Ce 16 novembre, à l’appel de FO et d’autres syndicats, les personnels hospitaliers se sont mobilisés pour défendre l’hôpital public. Alors que le PLFSS, adopté par 49.3 en première lecture, prévoit de contraindre les établissements à une économie de deux milliards d’euros, les agents, eux, sont déjà à bout. Dans un rassemblement organisé à Paris devant le ministère de la Santé, ils ont témoigné de la dégradation de leurs conditions de travail, qui impacte en premier lieu les patients.
La météo aussi passe en 49.3, sourit un militant qui se réchauffe les mains sous son parapluie FO. Comme plusieurs de ses camarades, il est venu ce jeudi 16 novembre protester contre la dernière attaque contre l’hôpital public. On a organisé ce rassemblement dans le cadre de l’intersyndicale à la date où aurait dû être voté le PLFSS, mais encore une fois, le gouvernement est passé en force par le 49.3, relate Didier Birig, secrétaire général de la Fédération de FO des services publics et de Santé. Et ce passage en force se traduit par des chiffres effrayants : alors que l’hôpital public est déjà dans une situation plus qu’inquiétante, le gouvernement demande une économie de plus de deux milliards d’euros.
Cela va se traduire par l’aggravation de la situation actuelle, l’offre de soins sera encore plus tendue, point d’embauches supplémentaires, point d’ouverture de lits nécessaire pour désengorger les urgences, point de moyens supplémentaires pour redonner de l’attractivité aux métiers hospitaliers ; en d’autres termes ce gouvernement continue à fragiliser et détruire lentement l’hôpital public, souligne FO Santé dans son communiqué.
Des professionnels à bout
Une destruction que Chantal Decuyper a pu observer sur le long terme. Sous sa cape de pluie, la cadre infirmière raconte : J’ai commencé le métier en 1980. C’était dur mais il y avait des bras et du matériel pour les patients. Depuis plusieurs années, on constate la dégradation du service public : les soignants sont de moins en moins nombreux et les lits disparaissent… Comme beaucoup, la militante espérait que le Covid éveille les pouvoirs publics sur les problèmes de l’hôpital et le besoin urgent d’y répondre. Mais là, c’est l’inertie complète.
Du Covid, les soignants ont surtout hérité du passage à un rythme de travail en 12h, avec les risques accrus d’arrêt de travail et de fatigue qu’il implique. On a vu que ce passage se fait aussi au détriment des conditions de rémunération, souligne Jean-Emmanuel Cabo, secrétaire général de FO AP-HP. Avec le lissage de ces 12h, chaque année, les soignants perdent jusqu’à 900 euros de salaires !
Mais cette crise de l’hôpital est loin de concerner seulement les soignants. On est souvent les grands oubliés, indique Billal Dahmani, agent administratif au sein de Centre hospitalier d’Argenteuil. Les rares annonces sur les revalorisations salariales ne nous concernent jamais, il faut batailler pour être pris en compte. Pourtant, et d’autant plus avec les logiques actuelles de regroupement d’établissements, On nous demande d’abattre un travail de facturation de plus en plus important. Or, cela peut se traduire par des erreurs de saisie, des dossiers bâclés, et un réel épuisement des professionnels.
Les droits des soignants rognés
Dans les hôpitaux, comme au Parlement, la tendance est au passage en force. Notre directeur général n’a pas de 49.3, mais il ignore royalement les votes d’opposition des syndicats majoritaires. C’est ce pourquoi nous sommes là aujourd’hui : pour défendre l’assistance publique une et indivisible, ainsi que son Statut, relève Jean-Emmanuel Cabo de l’AP-HP. Il cite pêle-mêle la dernière attaque politique, celle de Valérie Pécresse qui prévoit d’appliquer la loi 3DS. Cela se traduirait par une régionalisation accrue, et donc la casse du Statut de fonctionnaire. À l’AP-HP, nous aurions ainsi des hôpitaux différents selon les départements.
Le militant évoque aussi les récentes attaques sur les droits des soignants parisiens, dans le cadre des Jeux Olympiques à venir. Nous avons le droit de poser 3 semaines de congés consécutives durant la période estivale. Mais les directions poussent pour que nous ne les posions pas, arguant que nous serons payés plus à l’été 2024. Mais c’est faux, seuls quelques hôpitaux sont concernés par cette mesure. La plupart ont surtout peur de manquer de personnel durant l’été, comme c’est le cas chaque année.
Mais les victoires existent et boostent le courage. Dernièrement, Force Ouvrière a obtenu que soit appliqué l’article L722-1 du Code général de la Fonction publique. Celui-ci prévoit que les agents de l’Assistance publique bénéficient de soins sur la présentation de leur fiche de paye. Après un an de pétition et de combat, c’est enfin une victoire, se réjouit le militant. On doit se battre juste pour le respect de nos droits, peste Natasha Chepitko, cadre infirmière et déléguée syndicale au sein du Grand Hôpital de l’Est Francilien (GHEF). Entre les mauvaises conditions de travail et les faibles rémunérations, nos professions ne sont plus du tout attractives. Il faut injecter des moyens pour que l’on puisse recruter des jeunes formés et motivés. Il en va de la prise en charge des patients
Même sur les personnes âgées, ils veulent se faire du fric !
Pour l’instant, ce sont ces usagers qui pâtissent du manque de moyens affectés à l’hôpital. On continue à dénaturer le service public, regrette amèrement Didier Birig. En pédopsychiatrie, le délai d’attente est de 18 mois. Vous vous rendez-compte ? Ce sont nos enfants que nous ne pouvons prendre en charge. Et ça, dans la 5e puissance mondiale.
Au sein du rassemblement, les militants évoquent leurs anecdotes, donc une liste interminable. Ici il est question des urgences de Strasbourg saturées, où les malades attendent dans les ambulances sur le parking. Là, on évoque les urgences fermées la nuit, dans une zone rurale. À l’AP-HP, ce sont 17 % des lits qui ont fermé ces dernières années. Et ce taux monte à 22 % en gériatrie, commente Jean-Emmanuel Cabo. La direction veut actuellement se débarrasser des soins longue durée, elle estime que cela coûte de l’argent. Même sur les personnes âgées, ils veulent se faire du fric !
La santé à un coût mais elle n’a pas de prix
Partout, le même constat sur la vision comptable de la santé publique partagée par les responsables politiques. On dirait presque que l’on veut saboter l’hôpital public, souffle Chantal Decuyper. Cette vision comptable est peu cohérente avec l’objectif de santé publique et de la qualité des soins. Il faut arrêter avec cette politique de rentabilité des hôpitaux : la santé à un coût mais elle n’a pas de prix. martèle Natasha Chepitko.
Billal Dahmani, agent administratif, partage le même constat. On nous demande de se calquer sur le modèle des cliniques privées. Lui observe qu’au sein des groupements, les secteurs se battent pour garder tel ou tel patient, dans une logique économique de rentabilité plus que de santé. C’est une gestion d’entreprise, grince-t-il.
Pour des moyens à hauteur de l’enjeu
Pour Force Ouvrière, la réponse ne peut être que politique, à travers la décision d’un grand plan Marshall pour l’Hôpital. « Il faut prendre en compte le ratio entre soignants et soignés dans chaque structure, explique Didier Birig. Alors que Par manque de personnel, on en vient à de la maltraitance institutionnalisée. Pour éviter cela, il faut bien sûr, ainsi que le revendique FO, un recrutement massif d’agents et une revalorisation salariale, pour rendre enfin attractives les carrières. Si le Ségur (signé à l’été 2020) a apporté aux agents, ses mesures salariales ont été englouties depuis par l’inflation. Il y a donc des choses à faire, mais cela va coûter de l’argent, prévient le secrétaire général de la SPS-FO. Au plan des moyens budgétaires de l’hôpital, FO revendique un financement partant d’en bas, prenant en compte les besoins nécessaires de chaque structure de santé afin de soigner dans les meilleures conditions.
C’est pour les personnels, de plus en plus épuisés et souvent précaires, que les militants étaient au rendez-vous, ce 16 novembre. Vu les faibles effectifs, ils ne peuvent faire grève et n’en ont parfois pas les moyens, alors nous sommes là pour porter leur voix, soulignait Natasha Chepitko. Tous les militants craignent une aggravation de la situation l’année prochaine. S’il n’y a pas d’avancées, que l’on ne donne pas les moyens supplémentaires nécessaires pour ouvrir des lits, on continuera le mouvement, prévient Didier Birig. Et ce pour établir un rapport de force, par rapport aux Jeux Olympiques. On ne s’interdit rien.
Hôpital : quand le manque d’effectifs fait prendre des risques aux patients
Quand la crise de l’hôpital public a des incidences dramatiques sur la santé et même la vie des personnes âgées. Pour les patients de plus de 75 ans, fragiles et nécessitant une assistance quotidienne, une nuit passée ― faute de place ― sur un brancard aux urgences augmente de près de 40 % le risque de mortalité, révèle une étude de l’AP-HP du 6 novembre, menée avec l’Inserm et les universités de la Sorbonne et de Rouen. Réalisée en pleine épidémie de Covid et de grippe en décembre 2022, cette étude, baptisée « No bed night », a été menée dans une centaine de services d’urgence, auprès de 1 598 patients de plus de 75 ans. Elle atteste ce que FO-Santé dénonce depuis longtemps : la fermeture de lits liée à la pénurie de soignants dégrade la prise en charge des patients. Au risque d’en mourir pour les malades âgés : Si tous les patients avaient pu être admis avant la nuit dans une chambre d’hospitalisation, 3 % des décès auraient pu être évités, assène l’AP-HP.
Une austérité mortifère
Pour ces personnes âgées, les risques sont multiples : « ne pas dormir, ne pas avoir la surveillance suffisante car les urgences sont surchargées et ne pas avoir de traitement toujours à temps », explique l’urgentiste Yonathan Freund, l’un des coordinateurs de l’étude. L’AP-HP appelle à ce que l’objectif de « zéro lit brancard » aux urgences devienne une priorité, un objectif de santé publique concernant les personnes âgées. Pour l’instant, c’est hélas irréaliste alors que les moyens des hôpitaux sont toujours réduits. FO-Santé appelait d’ailleurs à la grève le 16 novembre dans les CHU, pour dénoncer un PLFSS 2024 infligeant encore « une économie de deux milliards d’euros aux hôpitaux ».