Il y a cent ans, jour pour jour, naissait ce génie touche à tout : écrivain, poète, parolier, scénariste, peintre, directeur artistique, acteur, traducteur, musicien-trompettiste. Iconoclaste, cet adepte de la « pataphysique » était aussi un pacifiste et un anarchiste-individualiste.
Né le 10 mars 1920, il est l’enfant d’un rentier ruiné par la crise de 1929 et d’une mère musicienne. Ses parents, très ouverts, le laissent librement devenir musicien de jazz dès l’âge de 17 ans avec ses frères. Mais cinq ans plus tôt, le gamin a été victime de graves rhumatismes articulaires lui causant d’irrémédiables problèmes cardiaques, cause de sa mort prématurée à seulement 39 ans.
À 21 ans il se marie, à 22 il est père de famille et diplômé de Centrale, l’une des plus grandes écoles d’ingénieurs. Durant l’Occupation, il fréquente le milieu du jazz et les zazous qui sont très mal vus par les collabos et autres vichystes de tout poil. En juillet 1945, il signe chez Gallimard et devient un ami proche de Raymond Queneau et du couple Sartre-Beauvoir. Dès 1946, il rédige en quinze jours son brûlot J’irai cracher sur vos tombes, livre attaqué par une ligue de moralistes, cathos-réacs, qui seront déboutés. C’est aussi l’année où il commence une carrière de peintre, moins connue, et où il écrit L’écume des jours. Parallèlement il entre au Collège de Pataphysique, une académie d’écrivains et d’artistes délicieusement délirants. On lui décerne même le grade de « satrape » !
Et on tuera tous les affreux (1948) et L’herbe rouge (1950) comptent parmi ses romans les plus connus. En même temps, il joue régulièrement de la trompette avec des orchestres de jazz dans les cabarets parisiens et écrit des chansons cultes : « J’suis snob », « On n’est pas là pour se faire engueuler », « La java des bombes atomiques », « Fais-moi mal Johnny », et bien sûr, en 1954, l’incontournable « Le déserteur », entre la fin de la guerre d’Indochine et le début de celle d’Algérie. Cette chanson est officieusement interdite d’antenne et ses tours de chant régulièrement perturbés par des anciens combattants, jusqu’au jour où des appelés du contingent ne voulant pas être envoyés en Algérie la reprennent en chœur. À bout de souffle, sans mauvais jeu de mots, il s’écroule lors de la première de l’adaptation cinématographique de J’irai cracher sur vos tombes.
De nombreux hommages
La très belle maison d’édition de bandes dessinées Futuropolis vient tout juste de publier l’intégrale de L’écume des jours, illustrée par les frères jumeaux Paul et Gaëtan Brizzi [1]. Glénat, autre éditeur de BD, a sorti J’irai cracher sur vos tombes et Les morts ont tous la même peau. Fayard annonce une sélection de quatre cents lettres de Vian : Correspondances 1932-1959. Côté musique, les productions Jacques Canetti proposent un coffret de quatre CD : « Boris Vian, 100 ans, 100 chansons », une compilation incontournable pour moins de 20 euros. À la Comédie-Française, le metteur en scène Serge Bagdassarian orchestrera à partir du 11 juin prochain, si la situation le permet, Patamusic-hall, voyage dans l’œuvre chantée et littéraire de l’auteur. Deux courts-métrages sont aussi dans les tiroirs, Le Tabou, d’Abd al Malik, et Boris Vian m’a ouvert les yeux et cassé le dos, de Michel Gondry. France 3 a diffusé, le 13 mars dernier, Boris Vian, un cœur qui battait trop fort, à revoir sur le replay de la chaîne.
Ironie du sort, Vian a relativement peu vendu de son vivant. Or il est désormais, post mortem, un des fers de lance du Livre de Poche : 4,8 millions d’ouvrages vendus, écoulés au fil des ans. Ironie de l’Histoire, l’État, qui l’avait censuré, vient de faire émettre par La Poste un timbre le représentant, le 6 mars dernier. Pas sûr que notre anar-pataphysicien aurait apprécié de se faire oblitérer la tronche !
[1] Boris Vian : L’écume des jours, album illustré par Paul et Gaëtan Brizzi. Paris, éditions Futuropolis, 2020, 208 pages, 29 euros.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly