Le leader mondial de l’homéopathie, qui prévoit de supprimer un quart de ses effectifs au motif du déremboursement total de cette médication en 2021, clôt les négociations sur le plan social le 13 octobre.
Il ne faut jamais préjuger de l’évolution de négociations sur une restructuration. Mais celles qui ont reprises depuis le 22 septembre chez Boiron, le leader mondial de l’homéopathie, se déroulent désormais sous la pression d’une journée historique de mobilisation nationale des salariés.
Le 16 septembre restera dans la mémoire de l’entreprise lyonnaise. Et pas seulement pour la tenue d’un CSE-C (comité social et économique central) sur la suppression drastique d’un quart des effectifs français, que Boiron motive par le déremboursement total de l’homéopathie au 1er janvier 2021.
L’exécutif a imposé mi-2019 un déremboursement, progressif sur deux ans, après avoir jugé que l’efficacité de l’homéopathie n’était pas prouvée. La réponse de Boiron n’a pas tardé : en mars dernier, juste avant le confinement, il annonçait sa décision de supprimer 646 postes, avec 134 créations, sur 2 500 dans l’Hexagone (pour un total de 3 700 dans le monde).
Les salariés se sentent floués
Ce 16 septembre, à l’appel de FO et deux autres syndicats, les salariés ont fait connaître leur réaction, différée par la crise sanitaire qui a suspendu le calendrier social. Du jamais-vu depuis la création en 1932 de Boiron : plus de 300 travailleurs venus de toute la France ont convergé vers le siège social à Messimy, au sud-ouest de Lyon (Rhône) pour contester les suppressions d’emploi. Et ce, dès 7 heures du matin, au prix parfois d’un voyage dans la nuit. Au même moment, des débrayages étaient déclenchés sur les 30 autres sites situés sur le territoire, certains comptabilisant jusqu’à 100% de grévistes.
L’ampleur de la mobilisation répond à celle du plan de restructuration. Elle révèle le profond malaise des salariés, leur colère et leur amertume. Beaucoup se sentent floués après avoir jeté toute leur énergie dans la bataille contre le déremboursement
, commente Vincent Mounier, délégué syndical FO. En 2019, les salariés avaient obtenu plus de 1,3 million de signatures pour une pétition demandant le retour de l’homéopathie.
Des licenciements par anticipation
La direction doit revenir à la raison, si elle veut construire l’avenir,
poursuit le responsable FO. S’il ne conteste pas le besoin d’ajuster l’organisation à la situation créée par le déremboursement, il juge la restructuration complètement disproportionnée
et largement conduite par anticipation
.
Elle prévoit la fermeture de l’unité de production de Montrichard (Loir-et-Cher) et de 12 sites de conditionnement-distribution (sur 27), soit près de la moitié du réseau.
La baisse d’activité ne justifie pas de supprimer autant de postes. Boiron anticipe, au maximum, les conséquences du déremboursement afin de préserver ses intérêts financiers
, martèle Vincent Mounier. Le responsable FO juge la pérennité de la branche distribution menacée. Tout l’enjeu, explique-t-il, est de conserver des conditions de travail dignes pour les salariés et les capacités en interne pour assurer un maillage territorial au plus près des prescripteurs et des clients
.
Le déremboursement, un prétexte
La direction met en avant les résultats financiers en berne. Au premier semestre 2020, elle a enregistré une baisse de son chiffre d’affaires en France de 16,5%. On notera que ce repli ne reflète pas la chute de plus de moitié (de 35% à 15%) du taux de remboursement de l’homéopathie intervenue en janvier 2020.
Mieux, Boiron maintient à flot ses ventes globales (-1,2%), grâce à l’importante progression du chiffre d’affaires à l’international (+ 20,8%). En deux ans, la part du marché international a crû de 10 points, pour se retrouver à égalité aujourd’hui avec le marché français.
La décroissance française n’est pas une nouveauté. En 2019, alors qu’aucun déremboursement n’avait eu lieu, l’entreprise avait déjà accusé un recul de son chiffre d’affaires de 7,8% (à 557 millions d’euros) et de 29,3% de son résultat net, resté malgré tout bénéficiaire (40 millions d’euros). La baisse du chiffre d’affaires était amorcée avant les annonces sur le déremboursement. Celles-ci n’ont fait que les amplifier. Boiron paie l’erreur stratégique de n’avoir pas su suffisamment se réinventer
, souligne le délégué FO.
Chantage aux licenciements ?
En tout état de cause, le leader de l’homéopathie n’a pas abandonné la bataille du déremboursement. Alors qu’il attend en novembre la décision du Conseil d’État, à qui il demande d’annuler les décrets, pour procédure irrégulière et erreur d’appréciation sur l’utilité de l’homéopathie, il est revenu à la charge, à la rentrée, auprès de l’exécutif.
Sur la base d’une nouvelle étude sur le coût réel du remboursement à 15%
qui serait totalement neutre pour les finances de l’Assurance Maladie par le jeu de la franchise médicale [mais permettrait de conserver une prise en charge par les mutuelles, NDLR]
, il propose que soit maintenu le remboursement à 15%. En contrepartie, Boiron s’engagerait, selon sa directrice générale, à redimensionner
la restructuration en négociation et pourrait sauver une centaine d’emplois
…
La manière heurte
Dans ce contexte, on comprend la colère légitime des salariés. Le nombre de suppressions de postes et de fermetures de sites n’est pas seul en cause. Ni même la stratégie jugée « court-termiste ». La manière dont la direction envisage la restructuration heurte toute l’entreprise. Il y a d’autres moyens d’ajuster les effectifs que les licenciements. La direction pourrait profiter de la pyramide des âges élevée pour conduire, en grande partie, la restructuration
, précise Vincent Mounier, qui l’appelle à revoir sa copie. Globalement.
Au risque, sinon, d’une rupture sociale délétère pour l’avenir. Pour le délégué FO, cette restructuration met en jeu l’identité même de Boiron
. Une entreprise qui revendique depuis toujours un modèle social pétri de concertation, attentif aux besoins de ses salariés.
Ceux-ci les ont clairement signifiés le 16 septembre. Reste à Boiron deux séances de négociations, avant leur clôture le 13 octobre, pour montrer qu’il les prend en compte.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly