courts, ne concerne que sept secteurs d’activité et ne produit ses effets qu’en septembre 2022.
En février 2023, un nouveau décret introduit la contracyclicité, mécanisme qui module la durée d’indemnisation selon le taux de chômage. Cette dernière est réduite de 25 % et passe à 18 mois.
En parallèle, les sanctions se renforcent. Dès 2019, l’allocation est suspendue en cas de rendez-vous raté à Pôle emploi ou de deux refus d’une offre raisonnable d’emploi. Depuis avril 2023, en cas d’abandon de poste, un salarié n’est plus indemnisable. Et depuis janvier 2024, les allocations chômage sont supprimées pour un salarié en contrat court qui refuse par deux fois un CDI sur un poste similaire. Quant au versement du RSA, il est conditionné à des heures d’activité obligatoires. L’objectif affiché est d’atteindre le plein-emploi en 2027, soit un taux de chômage autour de 5 %. Ce qui fait craindre à FO que les chômeurs soient contraints de prendre n’importe quel emploi.
Selon l’Unédic, les travailleurs précaires et les jeunes ont été les plus touchés par les réformes de 2021 et 2023.
Le nombre d’ouvertures de droits a baissé de 14 % entre 2019 et 2023. Le nouveau mode de calcul du SJR a réduit de 16 % en moyenne le montant de l’allocation (1 022 euros net en moyenne fin 2023).
En juin 2022, seulement 36,6 % des inscrits à Pôle emploi étaient indemnisés, contre 40,4 % en décembre 2021.
2023 : un accord à l’arraché, percuté par la réforme des retraites
À l’automne 2023, syndicats et patronat se retrouvent pour négocier la future convention Unédic pour les quatre ans à venir. Dans un cadre extrêmement contraint. L’heure est au leitmotiv du plein-emploi, promis par Emmanuel Macron pour 2027. Le gouvernement impose de ne pas revenir sur le décret de 2019, qui a diminué le montant des allocations chômage pour les salariés à temps partiel, le mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) intégrant les jours non travaillés. Ni sur celui de 2023 qui a instauré la contracyclicité. Mais surtout, les négociations sont impactées par la réforme des retraites de 2023 : l’exécutif souhaite que l’accord ― et en ne créant pas de dépenses supplémentaires ― intègre le recul de deux ans ouvrant droit à une indemnisation plus longue des seniors.
Le gouvernement refuse d’agréer
Malgré ce carcan, trois syndicats (dont FO) trouvent un accord sur l’Assurance chômage le 10 novembre, au terme d’une négociation difficile. FO arrache des avancées : pour les jeunes qui s’inscrivent pour la première fois à Pôle emploi et pour les saisonniers, la durée de travail ouvrant droit aux indemnités chômage passe à cinq mois (au lieu de six). Pour les salariés à hauts revenus, la dégressivité des allocations ne s’applique plus que jusqu’à 55 ans, contre 57 ans précédemment. Concernant l’indemnisation des seniors, à l’initiative de FO, la négociation est renvoyée à un avenant de la convention chômage, à l’issue des négociations sur l’emploi des seniors. Malgré cet accord paritaire, le gouvernement suspend l’agrément de la convention de l’Assurance chômage aux résultats de cette négociation, qui s’ouvrira fin décembre 2023. Et il annonce qu’il reprendra la main en cas d’échec. Le 10 avril, après une négociation tendue, les syndicats refusent de signer l’accord sur l’emploi des seniors. FO dénoncera un texte accroissant la flexibilité pour les salariés âgés.
Interview de Frédéric Souillot, secrétaire général de FO
Notre protection sociale collective contribue à la cohésion sociale de la République
Quel est le danger pour le paritarisme des attaques menées par le gouvernement ?
Frédéric Souillot : Le danger c’est l’attaque de notre protection sociale collective qui contribue, au titre de l’égalité et de la solidarité, à la cohésion sociale de la République. Le plus dangereux serait la fin du salaire différé, des cotisations salariales et patronales, remplacées par l’impôt, qui reposerait principalement sur la classe moyenne. Aller vers ce libéralisme à l’anglo-saxonne, déclarer la fin du paritarisme, ce serait un jeu politique dangereux. La protection sociale serait très, trop généreuse ? Mais ce sont les travailleurs qui chacun, tous les mois, contribuent à la protection sociale ! Notre guide FO du bulletin de salaire explique ainsi aux salariés le rôle des cotisations : ils cotisent selon leurs revenus et ce qu’ils obtiennent en retour est en fonction de leurs besoins.
Le patronat est-il sensible à la défense du paritarisme ?
F. S. : Les organisations patronales et nous, organisations syndicales, avons décidé conjointement de mettre le projecteur sur le paritarisme. C’est une période charnière. La discussion sur la défense du paritarisme, de négociation et de gestion, a lieu. Et il y a accord sur le sujet. En 2022, l’ANI sur le paritarisme, que nous avions signé, a affirmé le besoin et la nécessité que celui-ci existe dans la République. Le patronat a prouvé qu’il y est sensible. Ainsi, par sa signature sur l’Agirc-Arrco. Même chose sur l’Assurance chômage ! Trois organisations patronales et trois organisations syndicales représentatives ont signé en novembre une convention. Or, l’État n’a pas voulu son application. FO est la seule organisation syndicale qui pour l’instant a dit qu’elle attaquerait, devant le Conseil d’État, tous les décrets relatifs à la réforme de l’Assurance chômage.
Au-delà des interlocuteurs sociaux, le paritarisme mobilise-t-il ?
F. S. : Le 11 juin, nous participerons aux quatrièmes Assises du social à Paris, soit une journée de débats dédiés au modèle social. Nous participerons aussi bien sûr ce même jour à la conférence de presse que nous avons décidée avec quatre autres organisations syndicales et en présence d’économistes notamment. L’objectif est de faire savoir pourquoi nous sommes contre la réforme de l’Assurance chômage. Le 13 juin, l’Assemblée examinera la proposition de loi du groupe Liot (dévoilée le 21 mai, en présence des syndicats représentatifs dont FO, NDLR) sur l’Assurance chômage. Elle demande l’arrêt des lettres de cadrage au profit d’une lettre d’orientation, discutée par le Parlement. Elle demande aussi qu’un accord entre le patronat et les syndicats fasse l’objet d’une prescription loyale et totale de l’accord. Le 18 juin nous participerons aux Rencontres internationales du dialogue social à l’Institut du Travail, sur le thème « Peut-on réformer sans passer par la case du dialogue social ? ». Avec d’autres organisations syndicales représentatives et les organisations patronales, nous participerons par ailleurs le 27 juin, au Sénat, à un colloque ― demandé notamment par FO ― sur le paritarisme, son fonctionnement et les moyens à envisager pour renforcer son autonomie et son efficacité. Par ailleurs, le 29 mai nous avons participé (Patricia Drevon et moi) à une audition/table ronde à l’Assemblée sur le thème « Protéger le modèle d’assurance chômage et soutenir l’emploi des seniors ».
Le taux de chômage stable à 7,5 %, mais…
Emmanuel Macron persiste et signe, désormais sans donner de date. Dans son récent entretien à L’Express, le chef de l’État a rappelé son objectif de retour au plein-emploi dans les années qui viennent (soit à un taux de chômage de 5 % de la population active), bien que le marché de l’emploi marque le pas. En effet, le taux de chômage en France (hors Mayotte) au sens du Bureau international du travail (BIT) s’est stabilisé à 7,5 % au premier trimestre 2024 (+ 6 000 chômeurs enregistrés), indique l’Insee. Autrement dit, le chômage – reparti à la hausse depuis le premier trimestre 2023 – n’a pas infléchi sa progression : sur les trois premiers mois de 2024, il s’établit au même niveau qu’au quatrième trimestre 2023. Et cette « pause » dans la progression ne serait que temporaire selon l’OCDE, qui prévoit un chômage à 7,7 % en 2024 et à 7,8 % en 2025…
Le principe de contracyclicité en porte-à-faux
Tout à son credo du plein-emploi, l’exécutif ne l’entend pas de cette oreille. Avec le nouveau durcissement des règles de l’Assurance chômage, il compte bien atteindre son objectif, quitte à verser dans l’incohérence.
La restriction des conditions d’éligibilité à l’Assurance chômage, prévue au 1er décembre 2024, et la baisse de la durée maximale d’indemnisation mettent en effet en porte-à-faux le « principe » de contracyclicité… imposé par l’exécutif lui-même en 2022 et entré en vigueur depuis 2023. Celui-ci implique d’améliorer les règles d’indemnisation quand la conjoncture se dégrade – comme aujourd’hui ― et de durcir ces règles uniquement quand la conjoncture s’améliore. Mais, entre les économies attendues par le nouveau tour de vis et le respect du « principe », l’exécutif a tranché.