Sans ministre et sans cap, l’Éducation nationale a toutefois fait sa rentrée. Une rentrée marquée par la mise en place de réformes qui s’enchaînent, en premier lieu celle de groupes « de niveau », autrement appelés « de besoin ». Une rentrée qui souligne une nouvelle fois les difficultés structurelles de l’institution aux prises notamment avec le manque de postes, dont d’enseignants, et la question de l’inclusion.
Les rentrées scolaires se suivent sans se ressembler. Cette année, c’est dans un contexte politique inédit, et sous l’égide d’une ministre démissionnaire, que les élèves et le personnel éducatif ont repris le chemin des salles de classe, le 2 septembre. Devrions-nous accepter que ce gouvernement démissionnaire maintienne toutes les mesures qui ont été combattues par les personnels et les parents d’élèves, comme le choc des savoirs, prépare un nouveau budget d’austérité et organise cette rentrée scolaire en continuant d’appliquer des mesures de destruction de l’École publique ? La réponse est non, martelait Clément Poullet, le secrétaire général de la Fédération nationale de l’Enseignement, de la Culture et de la Formation professionnelle (FNEC FP), lors d’une conférence de presse le 6 septembre.
Toujours la crise d’attractivité du métier d’enseignant
Comme depuis plusieurs années, les inquiétudes pèsent d’abord sur le manque de personnels. Y-aura-t-il un enseignant devant chaque classe ? Après les résultats des concours de recrutement 2024, quelque 3 185 postes demeurent non pourvus au total, en comptant les enseignants, les CPE et les PsyEN. Et cela représente plus de 635 postes de professeurs non pourvus dans le 2d degré, auxquels s’ajoutent les 500 postes qui ont été supprimés cette année, pointe François Pozzo di Borgo, secrétaire général du syndicat FO des lycées et collèges. Et près de 1 350 postes dans le premier degré, souligne Christophe Lalande.
Paramètre qui se fait de plus en plus lourd, la désaffection à l’égard du métier d’enseignant et qui se voit un peu plus chaque année. Alors que le métier connaît une importante crise d’attractivité, le syndicat FO continuité la responsabilité des gouvernements précédents, et de leurs ministres de l’Education, citant notamment la réforme de la formation initiale en 2018 initiée par Jean-Michel Blanquer. Mais la réforme portée par Nicole Belloubet (actuellement ministre démissionnaire, Ndlr) est loin de répondre à nos demandes, souligne Christophe Lalande. Nous revendiquons un recrutement à Bac+3 avec un concours disciplinaire sans condition de mastérisation et avec une réelle formation de fonctionnaire-stagiaire, avec une rémunération à la hauteur.
Les personnels de direction à l’intersection des difficultés
Les concours pour le recrutement d’enseignants sont loin d’être les seuls à être boudés par les candidats, ceux concernant les personnels de direction sont également à la peine, souligne Agnès Andersen, secrétaire générale du syndicat ID-FO. On compte 1 000 candidats en moins sur les dix dernières années, ce qui représente une baisse de 27 %. De plus, alors que l’on avait 160 postes d’adjoints vacants en 2020, ils étaient 600 en 2022. Ce n’est qu’un signe du malaise que traverse le secteur des personnels de direction. Secteur qui se distingue désormais par un turn-over et où l’on voit se multiplier les arrêts-maladie et burn-out, démissions ou ruptures conventionnelles… Les exemples ne manquent pas autour de nous, il suffit d’écouter les collègues.
La faute, souligne le bureau de ID-FO, est à rechercher du côté des conditions de travail qui se dégradent. En tant que personnels de direction, nous sommes à l’intersection des difficultés que connaissent les différents corps (professionnels, Ndlr) de l’Éducation nationale. Et nous sommes en première ligne du rouleau compresseur des réformes qui s’enchaînent. Si le syndicat FO ne conteste pas l’intérêt de nouvelles missions confiées aux chefs d’établissements, ainsi la lutte contre le harcèlement scolaire ou encore l’organisation des stages pour les élèves de Seconde, nous n’avons eu aucun moyen supplémentaire pour les mettre en place. D’où une importante surcharge de travail.
La difficile mise en place des groupes de niveau
Parmi les nouvelles réformes, la création de groupes de niveau qui doivent être mis en œuvre dès à présent pour les 6e et les 5e. On a vu le lapsus de Nicole Belloubet entre groupe de niveau et groupe de besoin. Ce qui montre que cela n’est pas une question de terminologie, fustige François Pozzo di Borgo. Entre le manque de moyens alloués à ce dispositif et l’opposition de la communauté éducative qui refuse un tri des élèves, dans certains établissements, la mise en œuvre est plus que compliquée, précise Agnès Prouteau, secrétaire fédérale de la FNEC FP FO.
Parfois, il a été décidé d’aligner simplement les classes, sans faire des groupes à effectifs réduits, raconte Julien Giovacchini, principal de collège et membre du bureau de ID-FO. Faire les emplois du temps s’est révélé un véritable casse-tête pour les personnels de direction qui ont dû prendre du temps sur leurs congés. Et qui se retrouvent face à la colère des enseignants qui refusent cette réforme et subissent des emplois du temps compliqués.
Et si les rectorats décidaient après-coup d’examiner la mise en place de ces groupes dans chaque établissement ? C’est une possibilité, là encore nous sommes dans le flou. On nous a seulement dit de nous débrouiller. Mais on sait vers qui l’institution se retournera en cas de situation problématique, grince Agnès Andersen. C’est un transfert des responsabilités de ceux du haut vers ceux du bas, un ruissellement des responsabilités.
Les conséquences désastreuses du choc des savoirs
Les conséquences du « choc des savoirs » dépassent les groupes, qu’ils soient nommés de niveau ou de besoin. La question du brevet comme condition sine qua non pour accéder au lycée reste quant à elle en suspens. Pour la FNEC FP FO, cela pose avant tout la question de l’égalité de l’accès à l’enseignement. D’autant que la classe prépa-seconde annoncée dans la foulée reste floue, énumère François Pozzo di Borgo. Nous sommes aussi très inquiets pour les lycées professionnels, ajoute Clément Poullet. Le risque de cette réforme du brevet est de vider la voie professionnelle, pour remplir les CFA privés. Pour nous les lycées pro sont un bel héritage que nous devons préserver !
Les inquiétudes portent donc entre autres sur la voie professionnelle qui fait encore et toujours les frais des dernières réformes, lesquelles ont réduit le cursus du bac pro en passant de 3 ans à deux ans et demi, pointe Alain Mallet de ID-FO. A nouveau, face à l’absence de directive pour la mise en œuvre des réformes, les personnels de direction ont été mis en difficulté. Notamment parce que nous devons désormais faire deux emplois du temps pour les lycéens de Terminale dont les six semaines de fin de cursus ont évolué. Ils peuvent désormais faire un stage ou suivre des cours pour préparer leurs années de BTS, détaille Valérie Kroes.
Une inclusion forcée qui devient un problème systémique
Ces réformes sans moyens s’ajoutent aux difficultés structurelles que connaît l’Éducation nationale. Celle de l’inclusion systématique notamment. La ministre démissionnaire Nicole Belloubet a reconnu le 27 août que 24 000 élèves allaient être accueillis dans les établissements ordinaires par manque de places dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Ainsi, ce sont en cette rentrée scolaire 24 000 élèves dont le droit à bénéficier de conditions d’apprentissage adaptées à leurs difficultés et/ou à leur handicap sera bafoué pour des raisons d’économies budgétaires, le coût de la scolarité d’un élève étant sept fois plus élevé dans un établissement spécialisé que dans une école ordinaire, dénonce la FNEC FP FO dans un communiqué spécifique.
Cette situation aura des conséquences inacceptables, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants, pointe Clément Poullet. Nous allons d’ailleurs continuer de nous battre pour que les 100 000 AESH de l’Éducation nationale obtiennent enfin un vrai statut professionnel, et une rémunération digne, alors qu’ils sont souvent en deçà du seuil de pauvreté.
La FNEC FP FO dénonce une nouvelle fois l’acte 2 de l’école inclusive, qui vise à détruire les établissements spécialisés, pointe Christophe Lalande. Ces établissements coûtent cher puisque les plateaux techniques comprennent un nombre important de professionnels médico-sociaux. Lesquels ne peuvent être intégrés dans les écoles. Or, inscrire les élèves à besoins particuliers dans les écoles, sans ces professionnels médico-sociaux, c’est dégrader leurs conditions d’apprentissage, et avec, celles de tous les élèves !
FO en première ligne pour des salaires dignes
Plus largement, FO continuera de se battre pour les salaires des personnels de l’Éducation nationale, annonce d’ores et déjà Clément Poullet qui insiste sur un point pour nous comme pour nos collègues, il est hors de question de tourner la page de la réforme des retraites. Nous continuerons de revendiquer une augmentation immédiate de 10% de la valeur du point d’indice, afin de pallier en partie la perte de pouvoir d’achat subie depuis des décennies. Du côté des personnels de direction, nous revendiquons une augmentation pour que l’entrée dans le métier se fasse à 3 000 euros net. Sur la grille, nous demandons une évolution de 300 points d’indice et 30 % d’accès au hors classe, détaille Agnès Andersen, pour ID-FO.
Alors que la période actuelle traduit l’instabilité politique avec notamment l’absence pour l’instant de la nomination d’un nouveau gouvernement, on entre dans un contexte de fortes turbulences analyse Clément Poullet, notant la colère qui gronde. Et déjà des mobilisations ont eu lieu dans le secteur de l’Education, de Toulouse à Caen, durant cette première semaine de rentrée.