Depuis deux ans dans les cartons, la réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a été adoptée, jeudi 17 septembre, en première lecture à l’Assemblée nationale. Elle revoit la composition et les missions cette assemblée presque centenaire, dont l’histoire s’enracine dans celle du mouvement syndical, pour en faire un carrefour des consultations publiques
. FO dénonce l’affaiblissement du rôle des acteurs sociaux historiques et un risque important d’instrumentalisation.
Trois jours de débats étaient prévus. Il n’en aura fallu que deux avant que l’Assemblée nationale n’adopte en première lecture, jeudi 17 septembre, la nouvelle réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans les cartons de l’exécutif depuis deux ans. Il ne s’agit plus d’en faire une chambre de la société civile
ni un conseil de la participation citoyenne
, ainsi que le prévoyaient les deux projets de révision constitutionnelle, déposés successivement en 2018 et 2019 et dont aucun n’a abouti, en raison de l’opposition du Sénat à être réformé.
Des missions élargies
La réforme, que l’exécutif fait aujourd’hui opportunément porter par un projet de loi organique (plus facile à faire adopter qu’une révision constitutionnelle, ndlr), consacre cette fois le CESE comme un carrefour des consultations publiques
.
Au service de cette nouvelle mission, l’institution presque centenaire, qui porte la voix de la société civile organisée
, verrait ses compétences élargies à l’organisation de consultations citoyennes (à son initiative, à la demande du gouvernement ou du Parlement) dont les participants seraient tirés au sort, sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat, lancée fin 2019.
Le CESE pourrait aussi être saisi par voie de pétitions électroniques (et non plus seulement écrites), afin qu’il rende des avis sur les questions soulevées par le public. Ces pétitions seraient recevables à partir d’un seuil abaissé à 150 000 signatures, celles-ci étant désormais apposables dès 16 ans.
FO dénonce l’affaiblissement des acteurs sociaux
La présidence du CESE se réjouit de l’institutionnalisation de la participation citoyenne
au sein de l’assemblée. FO ne partage pas cet avis.
Au prétexte de renforcer le CESE, la réforme affaiblit ses composantes légitimes et historiques que sont les acteurs sociaux, alors qu’ils n’ont pas démérité
, martèle Serge Legagnoa, secrétaire confédéral FO, également président du groupe FO au CESE. De fait, la réforme diminue aussi d’un quart le nombre de conseillers permanents du CESE, lequel passerait de 233 à 175.
Réduire la composition de 25 %, alors même qu’elle est appelée à intégrer de plus en plus de citoyens, même si cela est de façon non-permanente, interroge. Les missions du CESE peuvent être élargies sans cette réduction de format
, souligne le secrétaire confédéral, qui défend le maintien d’un CESE à 233 membres. Au risque sinon, pointe-t-il, d’une dilution de leur parole avec les nouvelles missions.
Si demain l’essentiel des travaux du CESE est articulé autour des conventions citoyennes et des pétitions, le rôle des composantes historiques s’en trouvera automatiquement amoindri au profit de celui des citoyens lambda
, constate le militant.
Jamais le risque d’une instrumentalisation n’a été aussi grand
Le danger n’est pas seulement celui d’un déséquilibre de représentativité. Jamais le risque d’une instrumentalisation politique du CESE n’a été aussi grand qu’aujourd’hui
, commente Serge Legagnoa pour qui la réforme pourrait mettre à mal la prérogative première du conseil : conseiller le gouvernement et le Parlement par ses avis consultatifs, élaborés, au-delà des divergences entre organisations syndicales, d’employeurs et monde associatif, dans une perspective d’intérêt général.
Pour FO, qui croit à la démocratie représentative et au mandat, quelques citoyens tirés au sort ne représentent pas le peuple. Quant au tirage au sort, il ne garantit nullement que les citoyens sélectionnés soient en mesure de produire un avis apte à éclairer la décision publique. Enfin, l’expression citoyenne peut être dévoyée.
Et le CESE a lui-même constaté le possible dérapage, lorsqu’il a expérimenté fin 2018 une plateforme de consultation en ligne, dans la foulée du mouvement des gilets jaunes. Les résultats, très loin de refléter la réalité des problèmes à l’origine du mouvement, ont positionné en tête des suggestions… l’abrogation de la loi Taubira !
Le dialogue social, victime collatérale ?
Autre coup porté aux acteurs sociaux : au motif de renforcer la portée des avis et la place de cette assemblée dans le débat public, la réforme prévoit que le gouvernement, lorsqu’il le saisit sur un projet de loi, soit dispensé d’autres consultations prévues par la loi ou le règlement.
Selon l’étude d’impact du projet de loi, une trentaine d’instances consultatives seraient concernées dont la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et la formation professionnelle (CNNCEFP) ou le Conseil supérieur de l’emploi.
Dès juin, le secrétaire général de FO, Yves Veyrier, a interpellé le Premier ministre sur le sujet, exigeant le retrait de cet article 6 qui affaiblit le dialogue social et certaines de ses structures paritaires. L’exécutif avait déjà profité, fin 2019, du projet de loi de finances pour 2020 pour supprimer le Haut conseil du dialogue social (HCDS) et la Commission des accords de retraite et de prévoyance (Comarep), entre autres.
La procédure simplifiée d’adoption d’avis : un risque de dérive technocratique
Une autre modification majeure du CESE prévue par l’exécutif réside dans l’évolution de la procédure d’adoption des avis. La réforme réduit le temps pour émettre un avis en cas de procédure simplifiée (de trois semaines actuellement à deux) et diminue la possibilité de l’assemblée plénière de se prononcer : des commissions, permanentes ou temporaires du CESE, pourraient désormais adopter des avis en son nom.
Rien d’anodin pour Abdallah Moussaoui, attaché du groupe FO au CESE. L’objectif affiché étant d’augmenter le nombre d’avis rendus par le Conseil (25 à 30 par an actuellement, ndlr), la procédure simplifiée d’adoption d’avis risque de devenir la norme, alors que les groupes auront moins de moyens du fait de la diminution du nombre de conseillers. Le temps de réflexion collective, et de confrontation de points de vue avec les acteurs de terrains, va en faire les frais. On va aller vers une technicisation des avis
. Autrement dit, une évolution totalement contraire aux objectifs officiels de la réforme !
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly